Des procédures à géométrie variable

Cahiers de charges de plusieurs centaines de pages, douches obligatoires en entrant dans les installations, règles sanitaires strictes, tests en laboratoire pour chaque lot produit. Les « procédures opérationnelles standards » de l’industrie légale du cannabis sont à des années-lumière des pratiques du marché noir.

Depuis mai 2017, tous les producteurs autorisés par Santé Canada doivent obligatoirement faire tester par un laboratoire indépendant chacun des lots qu’ils mettent en marché, pour connaître leur teneur en bactéries, champignons, métaux et pesticides.

Ces derniers mois, certains producteurs ont commencé à publier sur leurs sites transactionnels des résumés de ces tests de laboratoire avec les produits qu’ils mettent en vente. « C’est une façon d’être transparents. L’idée est de donner un sommaire dans un langage simple que tout le monde peut comprendre », explique Cam Battley, de l’Association Cannabis du Canada, lobby industriel voué à la promotion du cannabis à des fins médicales.

Chez Canopy Growth, qui produit la marque Tweed, les employés n’ont pas le droit d’entrer dans la zone de production avec des vêtements portés à l’extérieur. Les gants de latex et les filets à cheveux sont obligatoires lors des manipulations, et des douches d’air comprimé sont utilisées pour éliminer toute transmission de pollen entre les secteurs de production, illustre son porte-parole québécois, Adam Greenblatt.

De telles pratiques sont difficilement imaginables pour le marché noir. Lisa Campbell, qui organise dans plusieurs grandes villes canadiennes des green markets où des producteurs du soi-disant « marché gris » viennent vendre leurs produits, dit avoir tenté de forcer ses partenaires à faire de tels tests, mais elle a dû abandonner l’idée.

« À 700 $ l’échantillon, le coût de ces tests est prohibitif pour les petits producteurs. Ça peut représenter le profit qu’ils font sur un lot. »

— Lisa Campbell

Ces microproducteurs sont nombreux à détenir le statut de « producteurs désignés », qui leur permet de faire pousser légalement du cannabis au nom de détenteurs de permis de consommation médicale. Leur statut est précaire dans le nouveau régime imposé par Ottawa, mais comme ils sont tolérés partout au Canada depuis plusieurs années, ils sont de plus en plus nombreux à demander une reconnaissance officielle du gouvernement.

Marc-Boris St-Maurice, du Centre Compassion de Montréal, dont un échantillon contenait des quantités importantes de bactéries et de champignons lors de nos analyses, déplore que les laboratoires accrédités pour mener ces tests ne sont pas autorisés à faire affaire avec les dispensaires du « marché gris » comme le sien. « C’est un des effets pervers de la prohibition. Ça fait 20 ans que je suis dans l’industrie, mais comme j’ai un dossier criminel, je n’ai pas accès aux mêmes outils. Par exemple, les services de stérilisation par irradiation qu’utilise l’industrie n’accepteront jamais de traiter mes produits. Si je pouvais le faire, je m’en servirais », dit-il.

Et dans le marché noir ?

Un certain contrôle de la qualité existe tout de même dans le marché noir, assure Lisa Campbell. « Il y a dans le marché noir un système de courtiers dont le rôle est de fixer le prix des produits en fonction de la qualité. Si un produit est contaminé, ça ne fait que baisser son prix. Il y aura toujours quelqu’un dans la rue qui sera prêt à l’acheter, qu’il contienne des bactéries ou pas », dit-elle.

« C’est comme dans n’importe quel autre marché, il y a des gens malhonnêtes. Mais la très grande majorité des petits producteurs du marché noir sont des gens très consciencieux qui ont leurs produits et leurs clients à cœur », soutient Mme Campbell.

Le point sur l’irradiation

Limités à une vingtaine de pesticides autorisés, les producteurs de cannabis approuvés par Santé Canada utilisent de plus en plus une technique d’irradiation pour éliminer les contaminants de leur marijuana.

Ce n’est ni nouveau ni dangereux, explique la chimiste Anne-Marie Desbiens, auteure du blogue La foodie scientifique. Les aliments sont passés sous un rayon (gamma ou rayon X) afin de détruire des insectes, parasites et autres bactéries, telle E. coli.

L’irradiation permet également de ralentir le mûrissement. La pomme de terre, par exemple, va germer plus tard.

Le procédé pourrait-il poser problème pour un « aliment » que l’on fume ? Pas du tout, répond la chimiste. « Les rayons ionisants à ce niveau d’ondes ne sont pas suffisants pour rendre les aliments radioactifs », précise Anne-Marie Desbiens. Et la méthode est telle que, dès l’opération terminée, il n’y a pas de radiations résiduelles dans l’aliment. « C’est comme un micro-ondes, explique Anne-Marie Desbiens. Une fois que vous sortez votre plat du four, il n’y a plus d’ondes. »

Canopy Growth, qui fait irradier plusieurs de ses lots de marijuana dans une entreprise spécialisée de Laval, admet que l’irradiation suscite un malaise chez certains consommateurs de cannabis. « Nous l’utilisons parce que c’est un produit médical. Il faut s’assurer qu’il ne reste aucune trace de bactérie parce que ce sont des personnes malades qui consomment nos produits. C’est assez commun dans l’industrie », assure-t-il.

Raphaëlle Lemelin, titulaire d’un permis de consommation médicale qui a collaboré à ce reportage, croit que l’irradiation « en modifie un peu le goût ».

« L’effet ne change pas », estime-t-elle. Une étude réalisée en 2016 par le producteur autorisé Bedrocan tend à confirmer cette affirmation : l’irradiation affecte les terpènes du cannabis, mais pas le niveau de THC.

Bon à savoir : l’emballage doit indiquer que les produits sont irradiés, au moyen d’un logo et d’une mention. Le cannabis irradié devrait donc s’afficher ainsi.

Santé Canada autorise la vente de pommes de terre, d’oignons, de blé, de farine, d’épices et d’assaisonnements déshydratés irradiés. Depuis l’année dernière, le bœuf haché peut aussi être irradié. Le procédé ne change ni le goût ni l’apparence de l’aliment.

Le recours à cette technologie « n’est pas très répandu au Canada », où ce sont surtout les épices qui en font l’objet, affirme cependant Santé Canada.

— Tristan Péloquin avec Stéphanie Bérubé, La Presse

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