Allergies alimentaires

Profiter de la période « magique »

On croyait qu’il fallait retarder le plus possible l’ingestion des arachides. On sait maintenant que cela fait exploser les risques qu’un enfant développe une allergie potentiellement mortelle. Le secret : exposer les bébés pendant une certaine période « magique ». Et le faire de la bonne manière. Explications.

Sur quoi se basait l’ancienne directive voulant qu’on évite les arachides jusqu’à l’âge de 3 ans ?

Sur rien de très solide, répondent aujourd’hui les allergologues des hôpitaux pour enfants montréalais. À l’époque, faute d’études claires, les experts croyaient qu’il valait mieux laisser le système immunitaire atteindre une certaine maturité, pour augmenter la probabilité que les enfants réagissent bien aux allergènes potentiels. Ils plaidaient aussi qu’un enfant en âge de parler serait mieux placé qu’un bébé pour décrire ses symptômes (picotements, démangeaisons, etc.).

Comment a-t-on remis l’évitement en question ?

Après avoir officiellement recommandé cette approche, en 2000, les autorités ont vu bondir le taux d’enfants allergiques aux arachides, signe qu’elle n’était pas très efficace.

Au même moment, en 2008, des chercheurs ont découvert que les juifs orthodoxes d’Israël avaient un taux d’allergie aux arachides 10 fois moindre que celui des juifs orthodoxes de Londres, même s’ils partageaient le même bagage génétique. Seule grande différence : les parents anglais privaient leurs jeunes enfants d’arachides, tandis que les Israéliens calmaient leur bébé en leur donnant à mâchouiller de petites friandises à base d’arachides appelées Bamba.

Les États-Unis ont voulu en avoir le cœur net en finançant une grande étude (intitulée « Learning Early about Peanut Allergy »), qui a permis de suivre pendant cinq ans 600 petits Britanniques, recrutés alors qu’ils avaient de 4 à 11 mois. Les résultats, publiés en 2015 dans le New England Journal of Medicine, se sont avérés renversants.

Qu’a montré l’étude ?

Retarder pendant quelques années l’introduction des arachides augmente « massivement » les risques de développer une allergie, du moins chez les enfants souffrant d’eczéma ou d’allergie aux œufs (soit chez les enfants considérés comme à haut risque, qui étaient les seuls sujets de l’étude), résume la Dre Christine McCusker, de l’Hôpital de Montréal pour enfants.

Seulement 3 % des petits qui avaient consommé des arachides à partir de l’âge de 4 à 11 mois ont développé une allergie, contre 17 % de ceux n’en ayant pas mangé avant l’âge de 5 ans.

Pourquoi l’introduction précoce protège-t-elle les enfants ?

Les experts pensent que le système immunitaire change au fil du temps. « Dans le canal de naissance, le bébé est exposé à toutes sortes de microbes et son système immunitaire est programmé pour les accepter », expose la Dre McCusker. Cet état d’acceptation perdurerait quelques mois, soit tant que le bébé demeure protégé par le système immunitaire de sa mère.

« Après 6 mois, le système immunitaire du bébé se transforme, poursuit l’allergologue. Il devient plus alerte, plus agressif, parce que la protection de la mère disparaît et que l’enfant est exposé à de nouveaux microbes et virus. »

Il faut donc agir pendant la période « magique », quand il est encore temps.

Pourquoi certains enfants se révèlent-ils déjà allergiques à 4 mois ?

Qu’on le veuille ou non, les aliments allergènes se retrouvent tôt ou tard dans les maisons, sous forme de poussière, etc. On sait maintenant qu’ils s’infiltrent ainsi par la peau des bébés – surtout s’ils souffrent d’eczéma – ou par leurs voies respiratoires.

« C’est ce qui explique que 90 % des enfants allergiques réagissent dès la première fois qu’ils consomment des arachides, indique le Dr Philippe Bégin, allergologue à Sainte-Justine. Leur réaction montre que leur système avait déjà produit des anticorps parce qu’il avait été préalablement exposé aux arachides, mais autrement que par la bouche. »

Ce type d’exposition est particulièrement nocif, dit-il, alors que « la prise d’arachides par la bouche semble plutôt protectrice, parce que le tube digestif a son propre système immunitaire, qui peut contribuer à développer une tolérance ».

Résultat : on voit maintenant l’exposition aux arachides comme une « course contre la montre », dit-il, puisqu’il faut tout faire pour qu’un allergène pénètre la bouche d’un bébé avant de pénétrer sa peau ».

Et puisqu’un bébé ne peut consommer autre chose que du lait avant 4 mois, dans l’intervalle, « il faut contrôler l’eczéma le plus tôt possible, avec des crèmes barrières », conseille le médecin.

Comment les parents doivent-ils procéder ?

Si leur enfant est à haut risque, parce qu’il souffre d’eczéma grave ou qu’il est allergique aux œufs, il doit commencer à consommer des arachides entre 4 et 6 mois (même si la mère allaite encore). Mais avant de plonger, les parents doivent consulter un médecin, qui prescrira sans doute un test d’allergie au bébé ou supervisera au moins la première ingestion d’arachides.

Les bébés souffrant d’eczéma léger ou modéré peuvent commencer à manger des arachides à la maison, sans test préalable, vers l’âge de 6 mois. Les autres peuvent pour leur part être initiés au moment voulu par les parents.

Dans tous les cas, il leur faut commencer par de petites quantités, à un moment où l’enfant n’a pas le rhume. Il ne faut pas non plus donner d’arachides avant d’avoir introduit un autre aliment que le lait, pour s’assurer que l’enfant sait avaler.

Il faut enfin en donner de façon régulière, précise le Dr Bégin, car l’irrégularité favorise le développement d’allergies. Les sujets de l’étude avalaient 6 grammes d’arachides par semaine, ce qui équivaut à 4 cuillères à thé combles, à différentes occasions.

Autre information primordiale : avant 4 ans, les enfants risquent de s’étouffer s’ils mangent des arachides entières. Elles doivent être broyées et ajoutées à d’autres aliments ou à des purées. Les bébés risquent aussi de s’étouffer avec du beurre d’arachide non délayé.

Peut-on appliquer ces directives aux autres aliments allergènes ?

Pour l’instant, la seule étude solide concerne les arachides, mais une autre étude laisse croire que l’introduction précoce des œufs a le même effet, répond le Dr Bégin.

Pour l’allergologue et ses confrères, la même logique devrait aussi s’appliquer aux autres allergènes, noix, etc.

« Ma recommandation aux parents, ajoute la Dre McCusker, c’est de regarder leur table de cuisine le matin et de partager ce qui s’y trouve avec leur enfant aussi tôt et aussi souvent que possible. La variété est importante. »

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