politique québécoise

Tour d’horizon des nouvelles politiques du jour à Québec

ANALYSE

Les coulisses du chemin de croix

QUÉBEC — À l’Assemblée nationale, tout est bon pour essayer de marquer des points politiques – même le crucifix, suspendu depuis 1936 au-dessus de la tête du président.

Moins d’une heure avant la période des questions, jeudi, le leader parlementaire du gouvernement, Simon Jolin-Barrette, a annoncé aux partis de l’opposition qu’ils auraient à se prononcer dans les prochaines minutes sur le retrait de ce symbole religieux du Salon bleu, et son installation ailleurs dans le parlement. C’était, rappelons-le, une des principales recommandations du rapport Bouchard-Taylor, il y a 11 ans.

Du côté du gouvernement, on savait bien qu’une telle décision, prise à toute vapeur, était susceptible de provoquer des débats émotifs chez les partis adverses, chez les libéraux surtout.

Les péquistes ont adopté cette position il y a longtemps – il n’y a pas eu de débat au caucus de Pascal Bérubé. Idem du côté de Québec solidaire. Les caquistes, eux, avaient déjà fait leur chemin de croix, dans un caucus houleux à Gatineau, puis dans une réunion plus récente, au parlement. Jeudi matin, François Legault, comme d’habitude, n’était pas au caucus précédant la période des questions ; c’est M. Jolin-Barrette, ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, qui a fait l’annonce à ses pairs.

L’entourage de François Legault a frôlé la paranoïa dans tout ce qui concerne le débat explosif sur la laïcité. 

Plusieurs députés que La Presse a tenté de joindre ont signalé l’appel au bureau de François Legault ou du whip, Éric Lefebvre, député d’Arthabaska, sans aucun suivi. Chez ceux qui brisaient l’omerta, on ne cachait pas que c’est au caucus de Gatineau, en janvier dernier, que les élus caquistes s’étaient vidé le cœur. « Ç’a été émotif, beaucoup de députés souhaitaient le maintien du crucifix à l’Assemblée nationale », confie-t-on ; 80 % « de ceux qui ont parlé » étaient contre, explique-t-on également. 

De plus, une très nette majorité des députés caquistes était carrément opposée à ce que le projet de loi retienne l’idée d’une clause de droits acquis (« clause grand-père ») pour protéger le droit de porter un signe religieux de ceux qui sont déjà en poste. Les caquistes craignaient que cette décision soit vue comme un recul par les électeurs. « Cette clause ne faisait vraiment pas consensus », résume-t-on. Mais les gens se sont ralliés, le ministre Jolin-Barrette a insisté sur le fait qu’il fallait considérer le projet de loi « dans son ensemble » : « on allait loin avec la clause dérogatoire, enlever les possibilités de poursuite », aussi le gouvernement devait-il montrer un peu d’empathie en respectant les droits acquis.

En fait, expliquent des vétérans chez les juristes du gouvernement, Simon Jolin-Barrette y était forcé s’il voulait éviter tout recours en justice. La Cour suprême, dans les arrêts Ford et Irwin Toy, avait établi que l’effet de la disposition de dérogation ne pouvait être que prospectif – un employé embauché avant l’adoption de la loi conservait la possibilité de la contester en cour.

En ce qui concerne le crucifix, jeudi matin, les députés caquistes étaient déjà préparés au retrait ; personne n’a exprimé son opposition. Le débat a été expédié – le caucus du matin dure environ une demi-heure. Dans une précédente réunion, François Legault avait rappelé qu’il était au départ opposé à ce qu’on retire le crucifix de l’Assemblée nationale, « mais devant les arguments, [s]on esprit s’est ouvert », aurait-il expliqué. Une demi-douzaine de députés caquistes étaient absents au moment du vote.

les libéraux divisés

Comme leader parlementaire du gouvernement, M. Jolin-Barrette a, dès le dépôt de sa motion, demandé un vote par appel nominal, ce qu’il n’avait pas fait depuis le début de la législature, en octobre.

L’intention était claire, prendre de court les adversaires libéraux. Cible touchée. Bien que rien n’ait paru publiquement, les députés libéraux ont traversé un débat « très houleux », en quelques minutes, avant le vote. À la fin des échanges, le chef intérimaire Pierre Arcand a tranché : on va voter pour la motion. Mais bien des députés étaient réticents. 

Au moment du vote, le tiers des députés libéraux brillaient par leur absence, ayant préféré partir plutôt que de cautionner le retrait du crucifix. 

