Crise nucléaire

Comprendre le casse-tête nord-coréen

L’actualité file à vive allure. Pour bien comprendre les enjeux et les intérêts derrière la crise nucléaire nord-coréenne, il faut mettre les choses en perspective. Des experts font le point. Un dossier de Réjean Bourdeau

Corée du Nord

Une crise sur plusieurs fronts

La crise nucléaire avec la Corée du Nord se décline sur plusieurs fronts. Et les nombreux pays impliqués ont tous des intérêts différents. Comment s’y retrouver ? Entrevue avec Alexandre Debs, professeur de science politique à l’Université Yale, auteur de Nuclear Politics : The Strategic Causes of Proliferation.

Pourquoi la Corée du Nord agit-elle ainsi ? 

La Corée du Nord est encore techniquement en guerre avec son voisin. Les États-Unis et la Corée du Sud font des exercices militaires chaque année. Elle a donc intérêt à se préparer à l’éventualité d’une reprise des hostilités. De plus, son dirigeant Kim Jong-un a peut-être tiré des leçons de la guerre en Irak et de la chute de Kadhafi, en Libye. Il se dit qu’il vaut mieux ne pas abandonner l’option nucléaire. Ça lui permet de menacer, non seulement les alliés des Américains, mais les États-Unis directement. 

Après des années d’essais peu convaincants, comment la Corée du Nord a-t-elle fait pour améliorer si rapidement ses armes nucléaires ? On parle d’une bombe H, 16 fois plus puissante que la bombe A qui a dévasté Hiroshima… 

C’est possible qu’elle ait obtenu la technologie des usines d’armement en Ukraine. Mais cette conclusion ne fait pas l’unanimité. Les services d’information américains croient plutôt que la Corée du Nord a elle-même produit le moteur, peut-être avec l’aide de l’Iran.

Quels sont les intérêts de la Chine dans cette histoire ?

La Chine veut préserver la stabilité. Si le régime nord-coréen tombe, ou si un conflit militaire éclate, des réfugiés de la Corée du Nord se déplaceront en Chine, ce qui causera une crise humanitaire. Elle veut aussi éviter une situation où un allié des États-Unis se retrouve à sa frontière. N’oublions pas que la Corée du Nord sert de « zone tampon » entre la Chine et la Corée du Sud. Enfin, à plus long terme, la Chine veut étendre son influence dans la région. En ce moment, elle doit composer avec la présence des États-Unis, alliés à la Corée du Sud et au Japon. Une crise pourrait renforcer leurs alliances avec les Américains. Par ses liens avec la Corée du Nord, la Chine est l’acteur le plus important pour en arriver à une situation diplomatique.

Que veut la Russie ?

Elle s’inquiète du développement du bouclier antimissile américain (THAAD). Ce système pourrait être utilisé pour contrer une attaque de la Corée du Nord. Mais dans un futur hypothétique, il pourrait aussi servir contre la Russie. Donc, les Russes veulent éviter que la crise nord-coréenne serve à accélérer le développement de ce système.

Que souhaite la Corée du Sud ?

Le pays veut éviter une guerre. Elle serait très coûteuse en vies humaines pour la Corée du Sud. Son président a dit qu’il ferait « tout » pour empêcher un conflit.

Quels sont les intérêts du Japon ? 

Il veut s’assurer que les États-Unis continuent à garantir sa sécurité. Les missiles nord-coréens peuvent atteindre le Japon (un missile a survolé l’archipel jeudi dernier), qui abrite des bases militaires américaines.

Que peuvent faire les États-Unis ?

Ils ont des outils économiques et diplomatiques pour faire des pressions. Ils doivent convaincre la communauté internationale d’établir des sanctions contre la Corée du Nord. Mais les options militaires ne sont pas bonnes.

Pourquoi les États-Unis ne peuvent-ils pas attaquer avec des armes conventionnelles ?

Parce que Séoul, la capitale de la Corée du Sud (10 millions d’habitants), est à seulement 50 km de la frontière. La Corée de Nord a mis en place une batterie de missiles qui pourrait riposter en très peu de temps. Et faire de grands dommages à la population de Séoul. L’ex-conseiller Steve Bannon (en entrevue) et l’ex-secrétaire d’État Condolezza Rice (dans un livre) ont déjà admis que l’option militaire n’était pas la bonne. Cela dit, quand on ne peut pas utiliser une approche militaire, on réduit la crédibilité de nos menaces. Par contre, cette peur de l’option militaire limite les risques de conflit des deux côtés.

Qu’en est-il de l’approche diplomatique ?

C’est la meilleure solution. Le président Trump, par contre, envoie des signaux contradictoires. D’abord, il a dit qu’il parlerait à la Corée du Nord. Ensuite, il a dit que la diplomatie n’est pas la solution et que la Corée du Nord ne comprend qu’une chose ; la méthode forte, on présume. C’est possible – on spécule – qu’il veuille mettre une grande pression dans l’optique de conclure un accord. Et suggérer, ensuite, que la victoire diplomatique s’explique par ses méthodes de négociations.

Et les sanctions économiques ?

C’est un outil de négociation, mais il nécessite la collaboration de la communauté internationale. Le mois dernier, la Chine a accepté les sanctions contre la Corée du Nord. Mais quand les États-Unis veulent couper l’envoi de pétrole, la Chine refuse… L’efficacité des sanctions est matière à débat. Certains pensent qu’elles ne fonctionnent pas très bien contre un pays comme la Corée du Nord. La population souffre sans grand changement. Et il ne faut pas s’attendre à ce que le pays démantèle son arsenal à la suite de sanctions.

