Opinion

Plaques HISTORIQUES de la place d’ArmeS Pour une réécriture plus juste de l’histoire

Des ouvriers viennent de remplacer, sur la façade de l’édifice de la Banque de Montréal situé à l’angle de la place d’Armes, deux plaques de granit dont le texte a été jugé offensant à l’égard des autochtones.

Les anciennes plaques indiquaient, en français et en anglais, qu’« à proximité de cette place à laquelle l’on donna par la suite le nom de place d’Armes, les fondateurs de Ville-Marie affrontèrent les Iroquois qui furent vaincus. Au cours de la bataille, en mars 1644, Paul Chomedey, sieur de Maisonneuve tua le chef indien de ses propres mains. »

Le nouveau texte est plus concis et moins sanguinaire : « À proximité de cette place à laquelle l’on donna par la suite le nom de place d’Armes, les fondateurs de Ville-Marie affrontèrent les Iroquois qui furent vaincus au cours de la bataille en mars 1644. » La version anglaise du texte renferme une nuance supplémentaire, voyant en cette bataille une « first », ou première, rencontre franco-iroquoise.

Que penser de tout cela ? En se penchant sur la question avec une lorgnette d’historien, on parvient à deux évidences.

D’abord, ces nouvelles plaques sont aussi erronées que les anciennes.

Ensuite, ce cas montre bien en quoi est intenable la position de ceux qui s’opposent instinctivement à toute démarche de mise à jour des monuments qui nous entourent, n’y voyant qu’une capitulation au politico-correct, une « censure », ou une impensable « réécriture de l’histoire ».

L’objet commémoratif

Cette plaque a une histoire qui lui est propre, bien distincte de celle qu’elle évoque au premier abord.

Jusqu’à la toute fin du XIXe siècle, les monuments historiques sont plutôt rares à Montréal. C’est en 1891, à l’approche du 250e anniversaire de la fondation de Montréal, que l’avocat William Douw Lighthall et le numismate Robert Wallace McLachlan, tous deux membres de l’Antiquarian and Numismatic Society of Montreal (ANSM), lancent une souscription publique dans le but de financer une quarantaine de « tablettes » de pierre de ce type.

Celle de la place d’Armes est installée à temps pour les célébrations de l’année suivante – mais en version anglaise seulement, la plaque française n’étant venue la rejoindre qu’à la fin du XXe siècle. L’ANSM est aussi l’une des instigatrices, avec la Société historique de Montréal, du monument à la mémoire de Maisonneuve qui sera dévoilé juste en face en 1895. Le sculpteur Louis-Philippe Hébert y reprend, dans l’un des quatre bas-reliefs de bronze qui ornent le socle de son chef-d’œuvre, l’imagerie de « l’exploit de la place d’Armes ».

Ces démarches commémoratives venaient concrétiser la vision de l’abbé Étienne-Michel Faillon, historien-prêtre sulpicien qui, trois décennies plus tôt dans sa monumentale Histoire de la colonie française en Canada (1865-1866), avait relaté le récit du combat et du coup exprimé le vœu de voir une statue de Maisonneuve trôner sur la place d’Armes, afin de reconnaître ce personnage comme « le père et le créateur de cette Cité ».

RAJOUTER PLUTÔT QUE REMPLACER

Tout ce que l’on sait de la bataille du 30 mars 1644 nous provient de trois sources du XVIIe siècle : la Relation des Jésuites, rédigée par le père Barthélemy Vimont dans l’année qui suit l’événement, ainsi que les chroniques manuscrites des Sulpiciens François Dollier de Casson et François Vachon de Belmont, renseignées par les souvenirs des contemporains, mais composées plusieurs décennies après les faits, à la toute fin du siècle. La version de Dollier de Casson est la plus détaillée ; ses quelques pages sont dignes d’un roman de cape et d’épée ou d’un blockbuster hollywoodien.

Passons outre le fait que la plaque, dans sa version de 1892 et encore dans sa version de 2018, pèche parce qu’elle isole l’événement du contexte plus large des hostilités franco-iroquoises. Mon ami Michael Rice, qui le premier, il y a 30 ans, a fait remarquer le fond eurocentrique de la plaque, a éloquemment résumé cette perspective en entrevue. 

J’abonde dans le même sens que lui : plutôt que de simplement remplacer, il vaudrait mieux rajouter. Non seulement afin de communiquer des perspectives autochtones sur notre passé commun, mais bien de faire comprendre de quelle manière la mémoire collective, l’identité et le(s) nation(s) canadienne et québécoise se sont constituées, aux XIXe et XXe siècles, aux dépens des autochtones.

Ce que je me permettrai d’ajouter au moulin, c’est une autre eau : la nouvelle plaque, autant que la précédente, ne reflète même pas correctement les faits que les sources nous permettent d’entrevoir.

En effet, le texte ment lorsqu’il décrit l’événement comme une « défaite » iroquoise. Si nos trois sources du XVIIe s’entendent sur le fait que de Maisonneuve ait réussi un coup d’éclat en tuant un chef iroquois, aucune ne décrit la rencontre comme une victoire française. La Relation des Jésuites explique que les Français « furent contraints de se retirer » après avoir perdu cinq de leurs 30 hommes, tandis que Dollier de Casson relate comment les Français regagnent le fort de Ville-Marie « avec confusion », frappés par la « frayeur ». De Maisonneuve se distingue personnellement, mais les Français sont humiliés et les Iroquois demeurent maîtres du champ de bataille.

Le texte de la plaque anglaise fait doublement erreur lorsqu’il laisse entendre que ce combat correspond à une « première » rencontre entre les Iroquois et les colons de Ville-Marie. Non : l’année précédente, le 9 juin 1643, leurs guerriers avaient déjà surpris cinq ou six Français non loin du fort, en tuant trois et emportant les autres.

Une réécriture nécessaire

Félicitons donc la Banque de Montréal d’avoir bien voulu faire un pas dans la direction des autochtones en atténuant le caractère colonial de la plaque, mais regrettons que l’on n’ait pas pris le temps de s’interroger sur le fond de vérité qui doit nécessairement sous-tendre toute démarche de réconciliation.

S’il faut absolument commémorer cette bataille du 30 mars 1644 sur la place publique (et je n’en suis pas convaincu), de grâce, rendons à César ce qui revient à César. Près d’ici, le 30 mars 1644, les Iroquois défirent les premiers colons de Ville-Marie.

* L’auteur fera bientôt paraître un ouvrage aux Presses universitaires McGill-Queen’s sur la rencontre franco-amérindienne, Flesh Reborn – The Saint Lawrence Valley Mission Settlements through the Seventeenth Century.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.