La guerre des tétons

Quand la bédé devient thérapeutique

Le 14 février 2014, Lili Sohn a appris qu’elle avait un cancer du sein. Elle n’avait que 29 ans. A suivi un blogue, puis une série bédé, La guerre des tétons. Après Invasion et Extermination, la jeune Française qui habite maintenant à Marseille vient de faire paraître le troisième volet de la série, Mutation.

Lili Sohn a habité Montréal pendant six ans. C’est ici que sa vie a basculé après avoir reçu un diagnostic de cancer. Ici aussi qu’elle a lancé son blogue, quatre jours après l’annonce. Ici enfin qu’a pris naissance la série qu’on connaît. L’an dernier, elle a choisi de vivre à Marseille avec son amoureux pour « changer de cadre » et « profiter de la mer et du soleil ».

Dans ce troisième (et dernier) tome, Lili nous parle de la fin de ses traitements et de son « retour à la normale ». Mais aussi de sa mutation génétique (oui, oui, comme Angelina Jolie) et de sa mastectomie préventive. De l’après-cancer aussi, de la vie, de l’amour et des enfants. La Presse a profité de son passage ici pour lui poser quelques questions.

La guerre des tétons, c’est de la bédé thérapeutique ?

Complètement. D’abord pour moi, parce qu’en racontant mon histoire, ça m’a aidée à l’accepter. C’est quand même une nouvelle assez violente. Pour mon entourage aussi, ç’a été thérapeutique, puisqu’ils ont pu savoir comment je me sentais, comment je vivais tout ça. J’ai pu vulgariser aussi tout ce qui m’arrivait.

C’est une série et un troisième album assez impudiques. La vérité nue !

Oui. Quand on est hospitalisé, il n’y a plus de pudeur. J’ai dû montrer mes seins plus de 100 fois ! Il y a un moment où ton corps ne t’appartient plus. T’es obligé de tout montrer. On perd complètement son intimité. Ce qui fait qu’entre patients, on ne se gêne pas pour se montrer nos cicatrices, ça peut être assez drôle, d’ailleurs…

Justement, il y a beaucoup d’humour dans cet album, pourtant, c’est pas un sujet très rigolo…

D’abord, on ne choisit pas de vivre ça, autant choisir comment le vivre. Et dédramatiser, ça fait vraiment du bien. C’est tellement lourd, tellement chiant, tous ces trucs-là, qu’il vaut mieux en rire. Ça m’a permis de mettre une petite couche de sucré pour avaler la pilule. Sans mentir, parce que je voulais qu’on sente les émotions que j’ai vécues. Je pense que l’humour est dans ma nature, mais je ne savais pas que j’étais aussi drôle !

Il y a des gens qui refusent la métaphore du combat, mais vous, non. Sur la couverture de votre deuxième album, vous tenez même une mitraillette !

Oui. Je trouve que ça passe mieux en images. Le représenter comme ça, ça permet de se sentir fort. C’est une imagerie très parlante. Tu peux être à terre, on peut t’attaquer, tu peux répliquer, t’as des alliés. Moi, c’est le mot courage que j’aime moins. Le courage, qui est quelque chose que tu n’as pas envie de faire et que tu fais quand même. Moi, je ne suis pas courageuse, je n’ai pas eu le choix !

Vous avez même baptisé votre ennemi (le cancer) Günther, non ?

Oui. J’ai choisi un nom allemand, parce que les dompteurs de cirque utilisent la langue germanique, qui est plus gutturale, pour donner des ordres aux bêtes féroces. Donc, j’ai puisé dans plusieurs univers, pas juste en utilisant la métaphore du combat.

Il y a eu ici un débat sur l’efficacité des traitements de chimiothérapie. Avez-vous songé à ne pas en recevoir ?

Oui, pendant une semaine. Pour me renseigner. J’ai fait des recherches, j’en ai parlé à mon médecin. Je trouve ça sain de se poser la question. Moi, j’ai eu une chimio adjuvante (préventive) pour être sûre qu’il n’y ait plus rien dans mon système. C’est personnel. Pour ma mutation génétique, j’ai dû choisir entre un suivi médical très serré et une mastectomie préventive. C’est plutôt là que j’ai hésité.

Qu’est-ce que la maladie a changé ?

Ça rend un peu moins con. Déjà, tu te rends compte que tu es mortel, ce qui est une balle dans la gueule quand t’as 29 ans. J’ai comme eu un coup d’adrénaline qui m’a désinhibée par rapport à plein de choses. Ce qui m’a permis de faire cette bédé sans peur. Quand la vie reprend son cours, c’est moins fort, mais c’est comme si t’avais pris 10 ou 15 ans d’un coup. Après, j’ai reçu plein de témoignages émouvants de jeunes gens qui ont vécu la même chose que moi. Et j’ai reçu plein de cadeaux ! Le plus cool, c’était des pains d’épices en forme de nichons !

Avez-vous un autre projet d’album ?

Oui. Je reste dans l’autofiction. Je travaille sur un projet d’album qui s’appelle Vagin Tonic. Je me suis rendu compte que je ne connaissais pas bien mon anatomie féminine. J’ai commencé un blogue sur le sujet. Comment ça marche, les menstruations ? Qui a inventé les protections menstruelles et comment faisaient les femmes avant ? Comment était représentée la vulve de la femme depuis la nuit des temps ? Plein de choses du genre, mais toujours en partant de ma désinformation pour aller à la découverte du vagin !

Mutation

Lili Sohn

Michel Lafon

194 pages

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