Dans le jardin conçu pour les promenades tranquilles et les après-midi à somnoler, des cris d’enfants excités par un jeu transpercent le calme. Les couleurs vives des modules de jeu détonnent parmi les buissons.
Depuis septembre 2017, la résidence pour aînés Nightingale House (sud-ouest de Londres) compte des occupants qui font singulièrement chuter sa moyenne d’âge : un groupe de jeunes enfants s’est installé dans l’enceinte de l’établissement.
La mère du projet est Judith Ish-Horowicz. L’éducatrice de carrière visitait déjà la résidence de temps à autre avec les enfants d’une autre garderie qu’elle a fondée. Les résultats étaient intéressants, mais elle voulait pousser l’intégration plus loin. Résultat : un pavillon de maintenance, situé dans le fond de la cour, a été pris d’assaut par la toute nouvelle garderie Apple & Honey.
Ateliers de cuisine, heure du conte, visite de petits animaux : « Nous venons chaque jour dans la résidence et y faisons au moins une activité par jour », explique l’énergique Mme Ish-Horowicz, en papillonnant dans les corridors de Nightingale House, où elle est aussi impliquée.
« Nous avons des sorties ensemble, nous partageons des repas. [Les enfants] reçoivent beaucoup plus d’attention que ce qu’ils recevraient normalement, parce qu’il y a évidemment un nombre limité d’éducatrices. »
— Judith Ish-Horowicz
Consultante improvisée, elle donne ses conseils à ceux qui seraient tentés de l’imiter au Québec : « Il faut avoir une relation égalitaire entre les deux parties. Il faut déterminer des objectifs clairs, il ne faut pas le faire simplement pour dire qu’on l’a fait. »
En outre, Mme Ish-Horowicz croit qu’un tel projet se développe mieux dans des établissements qui adhèrent déjà à des valeurs communautaires. Nightingale House est une résidence pour aînés juifs depuis 1894. Apple & Honey « est juive et fonctionne sur la base de valeurs juives », mais elle est ouverte à tous. Des enfants d’employés de la résidence – pour la plupart non juifs – sont parmi ses petits protégés.
« Comme si je les avais adoptés »
Une petite dizaine d’enfants forment un cercle, en plein cœur de la résidence, pour écouter l’histoire qui leur sera racontée. Des aînés, certains appuyés sur des déambulateurs, passent à quelques mètres.
Juste après, Elisabeth Poisson et Fay Garcia sont assises côte à côte dans une salle multifonctionnelle de la résidence. La première a 92 ans. La seconde (« beaucoup plus jeune », assure-t-elle en souriant), 91.
« Je n’ai pas de petits-enfants moi-même, mais c’est comme si je les avais adoptés, explique Fay Garcia. Pas seulement les enfants, mais leurs parents aussi. »
Elle passe en revue les horaires remplis que leur propose ce jumelage hors du commun.
« J’aime toutes les activités. Les enfants me donnent tant de joie, et c’est très plaisant d’apprendre à les connaître sur plusieurs semaines, plusieurs mois. »
— Fay Garcia
Mme Poisson, de son côté, apprécie particulièrement les moments de lecture avec les enfants, même si « certains ne se concentrent pas », dit-elle en souriant. Judith Ish-Horowicz la cite comme pilier de cette activité. « Elle semble croire que je fais quelque chose d’utile, mais je ne sais pas quoi ! », dit la vieille dame.
En visitant les étages, Judith Ish-Horowicz explique que l’établissement est considéré comme un centre d’excellence pour la démence et qu’il reçoit donc des patients atteints d’alzheimer avancé et d’autres problèmes de ce type.
La femme se remémore un épisode où une résidante « très angoissée », qui souffrait de problèmes de santé mentale, est entrée en relation avec des enfants d’Apple & Honey. « Les enfants se sont approchés d’elle et elle s’est calmée, jure l’éducatrice. Elle a retrouvé une certaine paix en interagissant avec les enfants. »
Parce que même avec ces résidants, les enfants peuvent interagir, croit Mme Ish-Horowicz. « La sensibilité et la maturité des enfants sont incroyables. Ils n’ont pas les mêmes attentes qu’envers un autre adulte. Ils peuvent le voir », explique-t-elle. « Ils savent que ces gens ont besoin d’aide… et ils aident », par exemple en ramassant un objet échappé, continue-t-elle.
« Efficace contre la solitude »
Les enfants ne sont toutefois pas sur place pour distraire, calmer ou amuser les aînés. Ils suivent leur propre programme de développement. « Mais pourquoi ne pourrions-nous pas le faire ensemble ? Ça stimule aussi les résidants… », explique Judith Ish-Horowicz.
Ses prétentions sont appuyées par une étude récente réalisée après plusieurs jours d’observation dans la résidence. Elle se concentrait sur les aînés. Son auteure a conclu que les bienfaits de la cohabitation étaient importants pour eux – et spécialement pour les résidants atteints de démence.
« Les activités intergénérationnelles mettent les résidants de bonne humeur et sont efficaces contre la solitude », a noté la Dre Ali Somers. Elles procurent aussi des « occasions de stimulation intellectuelle pour les résidants âgés, un défi que les résidences ne relèvent pas régulièrement ».
Selon la Dre Somers, le fait que le même groupe de résidants rencontre les mêmes enfants sur une longue période permet de maximiser les bienfaits de ces activités.
Or, toute bonne chose a une fin. Avec des aînés qui arrivent en résidence toujours plus vieux, grâce aux soins à domicile, les séjours raccourcissent. Et les enfants grandissent en un clin d’œil et s’en vont rapidement à l’école. Des rythmes qui s’accordent finalement assez bien, explique Judith Ish-Horowicz, qui ne rapporte pas de déchirements majeurs.
Même dans les adieux, jeunes et aînés étaient faits pour cohabiter.