Perspectives

Les origines du conflit

Pour reconstituer le grand casse-tête nord-coréen, il faut prendre un peu de recul. Voici quelques-unes des pièces qui le constituent.

Trois questions pour mieux comprendre les deux Corées

Pourquoi deux Corées ?

Retour en arrière en Asie du Nord-Est. En 1910, le Japon annexe la Corée pour en faire une province de son empire. Trente-cinq ans plus tard, le Japon perd la Seconde Guerre mondiale. Les vainqueurs divisent alors la Corée en zones d’occupation. Au nord, la sphère soviétique (russe) est communiste. Au sud, l’américaine est capitaliste. En 1948, la Corée du Nord et la Corée du Sud deviennent des États distincts. « L’histoire a un poids démesuré dans cette région. On la ressent encore dans les relations d’aujourd’hui », dit le chercheur Benoit Hardy-Chartrand, du Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale (CIGI). On peut le constater. Le Japon, la Russie, les États-Unis et la Chine sont des acteurs importants dans la crise actuelle.

Pourquoi la guerre de Corée ?

Le dimanche 25 juin 1950, la Corée du Nord attaque le Sud sans prévenir. Son objectif : réunifier le pays par la force. « L’avancée est rapide. Mais les Américains repoussent l’armée nord-coréenne à la frontière chinoise », dit Benoit Hardy-Chartrand. Puis, les Chinois s’en mêlent par solidarité communiste. Et surtout pour chasser les « impérialistes » arrivés à leurs portes. L’armée chinoise refoule les Alliés vers le 38e parallèle nord, qui sert de frontière entre les deux Corées. Officiellement, les Russes ne sont pas impliqués dans le conflit. Mais ils aident les Chinois et la Corée du Nord. Après cette poussée, la guerre s’enlise. « La séparation entre les Corées du Nord et du Sud se cristallise durant cette guerre », dit l’expert de l’Asie du Nord-Est.

Pourquoi le conflit perdure-t-il ?

L’armistice est signé en 1953 entre la Corée du Nord, la Chine et l’ONU. Mais la Corée du Sud n’est pas à la table. En fait, l’accord de paix entre les deux Corées n’a jamais été ratifié. « Ça signifie que les deux pays sont toujours techniquement en état de guerre », explique Benoit Hardy-Chartrand. Une convention d’armistice n’a pas la même valeur qu’un traité de paix. Il n’établit pas des procédures de résolution des conflits à venir ni les obligations des deux parties. « Cette situation affecte les relations intercoréennes, ajoute M. Hardy-Chartrand. Les deux pays ne se sont jamais entendus pour mettre sur pied un régime de paix qui aurait pu jeter les bases d’une plus grande coopération et peut-être, à terme, d’une réunification. »

La dynastie communiste des Kim

De Kim Il-sung à son petit-fils Kim Jong-un, les leaders de la Corée du Nord gardent une emprise sur le pays. Qui sont-ils ?

Une dictature

Les structures politiques du régime nord-coréen sont dictatoriales. Elles ont été modelées, en grande partie, sur celles de l’Union soviétique de l’époque. Et elles ont peu changé, même si elles datent de la fin des années 40.

Avec l’aide de Staline

Le leader soviétique Joseph Staline a donné le pouvoir à Kim Il-sung, un résistant communiste antijaponais, en 1948. « Sous sa gouverne répressive, le pays s’est développé rapidement, dit Benoit Hardy-Chartrand. Le peuple lui vouait un respect réel. »

Armes nucléaires

Les choses se gâtent avec son fils Kim Jong-il. La Corée du Nord subit une grande famine de 1994 à 1997. Bilan : de 1 à 3 millions de morts. Il axe son programme sur les dépenses militaires et sur le développement des armes nucléaires.

Optimisme prudent

Après la mort de son père, Kim Jong-un prend le pouvoir en 2012. « Son arrivée a amené une dose d’optimisme prudent, dit le chercheur au CIGI. Il était plus jeune, donc plus ouvert aux changements. » Il avait notamment étudié en Suisse.

Fin des relations

Rapidement, le nouveau leader signe un accord avec les États-Unis. En échange d’aides, il accepte un gel du programme nucléaire. Peu après, il lance un satellite dans l’espace… « Les relations ne se sont jamais rétablies », précise le chercheur.

Le nucléaire, toujours le nucléaire

« Le pays a la main sur le nucléaire depuis 50 ans », dit M. Hardy-Chartrand. Il travaille sur des réacteurs depuis les années 60. Et sur l’armement depuis les années 80. « C’est une fierté nationale d’être dans ce club exclusif », explique-t-il.

Escalader des montagnes

Le dirigeant actuel de la Corée du Nord, Kim Jong-un, peut escalader une montagne de plus de 2700 mètres en souliers vernis. Il a conduit seul sa première automobile à l’âge de 3 ans. Il pilote même un avion sans avoir pris de leçons…

Son père, Kim Jong-il, était, entre autres, un excellent golfeur. Lors de son premier parcours, il avait réussi 11 trous d’un coup ! Et ce ne sont pas les titres spéciaux qui manquent pour le désigner : « Guide des rayons du soleil », « Grand homme descendu du ciel », etc.

Vous l’aurez deviné, il s’agit de propagande. « Les leaders de la Corée du Nord font l’objet d’un culte de la personnalité », souligne Benoit Hardy-Chartrand, également associé à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’Université du Québec à Montréal.

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