CROISSANCE ÉCONOMIQUE

Un modèle qui arrive à ses limites

C’est fou tout ce qu’on peut faire pour soutenir la croissance économique ! On l’encourage à coup de subventions et de baisses d’impôt. On la stimule par le marketing et la publicité. Et on la dope avec le crédit facile et l’endettement.

Avec bien peu de résultats, est-on forcés de constater depuis 30 ans.

Dans les pays industrialisés, la croissance économique ralentit lentement et inexorablement depuis 30 ans.

« Ce modèle de croissance à tout prix arrive à ses limites. Il n’arrive plus à générer de croissance et il n’est pas réformable. Il faut rompre avec ce modèle ».

— Yves-Marie Abraham, professeur au département de management de HEC-Montréal.

Yves-Marie Abraham est un oiseau rare. Prôner la décroissance au sein de la très orthodoxe école des HEC n’est certainement pas une position confortable, mais le fait que ce discours puisse s’exprimer maintenant dans nos universités est un signe qu’il n’est plus réservé aux granos et aux écolos.

La décroissance comme voie d’avenir n’a rien à voir avec la baisse du Produit intérieur brut ou une récession qu’on subit comme une maladie. « C’est une décroissance volontaire et décidée, qui suppose un vrai virage », explique Yves-Marie Abraham.

Cela repose sur l’idée que malgré tous ses bienfaits, la croissance économique fait maintenant plus de tort que de bien à l’homme et à la planète. La surproduction et la surconsommation épuisent les ressources et mènent directement vers un mur.

L’alternative ? Penser autrement. « On arrête de croire que quand le PIB va, tout va, dit le professeur Abraham. On arrête de se préoccuper de la croissance pour se donner d’autres objectifs ».

L’augmentation du revenu générée par la croissance économique est un élément important du bien-être d’une société, reconnaît Yves-Marie Abraham. « Mais à partir d’un certain niveau du PIB, il n’y a plus de corrélation entre le bien-être et la croissance économique », souligne-t-il.

L’argent, on le sait bien, ne fait pas le bonheur. Le Québec illustre bien cet adage. Alors que son PIB par habitant n’est pas parmi les plus élevés du monde, la province se hisse dans le peloton de tête des sociétés les plus heureuses dans les classements internationaux comme Vivre mieux, publié par l’Organisation de coopération et de développement économique.

Selon Yves-Marie Abraham, les sociétés occidentales ont dépassé depuis longtemps un niveau de revenu qui assure la satisfaction de leurs besoins. Elles peuvent se donner d’autres objectifs, comme s’assurer que tous aient de quoi manger et une vie agréable.

« Il faut arrêter de courir après des choses sans intérêt », résume-t-il. Utopique ? « Penser qu’on peut continuer à croître indéfiniment, c’est encore plus utopique ».

DÉVELOPPEMENT DURABLE

La machine économique a réagi aux signaux d’alerte que donne la planète en mettant de l’avant le développement durable, plus soucieux des dommages collatéraux de la croissance, comme la pollution de l’air et de l’eau.

Quand des signaux de pénurie apparaissent, comme ça a été le cas avec le pétrole, des solutions apparaissent, comme la voiture électrique qui pourrait permettre de s’en passer un jour.

« Je suis totalement contre l’automobile. L’auto électrique peut être une solution transitoire, mais ce n’est pas un vrai virage. La solution, c’est moins de transport. Il faut relocaliser nos modes de vie pour ne plus avoir besoin de déplacer des humains et des marchandises sur des milliers de kilomètres ».

Le discours du développement durable n’a rien donné du tout, estime Yves-Marie Abraham. « C’est polluer moins pour pouvoir polluer plus longtemps et repousser le problème à plus tard », tranche-t-il.

Éric Pineault, économiste et professeur à l’UQAM, n’est pas loin de penser la même chose. « Le développement durable envoie un faux signal, celui que la croissance infinie dans notre monde fini est possible », avance-t-il.

La décroissance, selon lui, est un signal d’alarme qui veut nous conduire à une prise de conscience, chacun individuellement.

« Les surconsommateurs que nous sommes devenus trouvent normal que les biens qu’ils achètent ne durent pas et ne soient pas réparables. Ils valorisent la nouveauté et le changement, et donc le gaspillage. »

— Éric Pineault, économiste et professeur à l’UQAM,

« Ils acceptent, poursuit le professeur, que des machines remplacent le travail humain partout, y compris pour se nourrir avec des surgelés. »

Il faut se poser des questions. Se demander par exemple si on doit continuer de manger des oranges transportées sur des milliers de kilomètres et qui, une fois rendues à destination, ne goûtent plus rien. S’interroger sur la nécessité de mettre du marbre venu d’Italie dans notre salle de bain. Bref, faire un reset pour se remettre sur une trajectoire plus viable, estime Éric Pineault.

« C’est un travail personnel, poursuit-il. Ça ne se légifère pas ». Les gouvernements auront ensuite un rôle à jouer pour réorienter l’économie vers de nouveaux objectifs. Ce pourrait être de sortir le Québec du pétrole sur une période de 50 ans, illustre-t-il.

L’action des gouvernements est essentielle et comme leurs moyens dépendent des taxes et impôts qu’ils prélèvent, la croissance économique est une nécessité. C’est vrai, dit Éric Pineault.

« C’est ce que je dis toujours : il faut de la croissance pour faire de la décroissance. Appelons ça le paradoxe de Pineault ».

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