Textes dramaturgiques

Le théâtre en papier

Publier des livres au Québec, ce n’est pas exactement facile. Mais publier du théâtre au Québec, ça relève quasi du sacerdoce ! Pourtant, au cours des derniers mois, deux jeunes maisons d’édition québécoises se sont lancées dans l’exercice. Alors que la saison théâtrale reprend, nous leur avons posé, ainsi qu’à deux éditeurs spécialisés dans la publication de pièces de théâtre, la grande question : de pourquoi c’est faire ?

Si on travaille dans le domaine du théâtre, on a toujours accès aux textes dramaturgiques québécois, tous déposés au Centre des auteurs dramatiques (CEAD). Mais le public, lui, comment peut-il en lire ? Une maison établie comme Leméac publie quelques pièces chaque année (Tremblay, Chaurette, Lebeau, etc.). Et grâce à un éditeur spécialisé en théâtre comme Dramaturges éditeurs (depuis 1996) ou à une collection solide comme « L’instant scène » (depuis 10 ans, au sein des éditions L’instant même), les œuvres dramaturgiques d’ici trouvent leur chemin vers les librairies.

Mais il s’écrit tellement de théâtre au Québec qu’il semble y avoir de la place pour de nouveaux acteurs du domaine : « Même si les recueils de poésie sont des best-sellers à côté de nos publications », reconnaît avec humour Chantal Poirier, directrice littéraire de « L’instant scène ».

Ainsi, les éditions Somme toute ont vu le jour en février 2013, à la suite de la restructuration de la maison d’édition Les 400 coups : sous la gouverne de Renaud Plante, les pièces Tout ça m’assassine (Dominic Champagne, Pierre Lefebvre et Patrice Desbiens) et Le chant de Meu (Robin Aubert) sont désormais des livres publiés en bonne et due forme.

Quant au magazine Nouveau Projet, piloté par Nicolas Langelier et lancé en mars 2012, il s’est tourné récemment vers l’édition de livres proprement dite, d’abord d’essais puis, depuis octobre dernier, de théâtre : Faire l’amour (Anne-Marie Olivier) et 26 lettres – Abécédaire des mots en perte de sens (Olivier Choinière et collectif) sont les deux premiers titres de sa collection « Pièces ».

NOUVEAU PROJET

« Quand on a reçu les bons de commande des libraires pour les pièces qu’on publie, j’avoue que je pensais qu’il manquait un zéro tant les quantités commandées étaient faibles ! reconnaît en riant Nicolas Langelier, cofondateur, éditeur et rédacteur en chef de Nouveau Projet. Et on sait bien que le théâtre est souvent mal placé dans les librairies. Sauf qu’on sait aussi que Nouveau Projet a un large bassin de lecteurs, et je suis convaincu qu’on peut leur donner envie de lire du théâtre : à mon avis, au Québec, c’est en théâtre que les textes sont actuellement les plus intéressants… On a donc décidé d’installer un système d’abonnement : les abonnés recevront quatre pièces par année (dont celles d’Anne-Marie Olivier et d’Olivier Choinière pour 2014-2015). Je pense que si on systématise la chose, on peut “forcer” agréablement les lecteurs à s’y intéresser. »

Il faut croire que l’idée de Nouveau Projet fonctionne : « On a près de 400 abonnés à ce jour », dit Nicolas Langelier. L’abonnement coûte 24 $ pour quatre publications numériques ou 39 $ pour publications papier et numériques. Les textes, solides au départ, sont retravaillés pour qu’ils se lisent bien.

« On ne marche pas dans les platebandes des autres, précise Langelier, on veut juste créer de nouvelles avenues, de nouvelles façons de lire du théâtre. Du théâtre qui défend des enjeux sociaux et qui entretient une cohérence avec tout ce que nous faisons. »

Consultez le site de Nouveau Projet : nouveauprojet.com

SOMME TOUTE

Chez Somme toute, on publie des scénarios de cinéma (C.R.A.Z.Y.), des essais (Bleu nuit), des chroniques (Rima Elkouri, David Desjardins), des ouvrages qui mêlent musique et photos (Images et réflexions d’Ariane Moffatt)… Et depuis peu, du théâtre, malgré le risque financier. « Mais je sais qu’actuellement, il y a deux écoles qui sont en train de travailler Tout ça m’assassine de Dominic Champagne, que des élèves la cherchent, et c’est pour ça qu’on en publie, du théâtre, pour que ces textes soient accessibles ! », explique Renaud Plante, directeur de l’édition.

