Rapport du Jeune Barreau de Montréal

Trop d’avocats, pas assez de contrats

Catherine Sénéchal s’est endettée de 20 000 $ pour étudier en droit, convaincue de miser sur une carrière prometteuse. Avocate depuis quelques mois, elle va cependant de déception en désillusion.

Les emplois sont rares, mal payés et peu gratifiants. Ouvrir son propre bureau coûte cher, exige beaucoup de tâches administratives, les clients sont peu nombreux et rechignent à payer.

Bref, le titre de « maître » n’est pas un passeport pour le succès.

« Ceux qui pensent que les avocats gagnent plus de 100 000 $ en commençant se trompent ! », affirme Catherine Sénéchal, qui vient de se lancer à son compte, faute d’emploi intéressant. « Les conditions sont affreuses. Pour recruter des clients sur Kijiji, je dois annoncer mes services à 60 $ de l’heure. »

Son expérience fait écho à un rapport du Jeune Barreau de Montréal (JBM), publié le mois dernier, qui peint un sombre portrait de la condition des avocats en début de carrière et lance un signal d’alarme.

« On vient de frapper un mur. Il y a trop d’avocats, alors c’est difficile de se trouver un emploi, qui sera de moins en moins payant, et sans doute pas satisfaisant. Le moral des troupes est au plus bas. »

— Caroline Larouche, présidente du Jeune Barreau de Montréal

Selon le Barreau du Québec, le revenu moyen des avocats ne baisse pas, il augmente ; la hausse serait d’ailleurs importante chez les avocates, dont les salaires affichent un retard considérable.

CHUTE DE REVENUS

Mais pas pour les nouveaux diplômés, rétorque le JBM. Leur salaire affiche un recul ou une stagnation, selon d’autres données.

La Presse a parlé à une dizaine de jeunes avocats pour ce reportage. Leurs revenus ne dépassaient pas 40 000 $. Ceux qui travaillent à leur compte ne se versent pas de salaire au début. Une avocate ayant deux maîtrises, qui enseigne dans une faculté de droit, doit compter sur le salaire de son conjoint parce que sa pratique ne lui procure pas de revenus suffisants.

« La recherche d’emploi est difficile, même avec un excellent profil », confirme Dominique Tardif, vice-présidente du cabinet de recrutement juridique ZSA. Les grands cabinets sont saturés, ce qui confine les nouveaux diplômés aux petits bureaux, qui paient moins. Ouvrir son propre cabinet signifie quelques années de vaches maigres, dit-elle.

« Je ne suis pas choquée de voir de jeunes avocats gagner 35 000 ou 45 000 $, rétorque la Bâtonnière du Québec, Claudia Prémont. Il faut être réaliste et ne pas s’attendre à 100 000 $ au début. »

Reste que le train de vie des jeunes avocats est loin de celui de l’ambitieuse Ariane, vedette de la télésérie Ruptures, qui travaille dans des bureaux au design branché et fréquente des restos chics. Il s’approche plutôt de celui de MMarlin, l’avocat format réduit de Série Noire, qui vit dans le sous-sol chez sa mère et accepte n’importe quel mandat.

Certains regrettent leur choix de carrière. « J’ai l’impression de m’être fait avoir », témoigne Myriam Cossette-Voyer, actuellement sans emploi, après avoir occupé divers postes depuis l’obtention de son diplôme en 2012. « Pour avoir un bon salaire, il faut travailler dans les grands bureaux, qui embauchent 5 % des avocats. Et ils font des semaines de travail tellement longues, ils sont exténués. »

« Je ne conseillerais cette carrière à personne. »

« L’ÉLITE DE DEMAIN »

La frustration des jeunes avocats est décuplée par les messages contradictoires qu’ils ont reçus. « On nous a menti à l’université en nous faisant miroiter des taux de placement de 95 %, dans des emplois bien rémunérés, en nous disant que nous étions “l’élite de demain” et que toutes les portes seraient ouvertes. Bullshit ! », dénonce Guillaume Loiselle-Boudreau, au cours d’une entrevue par Skype.

Après sa formation du Barreau, en 2013, et plus d’un an pour trouver un stage (obligatoire pour obtenir son diplôme), puis six mois de recherche d’emploi infructueuse, il est parti faire du travail humanitaire au Pérou, avec sa conjointe et leurs deux jeunes enfants. Sans salaire, il doit rembourser ses prêts étudiants avec son allocation de subsistance et appréhende son retour au pays, dans quelques mois.

« Des amis ont fait des dépressions après six, dix mois à chercher du travail, à envoyer des centaines de CV sans même recevoir un accusé de réception. »

— Guillaume Loiselle-Boudreau, dont la formation au Barreau date de 2013

Geneviève Trépanier a laissé son emploi d’enquêteuse dans la police pour retourner sur les bancs de la faculté de droit. Elle a vendu son condo et pris une marge de crédit pour payer ses études. Quatre ans plus tard, elle gagne moins de la moitié de son salaire d’avant et entretient peu d’espoir de voir ses conditions s’améliorer bientôt.

« J’étais prête à recommencer à zéro, mais je ne m’attendais pas à d’aussi gros sacrifices », confie l’ex-policière, qui travaille maintenant pour un cabinet spécialisé dans la contestation des contraventions. 

POURSUIVRE SA FACULTÉ

Le même problème touche les avocats partout en Amérique du Nord. En mars dernier, un tribunal de la Californie a entendu la cause d’une diplômée en droit, endettée de 170 000 $ pour ses études, qui poursuit sa faculté pour fausse représentation parce qu’elle n’a toujours pas d’emploi dans son domaine après huit ans.

La plaignante accuse son université d’avoir gonflé les statistiques d’emploi de ses diplômés pour attirer plus d’étudiants. Quinze autres poursuites du genre ont été déposées chez l’Oncle Sam.

On n’en est pas encore là au Québec, mais la colère gronde tout de même.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.