Chronique

Noël, fête du djihad

Dans les vieilles démocraties d’ascendance chrétienne, Noël n’est plus qu’une fête familiale. À part les minorités de pratiquants, bien peu y voient l’anniversaire de la naissance du Christ.

On s’émeut au Messie de Haendel (juste à Montréal, le célèbre oratorio a été présenté, cet hiver, par quatre ensembles différents !). On emmène les enfants voir des crèches. On aime réentendre Les anges dans nos campagnes. On frémit quand une somptueuse voix de ténor entonne le Minuit, chrétiens. On ira même à la messe de minuit dans l’une des églises pas encore transformées en condos, pour se replonger dans des émotions d’enfance… Mais la signification de la Nativité s’est perdue.

Elle s’est perdue pour nous, pas pour d’autres.

Par une douloureuse ironie du destin, ce sont les djihadistes du groupe État islamique qui viennent de nous rappeler la nature essentiellement religieuse de la fête de Noël.

Ils ne s’y sont pas trompés, eux dont l’univers mental est envahi par la foi, aussi dévoyée soit-elle : pour mieux attaquer l’Occident – cet Occident largement laïque où la religion et le sens du sacré ont été éjectés de la sphère publique et occultés jusque dans les esprits –, ce sont ses racines chrétiennes que les fous d’Allah ont visées.

Les églises étant le plus souvent désertes, et les grandes cathédrales comme Notre-Dame de Paris, protégées par des dispositifs de sécurité quasi militaires, un marché de Noël très fréquenté, comme celui de Berlin, constituait une cible idéale. Celle qui garantissait au terroriste le maximum de morts et de blessés, tout en ayant une portée religieuse symbolique.

Le marché de Noël de Strasbourg, et celui des Champs-Elysées étaient sur la « liste » de deux groupes de fanatiques récemment appréhendés en France.

Si le terroriste islamiste recherche les foules pour faire encore plus mal et renforcer sa puissance médiatique, il vise aussi parfois des individus, choisis pour ce qu’ils représentent.

Cet été, dans un village de Normandie, deux djihadistes ont assassiné un prêtre de 85 ans alors qu’il célébrait la messe pour deux paroissiens et trois religieuses dans l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray. Ils l’ont forcé à s’agenouiller devant l’autel avant de l’égorger comme un mouton et de le cribler de coups de couteau.

Toute la France a tremblé sous le choc, touchée au cœur de ses origines devant cet assassinat mis en scène comme un sacrilège voulu. Catholiques « culturels », non-pratiquants, athées proclamés et gens de diverses religions (dont beaucoup de musulmans) ont afflué aux messes célébrées partout à la mémoire du père Jacques Hamel, tous sentant bien, chacun à sa façon, que cette mort-là était plus que la mort d’un homme : l’ultime profanation.

Cet assassinat était lourd de symboles.

Au Proche-Orient toutefois, là même où naquit le christianisme, on n’est plus dans le symbolique mais dans l’éradication pure et simple.

Le totalitarisme islamiste (principalement d’origine sunnite) est en train d’achever le lent processus d’élimination des chrétiens qui y étaient enracinés depuis près de deux millénaires – bien avant que des Bédouins venus d’Arabie déferlent à partir du VIIe siècle sur le territoire, porteurs d’une nouvelle religion qui s’appelait l’islam.

En 2003, l’Irak comptait encore un million et demi de chrétiens. Il n’en reste plus que 300 000, la plupart concentrés en territoire kurde. Les autres se sont exilés. Dans leur bastion historique de la plaine de Ninive, dévastée par le groupe État islamique, les quelque 50 000 chrétiens qui y vivaient ont tout laissé derrière eux.

Dans la Syrie d’avant la guerre civile vivaient quelque 2 millions de chrétiens d’origine arabe ou arménienne. Ils ne sont plus que 500 000. À Alep, on en comptait quelque 160 000 en 2013. Il n’en reste que 25 000, concentrés dans les zones contrôlées par le gouvernement.

En cette fête de Noël, il n’est pas superflu d’avoir une pensée pour les chrétiens d’Orient, victimes oubliées des atroces conflits qui déchirent la région natale de Jésus de Nazareth.

C’est chez eux qu’est né le christianisme, et c’est aussi de l’Orient, selon l’Évangile de saint Matthieu, que venaient les trois Rois mages venus rendre hommage au « roi des Juifs ».

À tous nos lecteurs et lectrices, je souhaite un joyeux Noël, un beau moment de chaleur humaine dans le monde tourmenté où nous vivons.

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