Opinion : Crise du logement

Encore plus difficile pour les femmes

Depuis des années maintenant, nous entendons parler de la pénurie de logements abordables. Le dossier a fait son entrée dans la campagne électorale ces derniers jours. Ce qui est la moindre des choses… compte tenu de l’éloquence des chiffres !

Pour rappel, le taux d’inoccupation des logements a atteint 1,9 % à Montréal en juin 2019, son seuil le plus bas depuis plusieurs années. Pour les logements familiaux de trois chambres ou plus, la proportion chute à 0,8 %. La valeur des propriétés, pour sa part, connaît une hausse de près de 14 % pour 2020.

Ce que ces chiffres ne disent pas, c’est que cette crise du logement a un impact différent sur les femmes.

La panoplie de promesses et de mesures annoncées doit impérativement prendre en compte les besoins spécifiques des femmes.

À défaut de quoi le prochain gouvernement, quel qu’il soit, fera fausse route.

L'histoire de Suzan

Suzan habite un quartier multiculturel de Montréal. Avec ses deux fils, elle fait partie des 82 % de familles monoparentales ayant une femme à leur tête. Un de ses jeunes ados a besoin de soins très spécialisés. Suzan est donc, en plus, proche aidante de son fils. Après plusieurs années d’attente et de démarches, elle a fini par obtenir des soins pour son fils dans le quartier.

Sauf que Suzan vient de perdre son emploi. Son rôle de proche aidante pour son fils ne lui permettait plus de remplir adéquatement son rôle. Ses finances ont périclité, ses économies se sont envolées, l’angoisse et la détresse sont apparues. Suzan a même dû être hospitalisée pour dépression majeure. Puis, tout récemment, une cerise s’est déposée sur son gâteau de vie pas facile : son propriétaire lui a annoncé la reprise de son logement pour un membre de sa famille.

Quand Suzan s’est présentée au Y des femmes, pour tenter de retrouver le chemin vers l’emploi, elle était désespérée. Elle craignait de se retrouver à la rue. Malgré son réseau et ses connexions, impossible de trouver un logement abordable dans le quartier, qu’elle ne veut pas quitter, sous peine de perdre les soins dont son fils a besoin. Nous l’avons accompagnée dans le dédale de démarches à accomplir pour tenter d’avoir accès à du logement social, familial et abordable. Elle a dûment rempli les demandes pour un HLM, mais comme elle ne peut être considérée comme un cas prioritaire, elle en a pour des années d’attente (la moyenne est de cinq ans !), son dossier s’ajoutant aux 22 000 autres à Montréal. Elle a assisté à des séances d’information sur le logement social, aux rencontres du comité de logement de son quartier, elle a soigneusement bâti son dossier pour une demande de logement dans une coopérative d’habitation : rien.

Suzan a fini par trouver quelque chose… grâce à son ex-conjoint, qui lui, a un emploi et une cote de crédit acceptable. Il a signé un bail pour elle. La voici donc complètement redevable et dépendante de celui dont elle s’est pourtant légalement séparée il y a plusieurs années…

Des besoins différents

Suzan est un nom fictif, vous l’aurez compris, mais son cas, lui, est réel. J’aurais aussi pu vous parler de Marguerite ou Paloma, 75 et 77 ans, qui se font chacune harceler de toutes les façons imaginables par leur propriétaire (l’un d’eux est même allé jusqu’au vol de factures pour causer des défauts de paiement !) afin de les pousser à quitter les appartements qu’elles occupent depuis plus de 30 ans. Ou encore de Samantha, qui a été agressée sexuellement par un propriétaire qui venait inopinément vérifier si l’évier de la salle de bain était bloqué.

Les femmes sont presque cinq fois plus nombreuses que les hommes à consacrer plus de 30 % de leur revenu pour se loger.* Elles sont plus à risque d’être mal logées malgré qu’elles soient responsables de plus de la moitié des ménages locataires. En raison de leur plus grande pauvreté, elles sont plus nombreuses à vivre de l’insécurité dans leur logement.**

La situation est encore plus critique pour les femmes jeunes, âgées, immigrantes ou racisées, autochtones, mères de familles monoparentales ou handicapées qui elles, en plus de consacrer des proportions énormes de leur budget pour se loger, doivent composer avec des situations de discrimination flagrante.

Le manque de logements pour femmes, non mixtes, permanents, abordables et sécuritaires est criant.

Les politiques en matière de logements abordables comme le Règlement pour une métropole mixte et la Stratégie nationale sur le logement adoptés par la Ville de Montréal et le gouvernement du Canada sont prometteuses, mais concrètement, rien ne bouge pour tenir compte de la spécificité des besoins des femmes.

Suzan, Marguerite, Paloma et Samantha ont besoin d’un toit sécuritaire maintenant, pas de nouvelles listes d’attente.

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