Consommation

Petite histoire des offres avant et après Noël

Même si notre rapport aux grands rabais du temps des Fêtes se modifie d’année en année, le Boxing Day et ses semblables – le Vendredi fou (Black Friday) et le Cyberlundi (Cyber Monday) – demeurent des occasions en or pour les commerçants et leurs clients. La Presse en a discuté avec Benoit Duguay, professeur à l’École des sciences et de gestion de l’Université du Québec à Montréal, et avec JoAnne Labrecque, enseignante en marketing à HEC Montréal.

À quand remonte l’origine des soldes d’après Noël ?

Certains évoquent une tradition du XIXe siècle en Grande-Bretagne. Le 26 décembre, les riches donnaient aux employés de maison des petites boîtes (Christmas box) avec de l’argent et des cadeaux pour les remercier de leurs services durant l’année. D’autres remontent au Moyen Âge, alors qu’on laissait des sous dans les boîtes d’aumônes pour donner aux pauvres. Ou au début de l’ère chrétienne, lorsqu’on recueillait de l’argent pour les démunis dans des boîtes de métal, durant la fête de la Saint-Étienne, le 26 décembre.

Depuis un demi-siècle, la société de consommation a transformé le lendemain de Noël en foire commerciale, où les stocks sont écoulés au rabais. Qui en profite le plus : les clients ou les marchands ?

Après Noël, les commerçants écoulent leur marchandise, pour éviter que des liquidités dorment sur leurs tablettes et qu’ils manquent d’argent pour se réapprovisionner. Étant donné qu’ils réalisent entre 30 et 50 % de leurs ventes annuelles durant la période des Fêtes et que les gens font leurs gros achats d’hiver avant Noël, les détaillants font des promotions pour ne pas être pris avec leurs stocks trop longtemps.

La consommation est un système où les commerçants et les consommateurs sont interdépendants. Je n’aime pas démoniser les marchands en affirmant qu’ils veillent uniquement à leurs intérêts le jour du Boxing Day. C’est normal d’adopter des stratégies pour faire de l’argent. Et les rabais sont très avantageux pour les consommateurs.

Contrairement à certains, je ne crois pas que les événements comme le Boxing Day créent uniquement des envies d’achats dont les gens n’ont pas besoin. Les consommateurs sont tellement informés de nos jours qu’ils savent si les promotions valent la peine. Oui, les rabais provoquent des achats impulsifs, et on se dit parfois que si on a économisé sur un objet, on peut acheter autre chose. Mais en général, les gens ont un budget. Il faut de vrais bons rabais pour les attirer. On est dans une ère qui favorise les consommateurs. La concurrence entre les détaillants est si forte qu’ils sont obligés d’offrir de grands rabais.

Pourtant, à peine 10 % des Québécois disaient avoir fait des achats le 26 décembre, au cours des trois dernières années. Assiste-t-on au déclin des soldes d’après Noël ?

La frénésie est différente. Le Boxing Day n’est plus qu’une autre grosse vente dans une longue période de promotions. Les consommateurs sont essoufflés rendus au 26 décembre. Certains commerces offraient 30 % de rabais en octobre. On a le Vendredi fou le 28 novembre et le Cyber lundi le 1er décembre. Plus on stimule les gens avec des promotions, plus leurs budgets s’épuisent. 

Le Vendredi fou est de plus en plus fort aux États-Unis depuis environ cinq ans. Et comme plusieurs entreprises américaines se trouvent en sol canadien et qu’elles adoptent cette pratique ici, l’ensemble des détaillants au pays sont obligés de suivre. Inévitablement, cela fait diminuer la plus-value du Boxing Day.

Néanmoins, il y a encore de longues files d’attente devant les magasins, le 26 décembre. Ça fait partie de notre folklore de faire la queue à moins 25 degrés pendant des heures, pour être le premier à profiter d’un énorme rabais. Il y a un phénomène tribal là-dedans. La file d’attente devient une petite communauté. Certains apportent des radios portatives, d’autres servent du café. C’est quasiment un happening en plein air.

Quelles sont les stratégies des commerçants pour attirer les clients ?

Certains offrent un seul produit à prix ridicule, pendant une très courte durée. D’autres vendent des articles en promotion en quantité très réduite, jusqu’à épuisement des stocks. C’est une façon de créer un événement et d’inciter les gens à faire la file très tôt le matin. Même le secteur du luxe est en train d’embarquer. Ogilvy a participé au Vendredi fou l’année dernière. Ses clients avec de hauts revenus sont très sensibles aux prix eux aussi.

Le Boxing Day ne commence plus tout à fait le 26, puisque les offres en ligne commencent le 24 décembre au soir, dès 20 h. Certains détaillants font une Boxing Week, ce qu’on ne voyait pas il y a 20 ans. Et plusieurs commerçants gardent une partie de leur marchandise en vue du Boxing Day. Ils vont même emballer les articles qui seront en vente le 26 avec un papier opaque pour éviter que leurs propres employés sachent ce qui sera en rabais et qu’ils en parlent aux clients.

Comment les commerçants peuvent faire des profits en offrant de 30 à 70 % de rabais ?

Ils ne calculent par leurs profits à l’unité. Quand ils achètent 100 000 unités d’un produit, ils vendent une portion à plein prix et engrangent beaucoup de profits. À la fin de l’année, le stock est déjà tout payé. Donc, même en offrant 50 % de rabais, ils font du profit pur.

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