Des députés de circonscriptions à la population francophone vieillissante ou à forte représentation ethnique y étaient opposés – en gros, les deux tiers des libéraux voulaient le statu quo. Lise Thériault a été particulièrement véhémente, évoquant le souhait de ses électeurs – elle était d’ailleurs absente au moment du vote, tout comme Marwah Rizqy, Enrico Ciccone, Saul Polo, Isabelle Melançon et Paule Robitaille. Une autre adversaire probable, Christine St-Pierre, était absente, mais pour des raisons de santé, tout comme Gaétan Barrette, clairement favorable, lui, à ce qu’on déplace le crucifix.

Filomena Rotiroti, la présidente du caucus, était, dit-on, consternée par cette opération, viscéralement opposée au retrait du symbole – elle a finalement voté pour la motion parce qu’on s’y engageait à le placer dans un autre endroit, respectueux, dans l’hôtel du Parlement. Francine Charbonneau a aussi voté pour la motion, mais à contrecœur, semble-t-il. Elle déplorait vivement que la stratégie du gouvernement ait empêché les élus de prendre le pouls de leurs électeurs. David Birnbaum voulait le conserver – il a finalement voté en faveur du retrait.

Élevé dans la religion, Carlos Leitão était, lui, favorable à la motion. Sébastien Proulx, leader parlementaire des libéraux, a eu une intervention déterminante : « Voulez-vous que la nouvelle, demain, soit : “Les libéraux refusent d’enlever le crucifix” ? » Un parti qui doit se rapprocher de la population francophone doit accomplir des gestes en ce sens. Devant les tergiversations, l’avocat du caucus, Marc Tanguay, député de LaFontaine, a décidé de couper court à l’agonie et demandé au chef Pierre Arcand de trancher.

Dès 1936

Voici « le » crucifix qui, peu après l’élection de Maurice Duplessis en 1936, avait été exposé au-dessus de la tête du président de l’Assemblée nationale, et qui devait représenter la convergence de l’Église et de l’État. La croix qui se trouve actuellement au Salon bleu est une version plus moderne, proposée en 1982 par l’artiste Romuald Dion, alors que Claude Vaillancourt était président. Les archives de l’Assemblée nationale possédaient deux exemplaires ressemblants de ce crucifix de 1936, mais à partir de photos d’époque, on a pu établir lequel était celui qui avait été accroché au « Salon de la race ». On y voit clairement, dans le bois blond, une veine plus sombre. Quant au crucifix de 1936, on ne retrouve pas aux archives de trace explicite de la demande d’exposition qui aurait été faite par Maurice Duplessis, à la différence du fleurdelisé hissé à la tour du Parlement, qui avait, lui, fait l’objet d’un décret officiel du gouvernement unioniste.

Laïcité

Plante visée par des « messages violents »

Moins de 24 heures après avoir lancé un appel au calme dans le débat sur la laïcité, la mairesse Valérie Plante déplore déjà les « messages violents » dont elle est la cible. « Je suis politicienne, ça fait partie de mon travail, mais les messages que je reçois depuis hier sont épouvantables. C’est très frontal, très agressif, même très violent par moments », a dénoncé Valérie Plante lors d’un point de presse hier matin. À la suite du dépôt du projet de loi 21 sur la laïcité, la mairesse avait dit souhaiter un débat serein. « Je lance un appel au calme. Ce n’est pas par des insultes sur les réseaux sociaux que nous ferons avancer ce débat », avait-elle dit. Elle n’a visiblement pas été entendue par plusieurs. Elle s’est dite inquiète de voir le débat s’envenimer et que les citoyens portant des signes religieux soient visés. — Pierre-André Normandin, La Presse

Politique

Claire Samson s’excuse après une rencontre houleuse dans une garderie

Des parents ont déploré le ton « arrogant et méprisant » de la députée caquiste

QUÉBEC — La députée de la Coalition avenir Québec (CAQ) Claire Samson a présenté des excuses par communiqué, hier, après avoir été critiquée pour son comportement lors d’une rencontre dans une garderie de sa circonscription.

Hier, elle n’avait toujours pas communiqué avec certains parents qui ont été choqués par sa conduite. Et elle ne sera pas sanctionnée par le premier ministre François Legault.

La députée d’Iberville s’est rendue à la garderie Les Contes Enchantés, à Saint-Césaire, il y a huit jours, pour rencontrer les dirigeants de l’établissement et des parents. Certains d’entre eux sont sortis de cette rencontre à ce point éberlués qu’ils ont joint le quotidien La Voix de l’Est pour dénoncer le ton « arrogant et méprisant » de Mme Samson. Une autre citoyenne a écrit au premier ministre lui-même pour dénoncer l’« incivilité » de sa députée.

