Portfolio  Planification financière

Mais qui vit jusqu’à 96 ans ?

Il était indigné.

« Je suis toujours étonné de lire les recommandations des conseillers financiers qui prennent en considération l’âge de 96 ans comme possible, et de voir qu’il reste encore de l’argent dans la cagnotte à cet âge », nous a écrit un lecteur.

Un planificateur financier avait calculé qu’une enseignante de 43 ans atteindrait l’objectif de 96 ans avec encore 275 000 $ d’épargne.

« Qui vit jusqu’à cet âge avancé ? s’est étonné le lecteur. Qui a besoin d’argent à cet âge ? Je sais que l’on ne peut prévoir avec exactitude la date de la mort d’un individu, mais 96 ans ! S’il vous plaît, un peu de réalisme dans vos suggestions ! »

D’accord, soyons réalistes.

De plus en plus vieux

De génération en génération, nous vivons de plus en plus vieux.

« En 1800, se rendre à 90 ans était presque impossible, alors que maintenant, les courbes de mortalité commencent à s’approcher de 105 ans », souligne le planificateur financier et actuaire Daniel Laverdière, directeur principal au centre d’expertise de Banque Nationale Gestion privée 1859.

Selon les tables de mortalité, sur 100 000 femmes nées en 1801, 1111 (1,1 %) étaient encore en vie à 90 ans. Pour la génération née en 1941, cette proportion devrait atteindre 37,9 %.

« À cause du quotidien, à voir les oncles et tantes autour de nous, on se dit : il n’y en a pas tant que ça, des gens de 96 ans. Mais il y en a. Et il va y en avoir plus. »

Sans doute, mais l’espérance de vie des Québécois est seulement de 83 ans, direz-vous…

Quelle proportion des Québécois nés cette année-là sont encore vivants à 90 ans ?

L’espérance de vie à la naissance

Pour 2017, l’espérance de vie à la naissance au Québec s’établit à 80,6 ans pour les hommes et à 84,5 ans pour les femmes.

Cependant, l’espérance de vie à la naissance est à la fois une moyenne et une construction théorique.

Elle fait référence à une personne composite, née en 2017, dont chaque année de vie aurait été vécue dans les conditions de mortalité de cet âge en 2017 – sa 50e année comme une personne âgée de 50 ans en 2017, sa 51e année comme une personne de 51 ans en 2017, etc.

Cette femme fictive, qui est née et a vécu toute son existence en 2017, a une chance sur deux d’être encore en vie à 84,5 ans.

Espérance de vie à 43 ans

L’espérance de vie à la naissance et l’espérance de vie à un âge donné – 43 ans comme notre enseignante ou 65 ans au début de la retraite – n’est pas la même : le nouveau-né doit composer avec le risque de mourir en bas âge. La personne de 65 ans a affronté avec succès les risques de mort dans les 65 premières années de sa vie.

En 1966, l’espérance de vie pour une Québécoise de 65 ans (donc née en 1901) était de 18,4 ans : elle avait une chance sur deux d’atteindre 83 ans.

« Notre enseignante de 43 ans va avoir 65 ans en 2040, soulève Daniel Laverdière. À 65 ans, elle va se faire soigner avec la technologie de 22 ans dans le futur. »

L’enseignante est née en 1975. Selon les tables de projection de l’Institut de la statistique du Québec, son espérance de vie, une fois parvenue à 65 ans, est estimée à 26,8 ans.

« 65 ans plus 26,8, ça donne 91,8 ans : la moitié des femmes nées en 1975 se rendront à près de 92 ans, poursuit l’actuaire. Et c’est l’espérance de vie, c’est-à-dire la moyenne ! Il y en a qui dépassent la moyenne ! »

Mais nous ne sommes toujours pas à 96 ans…

Espérance de vie à 65 ans

La moyenne : pile ou face

L’Institut québécois de planification financière (IQPF) publie chaque année ses normes d’hypothèses de projection, à l’intention des planificateurs financiers qui font des planifications de retraite.

Le document inclut une table de probabilité de survie en fonction de l’âge atteint.

« L’espérance de vie va en s’améliorant, et l’outil de l’IQPF tient compte de l’amélioration future », explique Daniel Laverdière, qui est par ailleurs un des experts qui rédigent ces normes.

On y apprend par exemple qu’une femme de 45 ans a 50 % de chances d’être encore vivante à 92 ans.

En d’autres mots, elle a une chance sur deux d’atteindre 92 ans.

Une chance sur deux…

Mais qui veut jouer à pile ou face avec la durée de vie de ses épargnes de retraite ?

Mieux vaut se laisser une marge d’erreur, au cas où on aurait la malchance de jouir d’une bonne santé.

Probabilité de survie d’une femme de 45 ans

Une chance sur quatre

Où placer la limite ? Pour l’épuisement des actifs, l’IQPF recommande l’âge où on a 25 % de probabilité d’être encore en vie. Une chance sur quatre.

Pour notre enseignante de 43 ans, cet horizon se profile à 96 ans – l’âge qui a tant braqué notre lecteur.

« Vingt-cinq pour cent des chances d’être en vie, ce n’est pas négligeable, observe Daniel Laverdière. Si j’avais 25 % de me faire heurter par une voiture avant de traverser la rue, je regarderais deux ou trois fois avant. »

Il rappelle qu’en 1801, l’espérance de vie à la naissance au Québec était de 37,8 ans pour les hommes et de 39,6 ans pour les femmes.

Mais pour les membres de cette génération 1801 qui parvenaient à 65 ans, l’espérance de vie s’établissait à 10,6 ans pour les hommes et 11,5 ans pour les femmes, ce qui menait celles-ci à 76 ans.

« Le lecteur trouve que 96 ans est gros parce qu’il a le regard de 2018 », constate Daniel Laverdière, pince-sans-rire. « Les gens de 1801 ont probablement écrit aux journalistes pour dire que 76 ans, c’était bien trop élevé. »

Autant de vieillards que de bébés

« Aujourd’hui, si on se tourne la tête à gauche et à droite, on ne voit pas beaucoup de personnes de 90 ans, avance Daniel Laverdière. Mais en 2065, tu vas probablement voir autant de 90 ans et plus que de bébés de 0 à 4 ans. »

C’est vrai, particulièrement pour les femmes. Selon les projections démographiques de l’Institut de la statistique du Québec, en 2061, il y aura 224 562 femmes de 90 ans et plus et 238 371 bambines de 0 à 4 ans.

Les tranches d’âge en 2018 et en 2061

Le poids de la retraite

Cette étonnante vidéo réalisée par la RRQ montre l’évolution de la population québécoise et du nombre de prestataires du Régime de rentes du Québec depuis ses débuts, en 1966 : retraités, conjoints survivants, invalides, orphelins. Elle se projette jusqu’en 2065.

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