MON CLIN D’OEIL STÉPHANE LAPORTE

Le député St-Denis : une photo vaut mille maux.

Opinion

Bilinguisme législatif et invalidation des lois québécoises
Le Barreau ne soulève pas le vrai problème

Le Barreau demande que les lois québécoises soient invalidées, sous prétexte qu’elles auraient été adoptées trop exclusivement en français et pas suffisamment en anglais.

Cet audacieux recours est inapproprié parce que les cotisations des membres du Barreau devraient servir à promouvoir la protection du public et non à invalider les lois du Québec. Il est inapproprié parce qu’il vise à favoriser l’anglais aux dépens du français, à l’heure où le recul de notre langue devrait nous inciter à la promouvoir davantage. Et il est inapproprié parce qu’il ne tire pas les bonnes leçons de l’histoire du bilinguisme législatif au Québec.

À l’article 133 de la Constitution de 1867, il est précisé que dans « les chambres du parlement du Canada et les chambres de la législature de Québec […] la rédaction des archives, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l’usage de ces deux langues sera obligatoire » et que « [l]es lois du parlement du Canada et de la législature de Québec devront être imprimées et publiées » dans les deux langues. C’est donc dire que la Constitution impose au Québec un certain bilinguisme législatif, sans en faire de même à l’égard de l’Ontario où il y a pourtant une importante minorité francophone.

Pour mieux refléter la réalité du Québec et limiter cette iniquité, en 1977, la Charte de la langue française est venue préciser à ses articles 9 et 10 d’alors que « [s]eul le texte français des lois et des règlements est officiel » et que « [l]’Administration imprime et publie une version anglaise des projets de loi, des lois et des règlements ».

Même si ces deux derniers articles respectaient parfaitement la lettre de l’article 133, ils ont été déclarés inconstitutionnels par un jugement de la Cour suprême. Pour se conformer à ce jugement, la Charte de la langue française a été modifiée, notamment pour y préciser que « les projets de loi sont imprimés, publiés, adoptés et sanctionnés en français et en anglais, et les lois sont imprimées et publiées dans ces deux langues », et que « les versions française et anglaise des textes […] ont la même valeur juridique ».

Dans ce contexte, le droit actuel semble donc conforme à la jurisprudence constitutionnelle actuelle.

Cette évolution juridique hors sol n’a toutefois pas fait disparaître la réalité qu’elle cherchait à nier : il existe au Québec un « peuple majoritairement francophone », pour reprendre la formule de la Charte de la langue française. Résultat : les Québécois élisent très majoritairement des députés qui sont plus à l’aise en français qu’en anglais et qui, par conséquent, débattent des projets de loi en français ; mais la version anglaise des lois qui n’est jamais autant débattue et n’a donc pas la légitimité démocratique de la version française, malgré la validité constitutionnelle du processus entourant son adoption, a la même valeur que cette version française, sur laquelle elle peut même l’emporter.

Il y a donc un vrai problème, mais ce n’est pas celui que prétend régler le recours du Barreau qui, au contraire, l’aggraverait.

Ce vrai problème est politique plutôt que juridique et résulte de la trop grande importance accordée à la version anglaise et non l’inverse.

La solution n’est donc pas d’invalider les lois québécoises et encore moins de forcer les parlementaires à débattre en anglais ou pire « en bilingue » (ce qui supposerait d’interdire l’élection d’unilingues francophones). 

La solution consiste plutôt à revenir à la version de 1977 de la Charte de la langue française ainsi qu’à la lettre de l’article 133 et donc à renverser la jurisprudence de la Cour suprême qui est venue renforcer l’iniquité de cet article aux dépens des francophones. Cela pourrait se faire à l’aide d’un amendement constitutionnel ou d’une audacieuse plaidoirie. En effet, qui a dit que dans ce dossier seuls les adversaires du français pouvaient faire preuve d’audace ?

* Cosignataires : Me Éric Poirier, Me François Côté, Nicolas Proulx, Nicolas Rioux, Idriss Moukagni, Chiara Mara-Bolduc et Julien Corona. Les signataires ont participé à titre d’auteurs, de collaborateurs, de recherchistes ou de correcteurs à l’ouvrage de référence Le droit linguistique au Québec, qui vient de paraître chez Lexis Nexis. Guillaume Rousseau, qui est candidat du Parti québécois dans Sherbrooke, s’exprime ici à titre d’avocat.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.