Salons masculins

Pour le mâle « nouveau »

L’idée d’un Salon de la femme est implantée depuis si longtemps qu’on ne s’en étonne plus guère. L’avènement d’un événement semblable consacré aux hommes attise toutefois la curiosité. Constater que, en moins de six mois, trois salons consacrés aux produits et intérêts masculins auront eu lieu pour la première fois à Montréal force à se pencher sur le phénomène et à se poser cette question hautement philosophique : pourquoi ?

Karly Fils-Aimé, promoteur du Weekend au masculin, tenu à la fin du mois de novembre 2015, a une réponse toute simple : parce que les hommes d’ici ont changé. « Ils prennent davantage soin d’eux-mêmes, tant sur le plan esthétique – ils s’habillent mieux – que domestique, puisque les hommes participent de plus en plus aux tâches ménagères », avance-t-il.

Son salon, Karly Fils-Aimé l’a développé selon trois axes : santé, affaires et styles de vie. Trois jours durant, les visiteurs étaient invités à découvrir divers produits et services, à s’informer au sujet de leur santé (cancer de la prostate, nutrition, etc.), mais aussi à assister à un atelier de séduction ou à écouter des sportifs professionnels : footballeur, pilote NASCAR ou spécialiste des arts martiaux mixtes.

Ce mois-ci, le Salon de l’homme propose une expérience similaire avec moins de mode et plus d’activités traditionnellement masculines : chasse, pêche, voitures, véhicules récréatifs, alcool, boxe et, entre autres, la possibilité de poser avec les jeunes femmes du magazine Summum. En avril, le salon L’art de vivre au masculin misera quant à lui sur le luxe « accessible », les arts de la table et l’étiquette.

ENTRE HOMMES

L’idée derrière le Salon de l’homme est de permettre aux gars de se retrouver entre eux, résume Jean-Marc Lefebvre, promoteur de l’événement. Il a fait beaucoup de salons d’exposants avec l’une de ses entreprises et juge que « tout est féminisé » désormais. Il cite en exemple le récent Salon de la moto, publicisé entre autres à l’aide du portrait d’une femme motocycliste.

« L’homme québécois a été un peu émasculé depuis 20 ou 30 ans par un féminisme rampant qui l’a infantilisé. On l’a vu dans les spots publicitaires dans les années 80, 90 et même aujourd’hui, analyse pour sa part Serge Jean Laviolette, porte-parole du salon L’art de vivre au masculin. Il y a une réappropriation de la masculinité. » Dans une perspective « moderne et inclusive », précise-t-il.

« Je ne veux pas rabaisser ce qui a été fait pour les femmes, ce n’est pas la question », affirme Jean-Marc Lefebvre avec prudence. Il estime néanmoins que les hommes ont été un peu mis de côté. D’où l’envie de les rassembler autour de leurs passions, une idée qui n’a cependant pas été facile à défendre. « Ce n’est pas naturel. Ce qui me fait croire qu’il était temps qu’on valorise les hommes », dit-il.

« Je trouve qu’il n’y a pas de milieu : si on fait un Salon de l’homme, on passe soit pour des misogynes, des gais ou des antigais. Pourquoi ? Où est-ce que c’est écrit ? »

— Jean-Marc Lefebvre, promoteur du Salon de l’homme

PARADOXE MASCULIN

Cibler les hommes est peut-être délicat sur le plan social, mais est logique sur le strict plan du marketing. « L’esprit du temps a changé : depuis une dizaine d’années, on assiste à un déplacement de la focale des marketeurs vers les hommes, expose Housni Nafis, maître d’enseignement en marketing. Les produits destinés aux hommes sont de plus en plus sophistiqués et les contrats publicitaires qui visent les hommes sont très ciblés parce que l’homme a changé. »

La ligne qui distingue les rôles sexuels et les tâches ménagères est devenue plus floue. Les femmes font plus de rénovations et les hommes cuisinent plus, par exemple, et les parents des deux sexes s’occupent des enfants. « Il y a eu une petite révolution qui a entraîné une plus grande ouverture d’esprit des hommes par rapport à certaines pratiques, notamment celle de faire attention à son physique et à vouloir être beau. »

N’est-il pas paradoxal de vanter « l’ouverture » des hommes aux produits cosmétiques d’un côté et de miser sur des intérêts très stéréotypés – auto, sport, chasse, alcools, etc. – de l’autre en mettant sur pied un événement apparemment conçu selon leurs goûts ? « Oui, d’une certaine façon, ça divise encore plus, mais ça permet aux marques de mieux définir leurs lignes de produits et, au final, de vendre plus », expose Arnaud Granata, vice-président et directeur des contenus des Éditions Infopresse.

« Les virages ne sont pas drastiques », précise Housni Nafis.

« Les valeurs les plus prédominantes chez l’homme demeurent la virilité, la force, l’énergie et le sexe, qui est omniprésent dans les discours masculins. »

— Housni Nafis, maître d’enseignement en marketing

S’appuyer sur une forme de masculinité traditionnelle pour vendre des produits ou services dits plus féminins procède donc aussi d’une certaine logique. Ce que Serge Jean Laviolette affirme en signalant l’attrait exercé par l’image masculine propagée par des séries comme Downton Abbey et Mad Men.

Arnaud Granata croit également que les événements et le marketing de genres contribuent à « rassurer » les consommateurs. « On achète des produits pour se sentir bien. C’est l’une des fausses façons d’avoir une meilleure estime de soi, dit-il. Il peut être réconfortant d’acheter un produit qui nous est vraiment destiné, qui reflète ce qu’on est et ce qu’on veut projeter. En même temps, c’est réducteur, parce que ce n’est pas ça la vie… »

Salons pour hommes

Le Salon de l’homme

10 au 13 mars au Palais des congrès

L’objectif du premier Salon de l’homme est ambitieux : 30 000 visiteurs en une fin de semaine. À titre de comparaison, le dernier Salon de la femme a attiré 25 000 personnes. L’organisation compte sur l’appui d’un porte-parole bien connu et décomplexé, Étienne Boulay, ancien porte-couleurs des Alouettes de Montréal qu’on a aussi vu à l’émission de variétés Les dieux de la danse. L’affiche du Salon de l’homme a quelque chose de plus traditionnel et propose notamment des conférences intitulées La violence n’a pas de sexe et Quand les pensions alimentaires t’enlèvent ta dignité et te marginalisent !

Salons pour hommes

L’art de vivre au masculin

15 au 17 avril aux Entrepôts Dominion

Ce n’est pas tout à fait un salon de l’homme que décrit son porte-parole, Serge Jean Laviolette, mais plutôt un salon du gentleman en évoquant l’image masculine véhiculée par les séries Mad Men, Suits et Downton Abbey. Son public cible est celui des professionnels assez bien nantis, soucieux d’eux-mêmes et de leur bien-être. Les arts de la table et les bonnes manières seront à l’honneur dans cet événement, raconte M. Laviolette en glissant les mots « raffiné » et « prestige ».

Salons pour hommes

Weekend au Masculin

Tenu du 27 au 29 novembre 2015

Karly Fils-Aimé, promoteur du Weekend au masculin, croit que l’homme d’aujourd’hui peut « affirmer sa masculinité tout en prenant soin de lui et sans crainte de se faire juger ». Son événement présentait des services destinés aux hommes (soins du corps, soins de beauté, mode, style, etc.), mais aussi des démonstrations d’arts martiaux mixtes, de jeux vidéo, des espaces lounge et de l’information sur la santé masculine. Une deuxième édition doit avoir lieu cette année.

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