Chronique

Lait et lait

Voilà des décennies maintenant, depuis les hippies des années 70 et même avant, qu’on nous dit de manger moins de viande parce que l’élevage du bétail impose une pression écologique démesurée sur la planète.

Comme il faut des quantités de végétaux énormes pour produire de la viande, les environnementalistes et les végétariens nous répètent depuis toujours qu’il vaut mieux que ce soit nous qui mangions des végétaux pour aller y chercher les nutriments nécessaires à notre survie. Non seulement c’est une utilisation plus efficace de la biomasse, mais une utilisation plus saine. Il suffit de regarder les chiffres sur l’embonpoint, le diabète, les maladies coronariennes et tutti quanti pour comprendre qu’on mange trop en général et trop de viande en particulier. Et pas besoin d’en rajouter une couche en parlant de la quantité de gaspillage dans l’univers de la boucherie industrielle pour comprendre qu’il y a longtemps qu’on aurait dû se rendre à l’évidence : vaut mieux manger ce qui pousse dans la terre.

Cette logique, toutefois, commence à être à son tour remise en question.

De la même façon qu’on nous a demandé de faire presque demi-tour avec le poisson, aliment béni des années 80 et 90 et aujourd’hui dans la ligne de mire des écolos pour cause de surpêche et de piscicultures intensives néfastes, nous devons maintenant commencer à nous poser des questions au sujet de notre consommation végétale.

Le secteur qui lance l’alarme ? Celui des amandes.

Les amandes, on s’entend, sont des noix absolument formidables. Non seulement elles sont délicieuses, mais en plus, elles trônent chez les aliments excellents pour la santé puisque la nature les a remplies de toutes sortes de vitamines et de produits phytochimiques aux vertus multiples.

Le hic, c’est que les Américains ont multiplié par 10 leur consommation d’amandes depuis 50 ans et que 80 % de la production mondiale d’amandes provient du même endroit, la Californie. Or, la Californie est au cœur d’une vague de sécheresse désastreuse. Et les amandiers ont besoin d’eau.

Selon The Atlantic, qui a publié un grand papier là-dessus l’été dernier, chaque amande a besoin de quatre litres d’eau pour arriver à maturité.

Pouvez-vous imaginer ce que cela représente ? Sachant que les Américains sont amoureux fous de ce produit, en commençant par les végétariens et surtout les végétaliens et autres anti-produits laitiers qui utilisent le lait d’amandes pour remplacer le lait.

De Brooklyn à Seattle, on croit se garder en santé tout en drainant la Californie… Selon un article paru dans Mother Jones, les amandiers californiens utilisent 3,5 milliards de mètres cubes d’eau par année, trois fois ce que la ville de Los Angeles, avec ses maisons et ses sociétés consomme. En fait, 10 % de toute l’eau destinée à l’agriculture en Californie s’en va aux amandiers. Or l’État est à un niveau de sécheresse sans précédent, au point où elle dépasse le niveau maximum des unités de mesure des sécheresses. Avant, la pire des sécheresses était de grade 4. Maintenant, il y a le grade 5…

Quand est-ce qu’on va arrêter ?

L’Amérique est déconcertante.

Car, comme d’habitude, le problème, ce n’est pas le végétalisme – ce qu’on appelle aussi le véganisme – ou le végétarisme ou la consommation de viande.

Le problème, comme toujours, c’est l’industrialisation, c’est l’excès, c’est l’idée de vendre aux consommateurs des solutions miracles qui n’en sont pas.

« Le lait de vache est mauvais ? Buvons tous du lait d’amandes ! On réfléchira plus tard aux conséquences… »

Or évidemment, il y en a des conséquences.

Si demain matin on décidait tous en chœur de manger la pire des mauvaises herbes qu’on a toujours trouvée en abondance et décriée, hé bien elle aussi serait en péril et un équilibre serait défait.

On comprend les Américains de vouloir délaisser le lait industriel, puisqu’aux États-Unis, on permet encore l’utilisation d’hormones de croissance chez les vaches, pour stimuler la production. C’est encore légal et il y a plein de gens pour dire que ces hormones produites par Monsanto, notamment, ne posent aucun danger pour les animaux et les humains. Mais bon, on a déjà dit la même chose pour les BPC et la thalidomide, n’est-ce pas ? Laissons aux consommateurs le choix du doute.

Sauf qu’on sait aussi maintenant qu’il n’y a pas non plus de substitut miracle au lait de vache. Le gros du lait d’amandes vendu en Amérique du Nord n’est pas exactement produit par des petits artisans. Les multinationales s’y sont mises. Et il y a la sécheresse. Le lait de soja ? C’est une des cultures les plus visées par les OGM…

Peu importe où on regarde, il y a des signaux d’alarme, des raisons de se remettre en question.

Et de plus en plus, d’autres concepts de consommation et d’alimentation écolo-responsable doivent émerger. Vive la modération, la traçabilité, les choix locaux, la lutte contre le gaspillage, comme et quand ça me plaît.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.