Nouveau patron à la Caisse de dépôt

Le nouveau visage de la Caisse

Québec a confirmé que Charles Émond était son choix pour remplacer Michael Sabia à la tête de la Caisse de dépôt et placement du Québec. L’arrivée en selle de cet homme de 47 ans, qui a passé l’essentiel de sa carrière chez Scotia, a semblé rassurer le milieu des affaires, qui voit en lui une certaine forme de continuité et un nouveau dynamisme. La Presse vous offre un portrait du nouveau dirigeant et des défis qui l’attendent.

Nouveau patron à la Caisse de dépôt

Une nomination saluée

« En faisant ce choix, la Caisse a bien relevé l’importance de l’expertise dans le milieu financier, parce que c’est vraiment le vaisseau amiral de la Caisse de faire fructifier les avoirs des Québécois. C’est quelqu’un de super dynamique et plein de leadership, je suis ravi. »

— Charles Milliard, PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec

« La Caisse va bien. M. Sabia y a mis de l’ordre. On peut penser que durant le mandat de M. Émond, il va y avoir un éventuel ralentissement ou récession. C’est quelqu’un qui, durant son mandat, va avoir à jouer un rôle clé pour la stabilité de notre économie et de nos entreprises. » 

— Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain

« J’ai eu l’occasion de le côtoyer et j’ai apprécié ses habiletés de communication, de vulgarisation et d’écoute. Il a eu jusqu’ici une carrière remarquable qui lui a permis de faire des réalisations, de comprendre des marchés à l’échelle planétaire et en même temps de diriger des équipes. Comme il a contribué à la planification stratégique de la Caisse pour les prochaines années, on peut penser qu’il y aura un exercice dans la continuité. »

— Yves-Thomas Dorval, président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec

« Son expérience internationale et sa connaissance du milieu des affaires du Québec seront des atouts pour la gestion de cette importante institution québécoise et pour soutenir le développement économique du Québec. »

— François Vincent, vice-président, Québec, pour la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI)

« C’est un homme brillant, qui a une belle expérience, autant de l’expérience bancaire à la Banque Scotia qu’une expérience en investissement et en placement. Il connaît bien l’économie du Québec, et c’est une personne aussi qui a prouvé qu’il est capable de gérer du personnel. »

— Le premier ministre François Legault, avant la réunion du Conseil des ministres qui a confirmé la nomination

« Très fier d’annoncer que le nouveau PDG de la Caisse de dépôt sera Charles Émond. M. Émond saura concilier la double mission de la Caisse, soit de faire fructifier les actifs des déposants et de contribuer au développement de l’économie du Québec. »

— François Legault, dans un message diffusé sur Twitter après la réunion du Conseil des ministres

Propos recueillis par Isabelle Dubé et Tommy Chouinard, La Presse

Nouveau patron à la Caisse de dépôt

« Il faut hausser nos ambitions »

Le dixième président-directeur général de l’histoire de la Caisse de dépôt et placement aborde ses nouvelles fonctions avec « beaucoup d’humilité », mais aussi avec beaucoup d’assurance. « On peut toujours faire mieux », répond-il lorsqu’on lui demande si la Caisse en fait assez pour développer l’économie du Québec.

Charles Émond est très à l’aise avec le double mandat de la Caisse de dépôt, qui doit à la fois générer les meilleurs rendements possible et contribuer au développement économique du Québec.

« Je ne me vois pas pris entre l’arbre et l’écorce, assure l’ancien banquier lors d’un entretien avec La Presse. Ce sont deux concepts qui vont de pair et on a prouvé qu’on peut faire les deux. Nos rendements au Québec sont très bons. »

Est-ce que la Caisse, avec ses 325 milliards d’actifs, pourrait en faire plus ? « On peut toujours faire mieux », estime-t-il. Par exemple ? « Hausser nos ambitions. Il y a des entreprises d’ici qui pensent à aller à l’international. On peut aller au-devant. »

Charles Émond se targue de bien connaître Québec inc., qu’il côtoie depuis 25 ans.

« Même pendant que j’étais à Toronto, je suis toujours demeuré proche de ce qui se passait au Québec. »

— Charles Émond

Le nouveau patron de la Caisse arrive au moment où les risques de récession augmentent et que les marchés s’essoufflent. Aussi, son prédécesseur, Michael Sabia, a fait du bon boulot.

Ça va être plus difficile pour la Caisse de livrer des rendements à la hauteur des attentes de ses déposants, convient-il.

« Au cours de la dernière décennie, il y a eu des vents de dos qui ont aidé. Il va falloir travailler très fort. Les actifs sont très chers et les taux sont très bas, mais on prend ça une année à la fois. »

Les employés de la Caisse de dépôt n’ont pas à s’inquiéter. Leur nouveau patron n’a pas l’intention de tout chambouler et il veut leur donner plus de responsabilités. « Les orientations qu’on a sont les bonnes et l’objectif demeure de faire mieux que les indices de référence », dit-il.