« Les pièces qu’on publie, reprend-il, sont d’auteurs avec qui on travaille sur d’autres projets d’édition, dans d’autres domaines, comme Dominic [Champagne], Robin [Aubert] ou Jean-François [Casabonne, qui a publié deux essais sur le théâtre]. Mais leurs pièces sont de vrais coups de cœur pour nous. On n’est pas fous : on en fait des tirages assez bas (entre 700 et 800 exemplaires), publiés en noir et blanc. On s’assure surtout que ce soit des textes agréables à lire, bien écrits, qui n’ont pas besoin d’être “trafiqués” pour l’édition. »

Depuis peu, Renaud Plante a fait appel au journaliste et écrivain François Lévesque pour l’épauler. « En ajoutant des entrevues avec les artisans de la pièce dans le livre du Chant de Meu de Robin Aubert, François lui a vraiment donné une valeur ajoutée. » Résultat, Aubert a dédicacé des exemplaires au dernier Salon du livre de Montréal. Et les jeunes scénographes en formation peuvent, eux, lire le fascinant entretien avec Silène Beauregard !

Consultez le site de Somme toute : editionssommetoute.com

L’INSTANT SCÈNE

Cet intérêt de nouvelles maisons d’édition pour le théâtre, même ceux qui travaillent dans le domaine depuis des années le trouvent surprenant. « Mais agréablement surprenant », dit Chantal Poirier, de L’instant scène, qui fête ses 10 ans et qui publie de cinq à six pièces par année, dont celles de Sébastien Dodge et Mani Soleymanlou.

« Il y a beaucoup de jeunes auteurs actuellement, on recommence à écrire des textes littéraires plutôt que des shows, explique-t-elle. C’est le travail d’éditeur, rendre le livre autonome, indépendant de la représentation sur scène. Mais les textes qu’on nous soumet maintenant sont vraiment plus fluides. Et on essaie évidemment d’arrimer la sortie du livre à la première de la pièce ou sa reprise. La publication est indispensable : on a de plus en plus un public scolaire important, qui veut “jouer du québécois” dans les cours de théâtre au secondaire, au cégep, etc. Et le rayonnement du théâtre québécois est international parce qu’on le publie. À Avignon, cette année, il y avait cinq productions québécoises, ce n’est pas rien ! »

Consultez le site de L’instant même : instantmeme.com

DRAMATURGES ÉDITEURS

« Est-ce que vous allez parler à Yvan Bienvenue ? a demandé Chantal Poirier. Parce que sans Yvan, il n’y aurait tout simplement plus de théâtre édité, il est la pierre angulaire de la publication dramaturgique. » Nous avons donc parlé au dramaturge-éditeur-graphiste-metteur en scène, etc. Yvan Bienvenue, dont la maison Dramaturges éditeurs ne publie que du théâtre québécois depuis 18 ans !

Et qui n’est pas mécontent que de nouveaux éditeurs théâtre apparaissent. « Toutes les grandes cultures se sont d’abord défendues par leur dramaturgie, explique-t-il. Shakespeare, c’est l’Angleterre, Molière, c’est la France. Le Québec, des tas d’autres cultures l’ont connu d’abord par le théâtre de Michel Tremblay. C’est pour ça que c’est important qu’on en publie, même si personne n’en vit. Et même si personne n’y a longtemps cru : ça a pris sept ans pour recevoir le respect de mes pairs éditeurs ! C’est quand le livre Deux pas vers les étoiles de Jean-Roch Gaudreault, publié chez nous, a reçu le Prix du gouverneur général [en 2003] qu’ils sont venus me serrer la main. Mais sais-tu ce qui me rend encore plus fier ? C’est quand ce livre a été amené en orbite [par l’astronaute canadien Bob Thirsk en 2009]. Si on me demande un jour, vous, Monsieur, qu’est-ce que vous avez fait dans la vie, je vais pouvoir répondre : j’ai publié un livre, un livre de théâtre, qui s’est retrouvé dans l’espace ! »

Consultez le site de Dramaturges éditeurs : dramaturges.qc.ca

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