Spéléologie

Un monde se dévoile sous Saint-Léonard

Des galeries qui s’étirent sur 200 m. Des stalactites, des plans d’eau cristallins, de spectaculaires coulées de calcite. L’une des découvertes les plus importantes de l’histoire de la spéléologie québécoise a été annoncée hier. Et, fait inusité, elle se trouve directement sous les pieds des Montréalais.

L’ouverture est juste assez grande pour s’y faufiler à quatre pattes. De l’autre côté, la manœuvre est délicate. Il faut se retourner dans un espace restreint, puis prendre pied sur les barreaux d’une échelle métallique. À droite, nos lampes frontales éclairent une crevasse de plusieurs mètres de profondeur. Ce n’est qu’une fois les pieds posés au fond de la caverne qu’on découvre le monde qui se dévoile autour. Le plafond est parsemé de petites stalactites. De l’eau cristalline s’étend d’un côté. Les parois, ornées de coulées de calcite blanches et jaunes, forment un haut couloir encaissé qui disparaît dans le noir. 

À un moment, nos lampes éclairent un papillon accroché au plafond, couvert de gouttelettes d’eau qui brillent comme des perles. Il est en pleine hivernation. « Éteignez vos lampes », suggère François Gélinas, directeur général de la Société québécoise de spéléologie. La noirceur est totale. Le bruit de fond de la ville a complètement disparu. Seuls de petits « plouc-plouc » percent le silence. « Difficile de croire qu’on est à Saint-Léonard, n’est-ce pas ? », lance-t-il. C’est le moins qu’on puisse dire.

Une découverte marquante

La caverne de Saint-Léonard est connue depuis 1812 et visitée par des milliers de visiteurs chaque année. Mais deux spéléologues d’expérience, Daniel Caron et Luc Le Blanc, ont découvert que la partie connue n’était en fait qu’un hors-d’œuvre. En creusant à peine un mètre dans le calcaire du fond de la caverne, les deux hommes ont mis au jour de nouvelles salles bien plus grandes et impressionnantes. Celles-ci s’étendent sur 200 m sous le parc Pie-XII, et même sous les maisons et les rues avoisinantes.

Selon François Gélinas, directeur général de la Société québécoise de spéléologie, il s’agit de la découverte la plus marquante dans le domaine au Québec depuis celle de la grotte de Boischatel, dans la région de Québec, en 1979.

« Extraordinaire, fabuleux, inattendu, sidérant : je me méfie habituellement des adjectifs trop forts, mais dans ce cas-ci ils sont appropriés », s’exclame François Gélinas.

Un lieu inexploré

Daniel Caron et Luc Le Blanc soupçonnaient depuis longtemps que la caverne de Saint-Léonard n’avait pas révélé tous ses secrets. La radiesthésie, une technique non reconnue par la science qui consiste à sonder le sol avec des tiges de cuivre à la façon d’un sourcier, avait montré des signes. Les deux spéléologues ont ensuite utilisé la télémétrie laser et une caméra endoscopique pour se convaincre que du vide existait au-delà de la caverne connue. Armés de perceuses, de marteaux et de burins, ils ont commencé à creuser le roc le 12 octobre dernier, pensant en avoir pour des mois. Trois heures plus tard, ils mettaient à jour les nouvelles salles.

« On s’est fait un gros high five. On fait de la spéléologie exactement pour ça : trouver de nouveaux lieux inexplorés. Si on avait annoncé ça le 1er avril, personne ne nous aurait crus. »

— Luc Le Blanc, spéléologue d’expérience

Les deux comparses avaient l’air de gamins particulièrement fiers de leur coup en dévoilant leur découverte. « Trouver un endroit où personne n’est jamais allé, aujourd’hui, c’est pratiquement impossible. Il n’y a que la spéléologie qui permet encore ça », dit Daniel Caron.

Les spéléologues ont exploré la caverne en rampant, puis à la nage avec des combinaisons de plongée et des palmes. Ils ont fini par y descendre un canot pneumatique, qui s’y trouve toujours. « Je peux vous dire que c’est assez inusité de se promener en canot pneumatique sous Saint-Léonard ! », dit Daniel Caron, les yeux brillants.

Un cadeau des glaciers

La plupart des grottes sont creusées par l’eau qui dissout le roc. La caverne de Saint-Léonard est d’un tout autre type. C’est le poids des glaciers, il y a plus de 15 000 ans, qui a provoqué une dislocation du roc. Sous terre, le phénomène est facile à voir. « Regardez. Les deux parois se complètent et pourraient s’imbriquer comme des morceaux de casse-tête », pointe François Gélinas, de la Société québécoise de spéléologie. Selon le spécialiste, une caverne de cette taille et de ce type est très rare, peut-être même unique au monde.

Pas de danger

Les citoyens de Saint-Léonard qui seraient inquiets de savoir que du vide se trouve sous leurs pieds peuvent se rassurer. Il y a une bonne dizaine de mètres de roc entre la caverne et la surface, et la structure géologique est extrêmement stable. L’eau qui inonde la caverne n’est pas une rivière souterraine qui cause de l’érosion, mais simplement la nappe phréatique.

« On vient de découvrir la caverne, mais il faut réaliser qu’elle est là depuis plus de 15 000 ans et n’a jamais causé de problèmes. »

— Dominic Perri, conseiller de la Ville de Saint-Léonard Ouest

Une ouverture au public ?

Les élus de Saint-Léonard ont dit comprendre « la curiosité et l’intérêt des citoyens » pour la découverte. Une séance d’information sera tenue « à la fin du mois de janvier », quand la cartographie des lieux sera terminée. Le site sera-t-il ouvert au public ? « Absolument », s’est mouillé le conseiller de la Ville Dominic Perri, précisant cependant que d’importantes questions doivent être résolues d’ici là. La première est l’accès. Pour l’instant, il faut se faufiler dans des ouvertures et ramper dans la boue pour atteindre les nouvelles salles, sans compter les échelles qui jouxtent des crevasses inquiétantes. On voit mal monsieur et madame Tout-le-Monde y amener la petite famille. La deuxième question est la préservation des lieux. François Gélinas, directeur général de la Société québécoise de spéléologie, rappelle qu’une stalactite pousse au rythme d’un centimètre… par millénaire. Et il suffit d’une seconde pour l’arracher ou la briser. 

Dans la portion de la caverne ouverte au public, on n’en trouve d’ailleurs plus aucune. Les coulées de calcite décrites lors de sa découverte ont aussi disparu. « On devra réfléchir à la façon de sécuriser et de présenter, donc ça ne se fera pas l’été prochain », a dit M. Gélinas. La Société québécoise de spéléologie planchait déjà sur un projet de centre d’interprétation à la caverne de Saint-Léonard avant que la découverte survienne.

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