Chronique

Courtier d’assurances, vraiment ?

Quand vous faites affaire avec un courtier pour votre assurance auto ou habitation, vous croyez sûrement qu’il demande des soumissions à tous les assureurs pour dénicher la couverture la plus avantageuse pour vous.

Eh bien, j’ai des petites nouvelles pour vous.

Dans les faits, les grands cabinets de courtage concentrent l’essentiel de leur volume d’affaires chez un ou deux assureurs. Comme par hasard, il s’agit souvent d’un assureur qui est actionnaire du cabinet en question.

Pour l’objectivité, il faudra repasser.

Mais la situation pourrait devenir encore plus incestueuse. Hier, Québec a terminé une consultation qui pourrait faire voler en éclats le dernier rempart qui protège l’indépendance des cabinets de courtage. Extrêmement sensible et émotif, cet enjeu déchire en ce moment l’industrie du courtage.

En fait, on remet en question la règle qui interdit qu’un cabinet de courtage soit détenu à plus de 20 % par un assureur.

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Lorsque cette limite a été imposée, en 1988, l’objectif était de faire échec aux conflits d’intérêts. En filigrane, Québec voulait aussi éviter que le réseau de cabinets québécois se fasse gober par des multinationales ou des boîtes de Toronto.

Apparemment, cette règle n’a pas été suffisante. En 2005, une enquête de l’Autorité des marchés financiers (AMF) a démontré que les grands cabinets concentraient 60 % de leur volume d’affaires auprès d’un seul assureur, et 80 % chez deux seulement. Généralement, ces assureurs chouchous étaient aussi des actionnaires du cabinet. Gênant !

Par souci de transparence envers les consommateurs, Québec a ensuite forcé les cabinets de courtage à divulguer par écrit leurs liens avec un assureur privilégié au moment de signer ou de renouveler une police d’assurance.

Mais fondamentalement, rien n’a changé. Les cabinets de courtage ne magasinent pas à travers tout le marché. Ils ne peuvent pas, car chaque assureur exige un volume d’affaires important du cabinet. Alors, impossible de traiter avec tout le monde. Purement mathématique.

Et les règles de transparence ont eu peu d’effet. Le client porte-t-il seulement attention à la mise en garde ? Saisit-il le conflit d’intérêts latent dans lequel se trouve le cabinet ? Sait-il que son courtier n’a pas scruté l’ensemble du marché pour lui dénicher le meilleur prix ? J’en doute.

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Pendant ce temps, l’industrie du courtage est en perte de vitesse. Elle doit se défendre contre les assureurs qui vendent leurs produits directement au grand public (Desjardins, SSQ, etc.). Ces acteurs, qui n’existaient pas il y a quelques décennies, accaparent aujourd’hui 58 % du marché de l’assurance automobile dans la province, selon l’AMF.

Pour se défendre, l’industrie du courtage s’est consolidée depuis 10 ans. En assurance automobile, le géant Intact Assurance possède maintenant à lui seul plus de la moitié de la distribution par courtiers (55 %).

Face à la concurrence accrue, les assureurs par courtiers font tout en leur pouvoir pour fidéliser leur réseau de distribution. Voilà pourquoi ils font des pressions énormes pour faire disparaître la règle du 20 % qui leur permettrait d’acquérir des cabinets de courtage en entier.

Dans un mémoire déposé au ministère des Finances, cette semaine, Intact s’est clairement prononcé pour l’abolition, faisant notamment valoir que le Québec est la seule province à imposer une telle contrainte.

L’assureur reconnaît que la règle visait « un idéal noble », mais il estime néanmoins qu’elle est devenue obsolète avec le temps. L’assureur craint notamment que des multinationales comme Google, qui a récemment investi dans Lemonade, un assureur américain nouveau genre, ne soient tentées d’envahir le Québec. Dans ce contexte, les cabinets de courtage doivent avoir accès à des capitaux pour solidifier leur entreprise et investir dans de nouvelles technologies, plaide Intact.

Mais les avis restent très partagés chez les courtiers.

L’Alliance pour un courtage plus fort, qui regroupe 84 grands cabinets, milite pour l’abolition de la règle qui permettrait de poursuivre la consolidation en bénéficiant des capitaux d’un assureur.

Mais de nombreux plus petits cabinets indépendants sont complètement outrés. Ils craignent que l’indépendance des courtiers ne soit affectée. À juste titre !

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Si un assureur veut posséder à 100 % son réseau de distribution, il deviendra en pratique un assureur direct.

Si un courtier est contrôlé à 100 % par un assureur dont il vend essentiellement les produits, il ne sera plus un courtier, mais plutôt un agent de service à la clientèle. Il faut appeler un chat un chat et arrêter d’induire le public en erreur.

Pour les consommateurs, un bon magasinage est crucial, car dans le monde de l’assurance dommages, les primes peuvent varier du simple au double. Et même plus !

Alors, comment s’assurer d’avoir le meilleur prix ?

– Idéalement, magasinez votre assurance auprès de plusieurs assureurs directs et de plusieurs courtiers, car ils n’ont pas accès aux mêmes produits.

– Quand vous faites appel à un courtier, exigez de voir la liste des soumissions qu’il a obtenues des différents assureurs. Demandez-lui quels sont ses liens d’affaires avec l’assureur qu’il vous recommande.

– Ne focalisez pas seulement sur le prix. Assurez-vous d’avoir la bonne couverture d’assurance en fonction de vos besoins.

– Ne renouvelez pas votre police les yeux fermés. Les hausses de primes peuvent être significatives d’une année à l’autre. Refaites votre magasinage régulièrement.

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