CHRONIQUE

Le fouillis de la médecine à l’acte

Qu’est-ce que ça va prendre pour que le gouvernement du Québec commence à s’apercevoir que la façon dont on paie les médecins, la rémunération à l’acte, n’a plus de sens ?

Depuis des années, des études, ici et ailleurs dans le monde, montrent que les pays avancés délaissent progressivement la médecine à l’acte pour d’autres modes de rémunération plus équitables et plus efficaces, et qu’il serait sage que le Québec et le Canada sortent d’un modèle archaïque qui date d’il y a 50 ans.

Ces arguments n’ont pas ébranlé les derniers ministres de la Santé, Yves Bolduc, Réjean Hébert ou maintenant Gaétan Barrette, qui n’est manifestement pas chaud à l’idée. Cela peut s’expliquer par le fait qu’il est personnellement un produit de cette médecine à l’acte, tant par sa pratique de radiologiste que par sa carrière de président de la Fédération des médecins spécialistes, où il en a défendu les fondements et les modalités.

Mais peut-être que le fouillis indescriptible que la Vérificatrice générale Guylaine Leclerc a découvert en se penchant sur le suivi des ententes entre Québec et ses fédérations de médecins nous fera progresser dans notre réflexion.

Elle a découvert que pour la période de 2010 à 2014, le gouvernement a payé beaucoup plus que ce que prévoyaient les enveloppes négociées avec les fédérations médicales. Une erreur de 416 millions. La vérificatrice estime aussi que les économies que le gouvernement Couillard prévoyait réaliser en étalant les hausses salariales consenties aux médecins ne seraient pas au rendez-vous. Une autre erreur de 394 millions.

En tout, deux erreurs qui commencent à se rapprocher du milliard. Dans une période où chaque dollar compte, et pour un groupe qui n’est certainement pas à plaindre après avoir obtenu un important rattrapage de ses conditions salariales, il y a là quelque chose d’extrêmement gênant.

Ces dépassements montrent l’extrême difficulté pour l’État de contrôler la rémunération des médecins.

La vérificatrice note en outre que le gouvernement ne disposait pas d’outils pour savoir si les mesures incitatives consenties aux médecins pour qu’ils modifient leurs pratiques jouaient leur rôle incitatif, malgré l’importance des sommes versées – 425 millions par année pour les omnipraticiens et 495 millions pour les spécialistes.

Elle a aussi découvert que l’organisme chargé de payer les médecins, la Régie de l’assurance maladie, effectue très peu de contrôles sur les sommes considérables qui lui sont réclamées. Tant et si bien qu’il ne faut pas voir la RAMQ comme une régie, mais plutôt comme un guichet automatique géant. La rémunération à l’acte explique ce fouillis. Il existe 11 000 codes différents pour la facturation des actes médicaux que posent les médecins. Et ceux-ci font 55 millions de réclamations de paiement par année.

Elle explique aussi en bonne partie les débordements, parce que si cette façon de payer les médecins les encourage à faire du volume, elle peut aussi engendrer des effets pervers : la multiplication des actes, la tendance à la médecine à la chaîne et, dans certains cas, des abus.

Plus profondément, ce mode de rémunération n’aide pas le Québec à résoudre ses principaux problèmes, l’accès à un médecin de famille et le développement de la première ligne. On a essayé de bidouiller ce système imparfait en rajoutant des primes et des incitatifs qui, on vient de le voir, le rendent plus opaque et moins gérable.

Il y a d’autres façons de payer les médecins, comme le salariat ou la capitation, où l’on paie les médecins non pas en fonction des actes qu’ils posent, mais plutôt du nombre de patients qu’ils prennent en charge. Ou encore un mélange de ces différentes formes de rémunération.

La capitation est un outil idéal pour convaincre les médecins de prendre plus de patients. C’est aussi un système qui réduit les visites inutiles, puisque les médecins ne sont pas payés à l’acte, et qui les pousse à mieux résoudre les problèmes de leurs patients, à défaut de quoi ceux-ci reviendront dans leurs cliniques. C’est également un modèle qui les incitera davantage à travailler en collégialité, parce qu’ils ne seront pas pénalisés si l’acte est posé par quelqu’un d’autre.

Ces formules de rémunération sont déjà plus utilisées en Ontario. Elles prennent une place croissante dans de très nombreux pays, selon les analyses du Commonwealth Fund. Et le Québec ? Il est en retard. Comme pour l’informatisation, comme pour les modes de financement des hôpitaux.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.