Chronique Lysiane Gagnon

Trudeau dans le vaste monde

Le premier ministre Trudeau était bien mal préparé à affronter la crise de Huawei, lui dont les trois premières années au pouvoir ont été marquées, sur la scène internationale, par les tergiversations et la légèreté d’esprit.

Désormais coincé entre les États-Unis et la Chine, M. Trudeau n’est plus dans le monde enchanté des « sunny ways » – ces illusoires « voies ensoleillées » qu’il entrevoyait le soir de son élection.

Avant d’arriver au pouvoir, Justin Trudeau n’avait jamais manifesté d’intérêt pour les affaires internationales. Dans son autobiographie, il consacre quelques paragraphes à un voyage autour du monde… dont il ne rapporte que des anecdotes banales et juvéniles.

En 2013, il s’est distingué par une déclaration bizarre, en répondant par ces mots à quelqu’un qui lui demandait quel gouvernement il admirait le plus : « Vous savez, il y a un niveau d’admiration que j’ai, en fait, pour la Chine parce que leur dictature de base leur permet de tourner, en fait, leur économie sur un 10 cents et de dire : "Il faut devenir vert au plus vite…" »

Curieux message. Chose certaine, M. Trudeau a ouvert sans réserve le Canada aux investisseurs chinois.

Comme son père avait été l’un des premiers à reconnaître la Chine de Mao, il rêvait d’être le premier leader du G7 à signer un traité de libre-échange avec la Chine.

Ce projet est tombé à l’eau, car il sera virtuellement impossible en vertu du nouvel accord de libre-échange avec les États-Unis et le Mexique.

Et c’est tant mieux. Poussé par des gens d’affaires obnubilés par le mirage du fabuleux marché chinois, le gouvernement Trudeau semblait inconscient de l’énormité des concessions qu’exigeait la Chine.

Comme l'a rappelé hier l’ancien diplomate Charles Burton dans le Globe and Mail, la Chine voulait accéder sans restriction à nos ressources et à nos technologies ; importer sa propre main-d’œuvre pour ses chantiers canadiens ; extrader des dissidents chinois résidant au Canada ; pénétrer, par le truchement d’Huawei, au cœur des communications sans fil… Autant de risques aberrants pour le Canada.

En arrivant au pouvoir, Justin Trudeau avait proclamé : « Le Canada est de retour ! », après l’éclipse des années Harper. Qu’en est-il aujourd’hui ?

À part ses succès photogéniques (jusqu’à ce qu’il se couvre de ridicule par ses excès de coquetterie vestimentaire en Inde), les aventures de Justin Trudeau dans le vaste monde n’ont pas donné grand-chose, encore moins l’assurance de procurer au Canada un siège temporaire au Conseil de sécurité.

Le Canada de Trudeau n’a pas rempli ses obligations internationales. Il a procrastiné pendant des mois avant d’annoncer une mincissime participation à la coalition contre l’État islamique. Cela, moins par pacifisme assumé que par peur des répercussions électorales si d’aventure des militaires canadiens étaient touchés.

Il aurait au moins pu se reprendre en s’engageant aux côtés de la France dans les opérations de « maintien de la paix » au Mali.

Mais pour marquer ce grand retour de ses fameux Casques bleus, le Canada n’a envoyé au Mali qu’une fraction des forces espérées par l’ONU : 250 militaires et huit hélicoptères pour des missions d’évacuation médicale, et ce, pour un an seulement. Le gouvernement a même refusé d’assurer la transition de trois ou quatre mois entre le départ des Canadiens, prévu fin juillet, et l’arrivée de la relève roumaine.

En 2016, à l’Assemblée générale de l’ONU, Justin Trudeau livre un discours ahurissant. Il dénonce les crimes « honteux » du Canada envers ses autochtones ! Tous les chefs d’État font l’éloge de leur pays à l’étranger. M. Trudeau aurait pu parler, par exemple, de l’accueil des réfugiés syriens. Il préfère l’autoflagellation.

La même année, au Sommet de la Francophonie de Madagascar, Justin Trudeau assène aux chefs d’État africains un petit sermon sur… les droits des LGBTQ2 (sic), comme si la cause transgenre était une priorité en Afrique ! Derrière ces sorties de chef scout, la réalité est que le Canada dépense moins que jamais pour l’aide aux pays en développement.

La politique étrangère occupe si peu de place dans la pensée de Justin Trudeau qu’il n’a jamais rencontré son ministre des Affaires étrangères en tête à tête durant les 14 mois où Stéphane Dion a occupé ce poste.

Ce dernier, selon son ancien conseiller Jocelyn Coulon1, a vainement tenté de faire comprendre à l’entourage du premier ministre la nécessité de rétablir le dialogue avec la Russie en lui expliquant quelques éléments de realpolitik, notamment quant aux intérêts communs des deux pays dans l’Arctique.

Mais les lobbys ukrainiens, relayés par la ministre Chrystia Freeland (qui remplacera M. Dion aux Affaires étrangères et qui est d’ascendance ukrainienne), balaient tout argument rationnel… et ont l’oreille des conseillers politiques de M. Trudeau, qui, eux, ne pensent qu’au vote des Canado-Ukrainiens.

« Freeland, raconte Coulon, s’oppose à tout réchauffement avec la Russie. Trudeau, hésitant et incapable de préciser sa pensée sur les relations canado-russes, se range derrière elle. »

Même une simple rencontre entre Dion et son homologue Sergueï Lavrov, un diplomate chevronné et hautement respecté, fait rager le clan pro-ukrainien, qui exige rien de moins du Canada qu’une hostilité totale envers la Russie. Mme Freeland ira jusqu’à comparer publiquement Vladimir Poutine aux terroristes du groupe État islamique !

Une approche floue, émotive et naïve, une stratégie inexistante, telle paraît être la politique internationale du gouvernement Trudeau. Non, le Canada n’est pas « de retour » dans le monde.

1 Un selfie avec Justin Trudeau, Jocelyn Coulon, Québec Amérique

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