DAVID DESJARDINS

« Je ne peux plus gagner ma vie en journalisme »

David Desjardins, chroniqueur au Devoir, à L’actualité et à Radio-Canada, se lance dans une nouvelle carrière. Après plus de 15 ans de journalisme à temps plein, il quitte progressivement la profession pour se consacrer à un travail plus lucratif : le marketing de contenu.

Celui que l’on traite parfois de « gauchiste » de la capitale est toutefois sans appel : « Je n’ai pas vendu mon âme au diable », explique-t-il en entrevue avec La Presse. Il y a un an, il a fondé avec un ami l’agence La Flèche, à Québec. Depuis, les contrats se multiplient et il fait même travailler d’autres journalistes pigistes à un tarif « deux fois supérieur à ce que paient les médias traditionnels ».

« Les médias ont raison de s’inquiéter de la perte de leurs revenus publicitaires. Les annonceurs les quittent pour parler directement avec les consommateurs. Cette réalité existe et c’est précisément ce que je fais », nous dit-il.

Dans sa nouvelle vie, bâtie parallèlement aux chroniques qu’il signe dans plusieurs médias nationaux, David Desjardins propose aux entreprises des stratégies de communication pour devenir leur propre média.

« On ne fait pas du contenu promotionnel, mais on permet aux entreprises de contourner les canaux de communication traditionnels. »

— David Desjardins

Par exemple, il s’est récemment associé à Bilodeau Immobilier, à Québec, qui construit entre autres un immeuble de condos dans le quartier Sillery.

« On publie un petit journal toutes les deux semaines avec des textes de style lifestyle. On dit ce qui se passe dans le secteur, on parle des restaurants, on donne des conseils déco, bref on s’adresse aux gens qui souhaitent s’acheter un condo », résume le chroniqueur membre de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ).

Avec ce genre de stratégie, son entreprise se substitue-t-elle à une salle de rédaction indépendante, non liée à une entreprise, qui produit du contenu similaire ?

« Dans la plupart des grands médias, il y a des sections en partie orientées par des commanditaires, mais la moyenne des ours ne le sait pas ! […] Avec le marketing de contenu, il y a moins d’hypocrisie. Si je fais un site internet pour une compagnie X, son nom est clairement affiché. Il n’y a pas de flou. On sait très bien où loge l’entreprise qui finance le contenu », répond-il.

PEUT-ON VIVRE À LA PIGE ?

Est-il toujours possible, en 2015, d’être un journaliste indépendant à Québec ? Il y a quelque temps, David Desjardins en est arrivé à la conclusion que non.

« Je ne peux plus gagner ma vie en journalisme. […] J’ai regardé ça aller et j’ai compris que s’il n’y avait pas d’avenir immédiat dans le [métier], il y en a dans le marketing de contenu. »

— David Desjardins 

Comme pigiste, Desjardins travaille plus de 50 heures par semaine et ne reçoit pas un salaire équivalant au travail qu’il abat, estime-t-il. « Dans deux ans, mon métier de pigiste existera-t-il encore ? J’en suis incertain. […] J’avais tellement la chienne de me retrouver devant rien que j’ai choisi la publicité comme le véhicule idéal pour continuer d’écrire », explique-t-il, affirmant au passage qu’il a aussi entamé l’écriture d’un roman.

Celui qui a été pendant près de 10 ans rédacteur en chef du journal Voir Québec se dit aussi agréablement surpris par la créativité du milieu de la pub.

« Quand je suis arrivé [dans cette industrie], j’ai rencontré des gens créatifs, habitués à se réinventer. […] En journalisme, c’est comme si tout le monde avait réalisé cette année que les choses vont mal. Dans d’autres milieux, ils le savent depuis longtemps et ont depuis changé leurs façons de faire », analyse-t-il.

Récemment, David Desjardins a adoré un reportage qu’a financé Netflix dans le prestigieux quotidien Wall Street Journal. Quand le géant américain de la vidéo en ligne a lancé sa série originale Narcos, il a engagé des journalistes d’enquête pour brosser un portrait du trafic de la drogue, en lien avec le thème de sa série. « C’est très bien fait », dit-il.

D’ici deux ans, le chroniqueur voudrait bien travailler à temps plein dans sa nouvelle entreprise. Il espère toutefois garder une ou deux chroniques dans les médias traditionnels, « parce qu’[il] aime ce [qu’il fait] ».

Un seul mot d’ordre le guidera, promet-il : ne pas parler dans ses textes des sujets concernant les contenus publicitaires qu’il réalise pour des entreprises. « J’ai toujours la même éthique de travail », conclut-il.

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