Publicités de cigarettes électroniques

Le retour de Marlboro Man

Le Marlboro Man renaît de ses cendres. Des années après avoir été bannies de l’espace médiatique américain, les publicités de tabac montrant des hommes virils – et des femmes fatales – sont de retour aux États-Unis pour vanter les mérites de la cigarette… électronique.

Et si rien n’est fait pour les en empêcher, ces publicités que l’on croyait d’une époque révolue envahiront bientôt le Québec, prévient le professeur Timothy Dewhirst, expert des stratégies de marketing employées par les grands fabricants de cigarettes.

Acteur sexy qui vapote au nom de la liberté, jeune femme aux jambes fuselées qui vapote « avec style », homme entouré d’une horde d’admiratrices : les publicités de cigarettes électroniques publiées dans les magazines américains ressemblent à s’y méprendre à celles utilisées dans le passé par les fabricants de cigarettes.

« Les thèmes sont les mêmes. Les produits sont associés à une masculinité forte, à la sophistication, au sex-appeal et au glamour », analyse M. Dewhirst, professeur associé au département d’études de marketing et de consommation à l’Université de Guelph, en Ontario.

M. Dewhirst sera entendu aujourd’hui par la Commission de la santé et des services sociaux dans le cadre des audiences publiques sur le projet de loi 44 visant à renforcer la lutte contre le tabagisme. L’expert expliquera que la promotion de la cigarette électronique risque de miner considérablement les efforts déployés au cours des dernières années pour rendre le tabagisme socialement inacceptable au Québec.

« Bien que les cigarettes électroniques, en tant que produit, aient le potentiel d’aider certaines personnes à cesser de fumer, de nombreuses initiatives promotionnelles mettent en lumière des groupes cibles et des objectifs qui indiquent toute autre chose », souligne M. Dewhirst. Il cite en exemple une publicité de la marque Blu qui proclame : « Pourquoi cesser de fumer ? Changez pour Blu. » 

« Cette publicité n’incite pas les gens à cesser de fumer. En fait, elle les encourage à poursuivre leur consommation de nicotine. »

— Timothy Dewhirst, professeur associé au département d’études de marketing et de consommation à l’Université de Guelph, en Ontario 

Acteur important dans le marché américain de la cigarette électronique, Blu a d’abord été acquis par le grand cigarettier Lorillard avant d’être racheté, en 2014, par Imperial Tobacco Group PLC.

LES CIGARETTIERS À L’ASSAUT DU MARCHÉ

Aux États-Unis, le marché des cigarettes électroniques, en pleine expansion, est de plus en plus dominé par les grands fabricants de tabac.

« Si l’on se fie aux antécédents des cigarettiers, notamment pour la promotion de leurs produits auprès des jeunes et pour les stratégies de marketing afin de maintenir la dépendance des fumeurs, leur incursion dans le marché de la cigarette électronique n’a rien de rassurant », s’inquiète Mélanie Champagne, de la Société canadienne du cancer.

Sans prôner l’élimination de la cigarette électronique, les groupes antitabac appellent à la prudence dans sa mise en marché. « On a travaillé des années et des années contre ce genre de publicités. On ne veut pas revenir à la normalisation du tabagisme », explique Manon Lecours, de la Fondation des maladies du cœur du Québec.

« On s’est tellement battu, le gouvernement a mis tellement d’argent là-dedans, il ne faut pas perdre nos acquis. »

— Manon Lecours, de la Fondation des maladies du cœur du Québec

LA POINTE DE L’ICEBERG

Si les publicités de cigarettes électroniques n’ont pas encore envahi les journaux et les magazines du Québec, on compte de plus en plus d’annonces à radio, sur le web et sur les réseaux sociaux. La marque québécoise VAPUR s’affiche aussi dans les dépanneurs, en plus de commanditer des événements comme le Bal en blanc et le festival Bières et saveurs de Chambly.

« On peut s’attendre à l’arrivée de beaucoup plus de publicités de type “style de vie” si la loi n’est pas claire à ce sujet. Il suffit de regarder quelques exemples de publicités américaines pour remarquer que les publicités actuellement répertoriées au Québec ne constituent que la pointe de l’iceberg quant au marketing possible », souligne la Dre Geneviève Bois, de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac.

Les groupes antitabac réclament que la cigarette électronique soit assujettie aux mêmes restrictions sur la promotion que les cigarettes conventionnelles, comme le prévoit d’ailleurs le projet de loi 44. Ainsi, les publicités associant l’usage de cigarettes électroniques à un style de vie seraient interdites. Seules les publicités informatives, qui fournissent des renseignements factuels, seraient permises.

Cette perspective mécontente Luc Martial, vice-président de Casa Cubana, l’entreprise derrière la cigarette électronique VAPUR. « Ce produit, c’est une alternative au tabagisme. On aurait pu penser que le gouvernement voudrait le rendre le plus visible, le plus accessible possible. Est-ce que tu veux que les gens arrêtent de fumer, oui ou non ? C’est ça, la question. Si c’est oui, pourquoi est-ce que tu veux une réduction sur la publicité ? Ça ne tient pas debout ! »

LA CIGARETTE ÉLECTRONIQUE INCITERAIT LES JEUNES À FUMER

Les adolescents qui utilisent des cigarettes électroniques ont plus tendance à commencer à fumer du tabac que ceux qui n’ont jamais essayé le vapotage, suggère une nouvelle étude menée aux États-Unis. Cette étude publiée dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) porte sur 2530 collégiens de Los Angeles qui n’avaient jamais fumé de tabac à l’automne 2013. Ils étaient alors âgés de 14 ans. Un an après, 25 % des vapoteurs ont dit avoir essayé le tabac, contre 9 % pour ceux qui n’avaient jamais vapoté. « Ces données fournissent une nouvelle indication que le vapotage paraît lié à un risque accru de commencer à fumer du tabac au début de l’adolescence », écrivent les chercheurs. Ils déplorent les campagnes publicitaires des fabricants de cigarettes électroniques qui ciblent la jeunesse en proposant notamment des saveurs attrayantes pour les adolescents. — D’après l’Agence France-Presse

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