« Je n’aime pas parler en mal des gens, mais le mot qui me vient est “hautain” », a résumé en entrevue Mélissa Robert, dont les jumeaux fréquentent la garderie.

Au cours de la rencontre, cette mère de famille a exprimé à la députée son insatisfaction au sujet des services à la petite enfance offerts dans la région. Elle a expliqué qu’aucune garderie familiale ne pouvait accueillir ses deux enfants en même temps et que, comme plusieurs parents, elle n’avait jamais été en mesure d’obtenir des places dans un centre de la petite enfance (CPE) à contribution réduite. Elle a donc été obligée d’inscrire ses enfants à un établissement privé, au tarif de 39,75 $ par jour, par enfant.

« C’est difficile pour moi. La moitié de ma paye part en services de garde et je n’ai rien de payé encore. C’est là qu’elle a dit que les parents qui sont intelligents, ils envoient leurs enfants là où ils ont les moyens de payer. » — Mélissa Robert

Pour appuyer son propos, la députée a expliqué aux participants qu’elle conduit une Mercedes et qu’elle refuserait de prendre la route au volant d’une voiture d’entrée de gamme par crainte pour sa sécurité.

« Elle nous a expliqué qu’elle aime le luxe, qu’elle a choisi une voiture de luxe et que le jour où on lui a prêté une Kia, elle avait peur de ne pas se rendre, a relaté Mme Robert. Je me suis dit : “Mon Dieu, elle parle à des gens qui ont les moyens de rouler en Kia et pas en Mercedes.” J’ai trouvé ça complètement déplacé. »

Mme Samson s’est présentée à la rencontre seule, sans attaché politique, et elle n’a pas salué les parents qui l’attendaient. Selon Mme Robert, elle n’a pris aucune note pendant que les participants exprimaient leurs préoccupations. Elle a irrité les éducatrices de l’établissement en les qualifiant de « gardiennes ». Elle a également menacé de couper court aux échanges en affirmant que la conversation la mettait « de mauvaise humeur ».

Des excuses par écrit

Mme Samson a présenté ses excuses dans une déclaration écrite diffusée par le gouvernement Legault.

« La députée Claire Samson tient à s’excuser si ses propos tenus lors d’une récente rencontre auprès des représentants de la garderie Les Contes Enchantés, de Saint-Césaire, ont pu offenser quiconque », peut-on lire dans le communiqué publié par l’aile parlementaire du gouvernement Legault.

Afin de nouer des « dialogues constructifs et respectueux avec tous les intervenants du milieu », le gouvernement Legault dit avoir joint rapidement les citoyens mécontents pour faire la lumière sur la situation.

« Ces échanges ont été très courtois et ont permis de proposer une seconde rencontre auprès des intervenants afin d’écouter les préoccupations des éducatrices en service de garde non subventionnées. »

— Michel Vincent, porte-parole de l’aile parlementaire de la CAQ

Ni Mme Samson ni aucun employé du gouvernement Legault n’avait communiqué avec Mélissa Robert lorsque La Presse l’a jointe hier midi.

« J’aimerais un minimum d’excuses, a dit Mme Robert. Je suis citoyenne, je suis allée voter. Dans ma tête, quand on est député, on peut ne pas avoir les mêmes idées, on peut ne pas partager les mêmes idéaux, mais il faut au minimum avoir de l’écoute et être respectueux, et on n’a pas eu droit à ça. »

Après la prestation de serment des députés de son parti, François Legault les avait appelés à faire preuve d’« humilité » et à s’élever « au-dessus des considérations partisanes ».

Quelques jours plus tard, M. Legault a formé son cabinet et Mme Samson en a été exclue. La députée s’est dite blessée par la décision de son chef et elle a un temps jonglé avec l’idée de démissionner.

Politique

« Lâchez-nous avec l’islam ! », lance Dorion

Québec solidaire, réuni en conseil national, reconsidère sa position sur le port de signes religieux

QUÉBEC — Québec solidaire « est en train de redessiner un indépendantisme qui assume profondément son antiracisme », a soutenu la députée Catherine Dorion à l’ouverture du conseil national du parti, hier soir.

C’est à cette occasion que les délégués décideront si le parti change de position sur le port de signes religieux pour s’opposer à toute interdiction, une avenue qui paraît fort probable.

