Nigeria

« Le compte à rebours » est commencé pour Boko Haram

Boko Haram, qui sème la terreur depuis des années dans le nord-est du Nigeria, est sur la défensive et lutte pour sa survie. La défaite définitive du groupe terroriste ne serait cependant qu’une victoire temporaire si les maux de société qui ont contribué à son essor perdurent, prévient le documentariste français Xavier Muntz.

Où en est la bataille contre Boko Haram au Nigeria ?

Xavier Muntz, qui a séjourné dans le nord-est du Nigeria au début de 2016 pour produire le documentaire Boko Haram – Les origines du mal, estime que « le compte à rebours » est commencé pour le groupe terroriste. Les forces de la coalition militaire régionale formée il y a quelques années pour le contrer ont repris les villes conquises dans l’État de Borno, forçant les combattants à se replier dans les zones rurales, sans pour autant les éradiquer. Le mouvement n’arrive plus à recruter et ses combattants doivent faire des razzias pour tenter de renouveler leurs rangs et se nourrir, relève M. Muntz. « Le soutien du public s’est dilué dans la masse de violence dont Boko Haram est responsable », note-t-il.

Le mouvement dispose-t-il aujourd’hui d’un programme idéologique et politique clair ?

Le documentariste décrit Boko Haram comme un groupe de « meurtriers prédateurs » sans orientation idéologique claire qui multiplient tous azimuts les actes de violence à leur profit. L’adhésion annoncée en 2015 au groupe armé État islamique apparaît comme un « coup de communication » et non comme une réelle adhésion idéologique à l’organisation djihadiste, relève M. Muntz. La situation était tout autre au début des années 2000, lorsque Boko Haram a pris forme à Maiduguri, capitale de l’État de Borno, sous la gouverne d’un religieux populaire, Mohamed Youssouf, qui dénonçait la corruption des élites politiques et la pauvreté. Sa proposition sur l’application stricte de la charia trouvait alors écho auprès de la population musulmane locale, qui y voyait une manière de sortir du marasme.

Comment Boko Haram a-t-il versé dans la violence ?

Le documentaire de Xavier Muntz, qui est diffusé aujourd’hui à 15 h dans le cadre du festival Vues d’Afrique, montre que Boko Haram s’est progressivement radicalisé. Après avoir été berné par un gouverneur local qui lui avait promis d’imposer la charia de manière rigoureuse en échange de son appui électoral, Mohamed Youssouf durcit le ton face aux autorités et se retrouve en froid avec Abuja, qui l’arrête brièvement. Les tensions croissantes tournent à l’affrontement en 2009 après une série d’incidents et entraînent une intervention musclée de l’armée, qui tue des centaines d’insurgés lors d’une bataille sanglante à Maiduguri. Des images obtenues par M. Muntz montrent des hommes tués à bout portant par les forces de sécurité. Mohamed Youssouf figure parmi les personnes exécutées dans l’affrontement. Ses partisans prennent le maquis et passent sous le contrôle de son chef actuel, Abubakar Shekau, un « faucon » qui préconise la lutte armée.

Les populations civiles sont-elles alors directement visées ?

Selon Xavier Muntz, Boko Haram a d’abord ciblé les forces de sécurité et les politiciens « corrompus » en prenant soin de s’excuser de ses erreurs occasionnelles à la population. Les choses prennent cependant une tournure plus sanguinaire et les cibles s’élargissent alors que les affrontements avec l’armée se multiplient. Les soldats envoyés sur place sont généralement chrétiens, ne connaissent pas les us et coutumes locaux et tendent à considérer tous les musulmans comme des partisans de Boko Haram. Selon le documentariste, leur approche répressive sans discernement favorise la radicalisation d’une partie de la population locale. « L’armée joue un rôle d’agent recruteur pour Boko Haram », note un universitaire interviewé par M. Muntz. Le mouvement gagne en importance et prend progressivement le contrôle de plusieurs villes tout en se servant de pays voisins comme zone de repli.

Quels éléments viennent renverser la donne ?

Le conflit armé avec Boko Haram a fait 30 000 morts et plus de deux millions de personnes déplacées. Mais c’est l’enlèvement de 276 lycéennes à Chibok en avril 2014 qui donne à Abubakar Shekau et son mouvement un retentissement international. Le président nigérian Muhammadu Buhari, qui avait promis en campagne de retrouver les otages et d’anéantir le groupe terroriste, a accentué la pression militaire après son arrivée au pouvoir en 2015. Avec l’appui de trois pays limitrophes aussi touchés par le groupe terroriste, l’armée nationale, longtemps minée par la corruption, regagne rapidement du terrain. Boko Haram répond par la violence, multipliant notamment les attentats-suicides et les enlèvements, sans réussir pour autant à renverser la vapeur.

Est-il possible d’en finir pour de bon avec Boko Haram ?

Xavier Muntz pense que l’élimination des combattants de Boko Haram ne marquera pas la fin de l’histoire si les facteurs qui ont contribué à son ascension ne sont pas éliminés. Le manque d’éducation, les inégalités économiques et la corruption demeurent des problèmes de taille dans l’État de Borno et pourraient contribuer à la résurgence de l’idéologie qui a vu naître le groupe islamiste, prévient le documentariste. Une intervenante locale spécialisée en déradicalisation, Fatima Akilu, prévient qu’il est important d’offrir des perspectives d’avenir aux jeunes pour les détourner de la violence. « Si vous n’avez pas de possibilité de briller, vous allez en chercher une ailleurs. Et parfois, ça peut être très sombre », note-t-elle.

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