Les chantiers de Charles Émond

Le rendement

Le principal défi du nouveau président sera de générer les rendements les plus élevés possible. « La Caisse a profité d’un momentum extraordinaire et indéniable au cours des 10 dernières années », dit Grégoire Baillargeon, directeur général et cochef de BMO Marchés des capitaux. Il faut pouvoir maintenir le « momentum » dans un cycle économique qui devient plus incertain, selon lui.

Claude Garcia, qui a été membre du conseil d’administration de la Caisse, croit que la nouvelle administration a tout intérêt à suivre la route tracée par Michael Sabia, qui a réduit le niveau de risque global du portefeuille de placement. « Il y a encore des rendements très intéressants à aller chercher, notamment dans les investissements liés aux changements climatiques, dit-il. C’est la plus grande opportunité d’investissement actuellement. Il s’agit pour la Caisse de pouvoir la saisir. »

La performance de la Caisse demeure « améliorable », selon Luc Bernier, titulaire de la Chaire Jarislowsky sur la gestion dans le secteur public à l’Université d’Ottawa. « Les résultats n’ont pas été si éblouissants que ça depuis cinq ans. On peut mieux faire », estime-t-il.

Le Réseau express métropolitain

Le projet de train piloté par la Caisse de dépôt ne roule pas comme prévu. Le nouveau président devra en faire une priorité, car la réputation de l’organisation est en jeu. Il devra par exemple s’assurer de la collaboration du responsable du REM, Macky Tall, qui était lui aussi pressenti pour succéder à Michael Sabia.

« N’importe quel leader est aussi bon que l’équipe autour de lui. Il lui faudra s’assurer d’être capable de rallier les principaux joueurs à l’interne à la Caisse, notamment Macky Tall, un homme de grand talent. Il est important que Charles puisse s’assurer qu’il est bien entouré et que le processus de sélection n’a pas divisé l’équipe », dit Nicolas Marcoux, PDG de PwC Canada, qui connaît Charles Émond depuis plus de 20 ans.

Aider l’économie du Québec

La Caisse est un poids lourd qui a pratiquement le droit de vie ou de mort sur des fleurons de l’économie du Québec actuellement en difficulté, comme Bombardier ou SNC-Lavalin. Quoi qu’elle fasse, elle sera toujours critiquée à cet égard.

« Il y a eu des décisions qui ont pris par la suite une valeur symbolique, qui n’allaient pas dans le sens du développement du Québec, comme la vente de Rona et celle ne pas exiger de contenu local pour les voitures du REM », souligne Nicolas Marceau, ex-ministre québécois des Finances et professeur de sciences économiques à l’UQAM.

Recruter et conserver l’expertise

Jean-Claude Scraire, qui a été président de la Caisse de dépôt de 1995 à 2002, salue la nomination d’un président qui a une connaissance « interne » de l’organisation. « Cela permet de poursuivre l’action en évitant la longue période d’incertitude qui accompagne la période d’apprentissage que doit vivre une personne arrivant de l’extérieur dans une institution aussi unique », estime-t-il.

Un des objectifs du nouveau président devrait être le recrutement de talents québécois. « Il serait souhaitable que la Caisse – avec son nouveau PDG – compte dans ses objectifs le développement de plus de Québécois et de Québécoises dans son personnel spécialisé. Il est tout à fait possible d’être une grande entreprise de classe mondiale et de contribuer au développement d’un plus grand nombre de Québécois comme spécialistes de l’investissement. »

Verdir le portefeuille

Comme tous les autres gestionnaires de fonds, la Caisse de dépôt fait face à des pressions croissantes pour se retirer du secteur des énergies fossiles. L’ancienne administration s’est engagée à diminuer de 25 % l’intensité en carbone de son portefeuille d’ici 2025 et à devenir carboneutre d’ici 2050. « Il est de la responsabilité du nouveau président de garder le cap sur ces objectifs », estime Diego Creimer, porte-parole de la coalition Sortons la Caisse du carbone.

La Caisse n’a pas voulu s’engager à éliminer complètement les énergies fossiles de son portefeuille, « mais tout porte à croire qu’elle est sur la bonne voie », dit-il.

— Avec Richard Dufour et André Dubuc, La Presse

Caisse de dépôt et placement du Québec

Charles Émond vu par ses pairs

« Charles tombe dans la catégorie des leaders modernes pour sa façon de gérer les relations interpersonnelles », dit Grégoire Baillargeon, directeur général et cochef de BMO Marchés des capitaux.

Le responsable des activités de banque d’affaires et de services bancaires aux entreprises québécoises pour la BMO connaît Charles Émond depuis une vingtaine d’années. Ils ont été compétiteurs et collaborateurs dans le même secteur à l’époque où le nouveau patron de la Caisse de dépôt travaillait chez Scotia Capitaux.

