Série 2/6 La vie après la politique

La fin des sacrifices

Pendant quelques années, leur vie, c’est la politique. Puis vient le temps de tout quitter. Pour certains députés, c’est leur choix. Pour d’autres, les électeurs leur montrent la porte. Entrevues sur l’après-vie parlementaire.

Les pancartes électorales sont partout pareilles. Un regard fixe, un sourire franc, un seul nom en gros caractères. Mais devenir candidat n’est pas l’affaire d’une personne. Les sacrifices que cela comporte sont partagés. En particulier avec leur famille.

En 2014, avant de se représenter aux élections, Stéphanie Vallée s’interroge. Souhaite-t-elle renouveler son mandat ou passer le flambeau ? « J’ai demandé à mes enfants s’ils étaient d’accord pour que je me représente. Ils m’ont tous les deux répondu : “Tu ferais quoi d’autre, maman ?” Ça m’a rassurée. »

Mais quatre ans plus tard, sa réflexion a évolué. Celle qui est devenue ministre de la Justice est prête à tourner la page. Il est temps de retrouver son noyau familial.

« Pendant mon mandat, mon fils m’a demandé : “Sais-tu ce que c’est, être ton fils ? Toi, tu es ministre. Qu’est-ce que je peux faire dans la vie qui va te rendre fière ?” », raconte l’ex-députée de Gatineau, encore émue.

« Je lui ai répondu : “Fais ce qui te rendra heureux. J’ai le privilège d’être ministre, mais je ne juge pas les gens en fonction de leur titre. Je les juge pour qui ils sont.” » Et ses enfants, à l’évidence, elle en est fière.

À ce moment-là, tout s’éclaircit. « Je leur en ai beaucoup demandé ces dernières années. C’est à mon tour d’être présente pour eux », dit-elle.

À Québec, où elle habite à temps partiel depuis plus de 11 ans, Stéphanie Vallée annonce son départ. Ce jour-là, elle est sereine. Elle a pris la bonne décision.

Fini, les longues routes

Assise dans un café du boulevard Honoré-Mercier, Mme Vallée est de passage dans la capitale pour visiter sa fille, élève au cégep Limoilou. Habituée à ces allers-retours entre Gatineau et Québec, c’est la première fois qu’elle fait ce trajet au volant depuis qu’elle n’est plus ministre.

« Quand j’étais députée, pour me permettre de souper avec les enfants le lundi soir, je partais le mardi matin à 3 h. Je prenais le premier avion vers Québec, qui arrivait à 8 h, puis je travaillais souvent jusqu’à 21 h 30. Ça faisait de longues journées », se souvient-elle, sans l’ombre d’un cerne.

Originaire de l’ouest de l’île de Montréal (elle a étudié à la même école secondaire que le premier ministre François Legault), Stéphanie Vallée a pris racine en Outaouais. « Je suis tombée en amour avec la région, ses grands espaces, ses forêts et ses lacs », raconte celle qui a représenté la circonscription de Gatineau de 2007 à 2018.

« L’ancien député libéral m’avait dit : “Tu vas voir, la p’tite, ce n’est pas bien compliqué. Tu es à Québec deux ou trois jours par semaine.” C’était un gars de terrain, moins intéressé par la joute au parlement. Mais moi, quand je suis arrivée à l’Assemblée nationale, j’étais fascinée par les commissions parlementaires. On y parlait d’un tas de sujets, on avait la possibilité d’apprendre », explique-t-elle.

Devenir ministre a toutefois bousculé son horaire. À la tête de la Justice, avec deux enfants et responsable de l’Outaouais de surcroît, Stéphanie Vallée a demandé qu’on s’adapte à sa réalité de députée de région.

« Ça n’avait pas de bon sens que je doive me déplacer régulièrement à Québec en dehors des sessions parlementaires. Pour la conciliation travail-famille, ce n’était pas évident. Alors j’ai fait de la vidéoconférence. Ça a amélioré ma qualité de vie de façon spectaculaire. »

— Stéphanie Vallée

Pas faite pour la routine

En quittant la vie politique, Stéphanie Vallée ne prend pas la voie du 9 à 5. Habituée à mener 10 projets à la fois, elle avait fondé à 23 ans son propre cabinet d’avocats à Maniwaki. Maintenant âgée de 47 ans, elle prend le temps nécessaire pour effectuer une transition vers de nouveaux défis professionnels.

« J’avoue que les premières semaines [après son départ], je n’étais pas super plaisante. Quand Roch [Cholette, animateur de radio, son conjoint] revenait à la maison et me demandait ce que j’avais fait de ma journée, je lui répondais : “Qu’est-ce que tu penses que j’ai fait ? Je suis allée marcher avec Bubbles” », se rappelle Mme Vallée, qui sourit dès qu’elle parle de son chien (gros comme un poney).

« Je trouvais que je ne me réalisais pas beaucoup, mais en même temps, j’ai besoin de ce temps d’arrêt pour être capable de définir les prochains défis que je veux réaliser », poursuit-elle, assurant qu’il n’est pas question de replonger en politique en 2019, où certains la verraient sur la scène fédérale.

Il faut dire que la dernière année de Stéphanie Vallée à Québec a été particulièrement chaude sur le plan politique. Responsable du projet de loi 62 sur la « neutralité religieuse » de l’État, elle était au cœur de questions déchirantes sur le port de signes religieux et sur les services publics reçus à visage découvert.

« Je veux maintenant faire attention de ne pas jouer à la belle-mère, mais j’ai beaucoup de difficulté à ce qu’on banalise la restriction des droits. […] Certains pourraient prétendre que je n’étais à l’époque que l’exécutante d’un mandat, mais j’y croyais vraiment », défend-elle de façon prudente. Sa loi est aujourd’hui contestée devant les tribunaux.

La fin d’un rêve

En quittant le café pour retrouver sa fille près de la place D’Youville, elle observe le Vieux-Québec qui offre une vue en pente sur le parlement. Pour Stéphanie Vallée, cet édifice où elle a passé plus de 11 ans regorge de souvenirs et de leçons qu’elle souhaite transmettre à ses enfants.

« Je me souviendrai toujours du moment où j’ai été nommée ministre. Je pensais à ma grand-maman, qui est toujours vivante à 100 ans. Elle a quitté la maison à 12 ans, s’est mariée à 15 ans, et quand elle est née, les femmes n’avaient pas le droit de vote », raconte-t-elle avec affection.

« Au Québec, tout le monde peut briller. Il suffit d’y croire et de travailler. Quand on regarde ailleurs, dans bien des États, ceux qui accèdent au Conseil des ministres sont les mieux nantis. La clique. Pas ici », affirme l’ex-ministre.

STÉPHANIE VALLÉE

47 ans

Elle a été élue pour la première fois aux élections de mars 2007 dans la circonscription de Gatineau, en Outaouais. Elle a quitté la politique au terme de la 41e législature.

Au cours de ses mandats, elle a été adjointe parlementaire à la ministre de l’Éducation, adjointe parlementaire du premier ministre Jean Charest, leader parlementaire adjointe du gouvernement Couillard, ministre de la Condition féminine et ministre de la Justice.

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