Science et alimentation 

La science de Coca-Cola

Le Global Energy Balance Network est un regroupement de chercheurs internationaux qui s’intéressent à l’obésité. Les dirigeants de cet organisme à but non lucratif sont des sommités dans le domaine. La communauté scientifique, et les consommateurs, se posent toutefois des questions sur leur gros bon sens depuis quelques semaines. 

C’est que le mois dernier, les médias américains ont révélé que Coca-Cola est derrière ce réseau, ce que les scientifiques avaient omis d’indiquer sur leur site et dans leurs communications. 

Dans le lot de critiques qui a suivi cette révélation, peu de gens ont remis en question le professionnalisme des chercheurs ou de leurs travaux. Les études citées par le groupe sont sérieuses et respectent des démarches scientifiques rigoureuses. Le principal reproche évoqué est plutôt celui-ci : en mettant l’accent sur l’effet de l’exercice dans la gestion de poids, on a occulté celui de l’apport calorique. Une importante partie des revenus de Coca-Cola, faut-il le rappeler, provient de la vente de produits riches en calories. Autrement dit, les chercheurs ont-ils orienté la science pour le plus grand avantage de Coca-Cola, qui leur a versé 1,5 million de dollars ?

VIEILLE TACTIQUE

C’est une tactique qui ne date pas d’hier, dit Ariel Fenster, professeur de chimie qui enseigne depuis une quarantaine d’années, dont une trentaine à l’Université McGill.

Lorsqu’on a commencé à s’intéresser aux causes des maladies cardiovasculaires, dans les années 70, on a trouvé un lien avec la consommation de sucre, raconte Ariel Fenster. « Le lobby du sucre n’était pas très chaud à cette idée, explique le professeur. Surtout qu’il y avait une autre théorie [celle du chercheur Ancel Keys] qui disait que c’était causé par les gras. » Les fabricants de sucre ont alors décidé de soutenir généreusement les travaux qui allaient en ce sens, poursuit le professeur, et de s’assurer que les résultats soient largement diffusés. On a privilégié un côté de la science, au détriment d’un autre. 

Depuis, les méthodes de Keys ont été remises en question. Pour réaliser une étude internationale, le scientifique a choisi des pays où la consommation de gras était élevée, ainsi que les maladies cardiovasculaires, tout en évitant ceux où ce lien n’existait pas. Comme la France, note Ariel Fenster, où on observe une consommation passionnée de fromages, mais un taux relativement faible de maladies cardiovasculaires.

« Ancel Keys avait dans sa tête que les gras étaient associés aux maladies cardiovasculaires, alors il a pris les données qui satisfaisaient sa théorie. »

— Ariel Fenster, professeur de chimie

Par ailleurs, les pays où il y avait une importante consommation de gras et un taux élevé de maladies cardiovasculaires étaient aussi des pays où on observait une grande consommation de sucre. « Mais ç’a été laissé de côté, explique Ariel Fenster, parce que ça ne soutenait pas la théorie. » Le scientifique a choisi son angle de recherche. « Comme n’importe qui, dit-il, les scientifiques sont sensibles aux lobbies. » 

UNE SEULE VERSION DE LA SCIENCE

En quoi cette situation, ou celle du financement des recherches sur l’obésité par Coca-Cola, diffère-t-elle des subventions faites par des producteurs d’aliments à des universitaires québécois qui s’intéressent à leurs produits ? 

C’est tout à fait comparable, estime Ariel Fenster : « On appelle ça du “cherry picking”. Cela ne donne qu’une version de la science, et c’est pour cette raison qu’il faut être vigilant. »

Son conseil : lorsqu’on s’intéresse à un sujet, il faut multiplier les sources d’information et inclure des études qui ne sont pas financées par l’industrie dans l’analyse de la situation. « Quand vous regardez une étude, vous devez toujours vous demander qui l’a financée, dit Ariel Fenster. Est-ce qu’il y a d’autres études qui ont été faites sur le même sujet ? Et il faut toujours se demander quel est le consensus scientifique. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.