« Lâchez-nous avec l’islam et les chartes des valeurs ! », a lancé l’élue de Taschereau, dans une allusion au défunt projet du Parti québécois et au lendemain du dépôt du projet de loi du gouvernement Legault sur la laïcité de l’État.

Selon elle, « ce qui menace notre culture, ce n’est pas l’islam ». « Ce n’est pas les musulmans qui sont partout dans les couloirs à mettre du gros cash pour influencer nos gouvernements, c’est le capitalisme qui couche dans le lit de nos gouvernements ! » Ses propos ont été suivis d’applaudissements nourris.

Une nette majorité des associations de circonscription qui ont tenu une assemblée générale récemment se sont prononcées contre la position traditionnelle du parti sur le port de signes religieux, c’est-à-dire la recommandation du rapport Bouchard-Taylor. Elles réclament que QS s’oppose à toute interdiction, selon ce qu’ont indiqué des partisans de cette position hier soir. Ils tenaient un kiosque sur place pour faire valoir leur point de vue, « l’option B ».

Il n’y avait aucun kiosque pour « l’option A », en faveur de la recommandation du rapport Bouchard-Taylor. « On est moins volubiles, mais notre position est pragmatique », a affirmé l’un de ses partisans, de la circonscription de Repentigny.

Les délégués choisiront officiellement l’une ou l’autre des options aujourd’hui. Dans son discours, le chef sur papier de QS et responsable du secrétariat général, Gaétan Châteauneuf, a appelé les militants à tenir un débat « dans le respect » sur cet enjeu « émotif ». Il y a déjà eu des « dérapages » dans le passé lorsque le sujet est venu sur le tapis, a ajouté une représentante, lançant elle aussi un appel au calme. L’organisation était clairement soucieuse que les troupes restent unies à l’issue du débat, peu importe le résultat.

QS appuie depuis des années la recommandation du rapport Bouchard-Taylor, celle de proscrire les signes religieux pour les agents de l’État ayant un pouvoir de coercition (policiers, agents correctionnels, procureurs de la Couronne et juges). Françoise David avait déposé un projet de loi en ce sens, en 2013. Quatre ans plus tard, Amir Khadir et Manon Massé réitéraient formellement cette position en Chambre. Des pressions à l’interne avaient été exercées pour que cette position soit revue avant les élections de l’automne dernier, mais le comité de coordination national – le bureau de direction du parti – avait rejeté l’idée, comme le recommandait Amir Khadir.

Mais après le scrutin, des associations de circonscription ont demandé de rouvrir le débat. Le feu vert a été donné cette fois.

Les associations se prononcent

Dans les dernières semaines, la plupart des associations de circonscription de QS se sont réunies en assemblées générales pour prendre position et mandater les délégués en vue du conseil national.

Porte-parole de QS en matière de laïcité, le député Andrés Fontecilla a ainsi vu les militants de sa circonscription (Laurier-Dorion, à Montréal) rejeter sa position en faveur de la recommandation Bouchard-Taylor.

Ils ont voté pour que le parti change son fusil d’épaule et s’oppose à toute interdiction quant au port de signes religieux, comme le Parti libéral. Les militants de Mercier se sont prononcés dans le même sens. Or leur députée Ruba Ghazal préconise « l’option A ».

Cette tendance s’observe aussi en dehors de la métropole : par exemple, les associations de Bonaventure, en Gaspésie, de Rouyn-Noranda–Témiscamingue et de Sherbrooke ont rejeté la recommandation Bouchard-Taylor et voté contre toute interdiction. Dans Repentigny, le vote a été si serré en faveur de « l’option A » que la moitié des délégués a reçu le mandat de se prononcer aujourd’hui pour cette option et l’autre, pour « l’option B ».

La commission politique et celle des femmes de QS se sont prononcées contre la position traditionnelle du parti.

Un militant proche de l’aile parlementaire de QS, ex-employé du parti, a résumé la situation ainsi : « Il y a autant de chances que le parti change de position qu’il y en a que le Lightning fasse les séries. » L’équipe de Tampa Bay trône au sommet du classement de la Ligue nationale de hockey…

« Le débat va avoir lieu [aujourd’hui], mais il y a une tendance pour “l’option B” », a déclaré de son côté Eve Torres, qui fut la première femme voilée candidate à une élection au Québec lors du scrutin du 1er octobre. Selon elle, le projet de loi 21 « ne respecte pas les droits de la personne » et « va faire mal à notre climat social ».

Le texte législatif du gouvernement Legault proscrit le port de signes religieux chez les enseignants et des représentants de l’État en position d’autorité comme les policiers, les avocats et les agents correctionnels.

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