Danse

La vengeance de Giselle

Critique
Giselle
Chorégraphe : Dada Masilo
Dance Factory Johannesburg
Au Théâtre Maisonneuve, jusqu’au 29 septembre
3 étoiles

Partout où elle passe, la chorégraphe et interprète Dada Masilo attire l’attention du public et des médias.

C’est que la Sud-Africaine a une démarche originale, qui transporte le ballet classique dans la modernité, l’ici et maintenant. Sa prémisse : revisiter des pièces du répertoire classique en les actualisant, de façon complètement décomplexée et, parfois, décapante, comme elle l’avait fait avec Le Lac des cygnes, présenté à Montréal il y a deux ans, avec un prince Siegfried gai… et en tutu.

Danse Danse a choisi d’ouvrir sa 21e saison avec un nouveau cru de la Dance Factory Johannesburg, Giselle. Entre les mains de la chorégraphe (qui interprète également le rôle-titre), ce ballet romantique par excellence prend des airs féministes, alors que la blanche pureté du pardon se transforme en furie vengeresse rouge sang.

Un peu de contexte

S’il est possible pour ceux qui connaissent peu la trame narrative de Giselle de saisir grosso modo les tenants et aboutissants de ce récit romantique, en connaître les différents protagonistes permet de lire plus clairement l’action, foisonnante, et parfois, disons-le, un peu décousue et chaotique, qui se déroule sur scène.

Ce ballet en deux actes, devenu un classique du répertoire, a été présenté pour la première fois en 1841. 

Basé sur des récits de la littérature romantique, le livret est signé par Théophile Gautier et Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges, et mis en musique par Adolphe Adam.

Le ballet raconte l’histoire de Giselle, une jeune paysanne naïve, qui tombe éperdument amoureuse d’Albrecht. Cette dernière danse en son honneur, malgré les avertissements de sa mère, qui lui rappelle le sort des Wilis, ces spectres de jeunes filles vierges qui poursuivent leurs fiancés en les faisant danser jusqu’à la mort.

Le hic, c’est qu’Albrecht cache sa véritable identité ; il est le duc de Silésie et promis à la princesse de Bathilde. Hilarion, un chasse-garde amoureux de Giselle, découvre le pot aux roses et révèle l’affaire au grand jour. Dévastée, Giselle sombre dans la folie et meurt. Myrtha, la reine des Wilis, condamne le traître à danser jusqu’à l’épuisement, mais le spectre de Giselle le sauve en dansant avec lui jusqu’à l’aube.

Revisitée par Masilo, Giselle reste cette jeune femme éperdument amoureuse, que le désespoir poussera à la mort. Mais ici, Giselle ne pardonne pas : c’est elle, spectre vêtu de rouge, qui assènera à son prétendant le coup fatal, fouet à la main, après lui avoir volé un dernier baiser.

Un bel effort

Nul doute, la position artistique qu’adopte Dada Masilo est pertinente, percutante, nécessaire même, dans le monde figé du ballet où la femme a la plupart du temps le rôle de la belle, faible et amoureuse, prête à tout pardonner.

La version que propose Dada Masilo est certes rafraîchissante. Ancrant l’histoire dans les campagnes d’Afrique du Sud, elle y propose un métissage de ballet, de danse contemporaine et d’une danse traditionnelle issue de sa culture tswana, alors que la reine des Wilis devient un Sangoma, guérisseur traditionnel africain.

Sa version aborde des sujets brûlants d’actualité. Le pouvoir au féminin à l’ère #metoo, mais aussi la question du genre, faisant des Wilis des êtres androgynes en revêtant les hommes autant que les femmes de robes rouges vaporeuses. 

Ce faisant, elle amène Giselle au XXIe siècle. Et c’est tant mieux.

Propulsée par la musique percussive et pulsée de Philip Miller – qui s’est inspiré de la trame originale, qu’on devine ici et là –, la gestuelle proposée par Masilo est ancrée dans le sol, ample, foudroyante et dynamique, avec des jeux de pieds vifs et des bras fendant l’air en moulinets. Parfois très emportée, elle perd toutefois en netteté et précision dans certains passages de groupe.

Loin de fuir la narrativité, la chorégraphe donne à la pièce un aspect théâtral, intégrant exclamations, cris et parfois quelques dialogues (souvent cacophoniques et incompréhensibles) à sa chorégraphie. Engageant, le ballet est traversé de moments sous haute tension, comme lorsque Giselle, en fin de premier acte, trahie, est violemment rejetée et sujette aux moqueries de son village, ou, en deuxième acte, lors de la danse funèbre d’une macabre beauté exécutée par les Wilis.

Cela dit, l’interprétation souffre d’inégalités.

Dada Masilo, immense malgré sa petite stature, en impose avec son charisme fou et sa fragilité qui se mutera en impitoyable vengeance. 

Dans le rôle de la reine des Wilis, Llewellyn Mnguni, un homme, est aussi hypnotique qu’un serpent. Le reste de la troupe souffre parfois de la comparaison.

En voulant rester près de la trame narrative originale, peut-être que le Giselle de Dada Masilo perd ainsi de sa force de frappe, victime de longueurs et de redites. Côté scénographie, on aurait aimé plus d’inventivité, notamment avec le grand écran de projection qui occupe tout le fond de la scène, largement sous-utilisé.

Dada Masilo propose une prise de position pertinente et forte, qu’on aurait aimé se voir matérialiser davantage sur scène. Cela dit, nous sommes plus que curieuse de voir ce qu’elle fera du Sacre du printemps, le prochain monument auquel elle a décidé de s’attaquer.

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