« Charles, c’est la combinaison d’une intelligence pure à une intelligence émotionnelle. C’est important aujourd’hui dans les postes de leadership. C’est ce qui rend Charles particulier et qui explique sa trajectoire. »

— Grégoire Baillargeon, directeur général et cochef de BMO Marchés des capitaux

« Il est très bon avec les gens en plus d’être très fort techniquement en finance, ce qui commande le respect et apporte beaucoup d’impact », poursuit-il.

Nicolas Marcoux connaît lui aussi Charles Émond depuis 20 ans. « On a l’heure juste avec Charles. Il a un franc-parler. Il est authentique et passionné. Il se donne à fond dans tout », dit le chef de la direction et associé principal de PwC Canada.

« Je le connais comme un homme de famille », ajoute Nicolas Marcoux. « Quand je le vois, il me parle souvent de sa femme et de ses deux enfants », dit-il.

« Son arme secrète est son épouse Renée-Claude, qui a eu une carrière en politique comme attaché de presse dans plusieurs cabinets et qui a aussi travaillé chez Agropur », ajoute la présidente du conseil d’administration de Transcontinental, Isabelle Marcoux (aucun lien de parenté avec Nicolas).

« À un moment, Renée-Claude a laissé sa vie professionnelle. Elle comprend le rythme de vie de Charles et soutient à peu près tout le reste. Une grosse job, ça se gère à deux. Ce mariage heureux va certainement aider Charles dans ses prochaines fonctions qui seront très exigeantes », dit Isabelle Marcoux.

Au cours de ses 18 ans à la Scotia, Charles Émond a exécuté des transactions, financements, fusions et acquisitions qui se chiffrent en milliards de dollars. Il a travaillé étroitement avec de grands chefs d’entreprise pour les appuyer dans la réalisation de leurs objectifs.

Beaucoup d’entrepreneurs québécois ont accordé leur confiance à Charles Émond au fil des ans.

« Il voit bien les choses. Il arrive à bien les articuler pour bien conseiller ses interlocuteurs. Le nombre de relations qu’il a su bâtir au Québec est impressionnant », dit Grégoire Baillargeon.

« Il m’a déjà dit : “je n’ai qu’une seule parole” », raconte Grégoire Baillargeon. « C’est un homme intègre, honnête et fiable. Tu sais à quoi t’en tenir avec lui. Il n’a pas peur des vraies conversations, de mettre les véritables enjeux sur la table et de dire les choses telles qu’elles sont, mais avec les bons mots. »

Charles Émond maîtriserait aussi plutôt bien l’humour. « Il est très humble et rit souvent de lui-même. Il fait toujours sentir les gens à l’aise. Il est attachant et ça fait en sorte qu’il a beaucoup d’influence. Il est très rassembleur du fait qu’il est attachant », raconte Isabelle Marcoux.

L’homme de 47 ans est aussi qualifié de « tenace et résilient ». « Il a notamment travaillé à Toronto où ça joue plus du coude », fait remarquer Isabelle Marcoux.

Conseiller de Rona

Ses années de banquier d’affaires ont assurément apporté leur lot de défis.

Charles Émond était sur le dossier Rona lors de la vente à Lowe’s il y a quatre ans, une transaction de plus de 3 milliards. En tant que conseiller du quincaillier de Boucherville lorsque le projet initial de transaction a avorté en 2012, il a pu vivre la saga de l’intérieur. Il a su maintenir sa relation avec Rona et était toujours conseiller de l’entreprise au moment de la vente aux Américains en 2016.

« Charles a eu un impact matériel dans cette transaction-là. Il était très impliqué », soutient Grégoire Baillargeon.

« [La transaction de Rona] est certainement un point marquant de sa carrière. »

— Grégoire Baillargeon, directeur général et cochef de BMO Marchés des capitaux

Un rôle capital a aussi été attribué à Charles Émond lors de la vente de Jarislowsky Fraser à la Scotia il y a deux ans, une transaction d’environ un milliard.

« Cette opération est un exemple de sa grande patience, car plusieurs personnes ont courtisé Jarislowsky au fil des ans », lance Eric Desrosiers, associé senior chez Novacap, firme d’investissement installée à Brossard. « Charles a réussi à convaincre Stephen Jarislowsky de faire la transaction avec la Scotia », dit-il.

Le grand patron de Jarislowsky Fraser, Maxime Ménard, affirme avoir toujours considéré Charles Émond comme un leader dévoué. « Il fait preuve d’une très solide éthique de travail et d’une grande intégrité. Il a une capacité exceptionnelle à créer des liens avec les gens. Cela lui permet de gérer avec succès l’aspect humain et d’autres complexités des transactions commerciales, comme l’entente entre la Scotia et Jarislowsky Fraser en 2018. »

« J’ai hâte de voir la marque que son règne va laisser à la Caisse de dépôt. Ça va être intéressant à suivre », conclut Nicolas Marcoux.

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