Décoration

Fautes de goût

Imaginez une maison aux pièces tapissées, sans exception. Du plancher jusqu’au plafond. Même dans les garde-robes.

« C’était une belle maison avec beaucoup de potentiel, mais dès qu’on y entrait, la somme d’ouvrage à lui consacrer nous sautait au visage. Trois peintres pendant une semaine ont été nécessaires pour tout enlever. Pourtant, aux yeux de la propriétaire, c’était une maison clés en main pour un acheteur éventuel », raconte Lyne Bouchard, designer d’intérieur de Saint-Sauveur.

Il n’y a pas si longtemps, par exemple, les fabricants de cuisines proposaient tous les fameux comptoirs-lunch à deux niveaux, supposément si pratiques pour prendre son repas en famille. « C’est vraiment d’une autre époque, c’est très flagrant », tranche Nicole Lemelin, designer d’intérieur à Candiac. 

Le comptoir-lunch n’est pas le seul apanage du passé. Il y a évidemment le fameux bar dans un sous-sol aux murs en préfini, icône du kitsch des années 70, mais aussi les baignoires sur podium, les baignoires à remous, la moquette, le linoléum orange, les comptoirs de stratifié, les plafonds en crépi, les petites douches de coin en acrylique, les tuiles à motif champêtre dans le dosseret de la cuisine, les cimaises à mi-mur ou encore les pièces conçues en angle.

« C’est difficile, sur le coup, de savoir si une nouveauté fera fureur longtemps ou non », concède Jacinthe Limoges, spécialiste en relooking de maison à Pierrefonds et propriétaire de l’Académie supérieure de home staging Limoges. « Par exemple, la tendance des armoires de cuisine deux tons, avec des modules foncés en bas du comptoir et pâles au-dessus, est apparue il y a cinq ou six ans. Je disais aux clients de faire attention, car la mode va changer. Contre toute attente, c’est encore populaire, cinq ans plus tard ! »

Comment alors s’assurer d’éviter la désuétude ? Simplement en gardant en tête deux mots : modération et classicisme. Et se rappeler qu’une mode dure désormais rarement plus de deux ans, souligne Mme Limoges.

NOBLESSE ET MODÉRATION 

« Tout ce qui est très, très tendance… aura tendance à disparaître plus vite », rappelle Jacinthe Limoges. 

Un exemple actuel ?

« Le bois de grange et les effets rustiques. Ça, c’est certain qu’à long terme, ça ne va pas rester », répond la designer Nicole Lemelin. « C’est préférable de garder un côté classique pour plutôt s’amuser avec les accessoires, dit-elle, le dosseret et la couleur des murs. Ce n’est pas ça qui coûte cher à refaire. »

« Les matériaux nobles et sobres risquent moins de se démoder rapidement », affirme aussi Jacinthe Limoges. 

« On voit des vestiges des années 80 qui passent encore bien, précise-t-elle toutefois. Un foyer de pierres, par exemple. Les grosses pierres des champs ont de la misère à passer [auprès des acheteurs de maison], mais les pierres plates sont encore très contemporaines. »

« Les grosses boiseries en bois véritable sont intemporelles. Même chose pour les armoires blanches, les éviers en émail dans certains cas et les belles portes de bois. Ce sont des classiques ! »

— Lyne Bouchard, designer

Les céramiques métro de Paris, les revêtements en ardoise et les lambris d’époque sont aussi considérés comme des valeurs sûres. « Ils font l’âme de la maison », glisse Nicole Lemelin. 

Mais attention : même les matériaux en apparence classiques peuvent trahir l’âge de la décoration. « Plus il y a de la texture et des couleurs, moins ça traverse les époques », explique Jacinthe Limoges. 

Même pour le classicisme et les matériaux nobles, le mot-clé reste modération. « Dans une maison de prestige, j’ai vu une salle de bains complètement en marbre. Les planchers, les murs, la baignoire et les comptoirs fabriqués sur mesure. C’était trop », confie Lyne Bouchard.

DÉNATURER LA MAISON

Le choix de la décoration doit aussi se faire en accord avec le style et la valeur de la maison, rappellent les spécialistes interrogées.

« Si on a une maison canadienne, il ne faut pas la dénaturer. Faire de cette maison-là une maison contemporaine, ça ne fonctionnerait pas. L’inverse est aussi vrai. L’acheteur de la maison champêtre sera déçu de voir qu’un intérieur moderne fait perdre le côté chaleureux de ce qu’il cherche », explique Jacinthe Limoges.

Dans la perspective de vendre un jour sa maison, il faut également tenir compte des propriétés environnantes si l’on compte récupérer l’argent investi dans les rénovations.

« On ne met pas du marbre dans un petit bungalow », illustre Nicole Lemelin.

« Si les clients le font pour eux, pas de problème. Mais si c’est pour augmenter la valeur de la maison, ça ne fonctionnera pas. Dans le même esprit, une maison d’un demi-million de dollars ne devrait pas avoir de comptoirs en stratifié. Les futurs acheteurs vont s’attendre à avoir des comptoirs de pierre », estime Lyne Bouchard.

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