Cégep de Matane

Amenez-en, des Français !

« Vivez l’expérience Matane », venez étudier « à proximité de la mer, des montagnes Chic-Chocs, de paysages magnifiques », au cœur « de grands espaces », dit la brochure publicitaire du cégep de Matane, qui insiste davantage sur les feux de camp au bord du fleuve et les expéditions en kayak que sur le rude hiver à affronter. En substance, pourquoi aller dans le Plateau Mont-Royal quand il y a Matane ?

Matane ? « Au début, ça me faisait un peu peur de partir étudier dans une ville excentrée comme Matane où, par moments, il y a 60 degrés d’écart entre ici et chez moi, raconte Célia Alvarez, qui est partie de l’île de la Réunion pour venir étudier au cégep de Matane. Mais je suis tombée totalement amoureuse de ce pays et mon but, c’est de rester au Québec. »

Si le mot s’est répandu depuis, le cégep de Matane a été le premier à flairer ce bon filon de la Réunion, territoire français au cœur de l’océan Indien où, à l’inverse de Matane, il y a trop, beaucoup trop de jeunes.

« On nous paie pour qu’on parte, et ils ne veulent surtout pas que l’on rentre comme chômeurs. »

— Olivier Beguin, originaire de la Réunion

« Casse-toi, mon fils »

C’est dit plutôt crûment et le discours détonne au Québec, surtout en région, où l’on fait des pieds et des mains pour attirer des jeunes, mais c’est quand même cela. La Réunion verse de fait de généreuses bourses à ses jeunes pour qu’ils partent acquérir une formation, un avenir, voire trouver un pays d’accueil, parce que dans cette toute petite île, des emplois, il n’y en a pas.

Si le problème est moins critique en France même, la situation de l’emploi n’y est pas particulièrement reluisante non plus.

« Mon père m’a toujours dit : “Dès que tu le peux, casse-toi, mon fils” », lance Charles Chaumienne, Français qui est arrivé au cégep de Matane en août 2015.

« Moi, le mien a halluciné quand je lui ai annoncé que je gagnais déjà plus que lui. Ici, on est payé à sa juste valeur, renchérit Julien Naumann, qui vient de la région parisienne. En France, les entreprises cherchent des jeunes dynamiques… avec 40 ans d’expérience. Tu fais un entretien d’embauche et t’es en compétition avec 89 autres personnes. »

« L’été dernier, je suis restée à Matane et j’ai tout de suite été embauchée à la boulangerie, raconte Célia Alvarez. Chez moi, pour être embauchée pour un même boulot, on aurait au moins exigé que j’aie l’équivalent d’un DEP en cuisine. »

La survie du cégep

La France ne veut pas d’eux, le Québec leur déroule le tapis rouge. Ils partent. Réductrice, cette vision des choses pour les jeunes cégépiens français rencontrés à Matane ? Tout nouveau, tout beau ?

En tout cas, les Français, de façon générale, sont nombreux à se voir ailleurs. En 2015, selon Immigration Canada, près de 5000 Français sont devenus résidents permanents au Québec ; bon an, mal an, ces années-ci, plus de 14 000 autres mettent aussi le cap sur le Québec pour y étudier.

De salon de formation en mission en France et à l’île de la Réunion, « on dépense annuellement 400 000 $ pour attirer et intégrer les étudiants étrangers, précise Pierre Bédard, directeur général du cégep de Matane. La survie de nos programmes et du cégep lui-même passe par là ».

Une ville changée

Mine de rien, depuis une douzaine d’années, le cégep de Matane a fait venir 688 Français de la métropole, 600 Réunionnais, en plus de 17 élèves des autres territoires français et de 26 jeunes Africains.

« Ça a changé le paysage du cégep et de la ville, note le maire Jérôme Landry. Ces jeunes-là font bouger la ville, ils sont très impliqués, on les voit dans les commerces, ils sont entraîneurs de soccer… Dans la mesure où on perd de 25 à 30 résidants par année, on est contents de les voir arriver. »

« Les locaux nous disent qu’on est là pour mettre de la vie à Matane et, à l’évidence, ils ont besoin de nous. Beaucoup de magasins ferment, et des jeunes Québécois de 17 à 25 ans, il n’y en a pas beaucoup par ici. »

— Célia Alvarez, de la Réunion

Rapidement, les élèves connaissent les bons plans de Matane, ses meilleures poutines (la cochonne, la con carne et la trippe bouffe, semble-t-il) et vont faire un saut à la microbrasserie.

Fonder une famille

Mais tous ces Français, de la métropole ou de la Réunion, ne font-ils pas que passer ? Pas nécessairement. « Mon copain étudie ici et avec lui, on projette de s’établir dans un petit village autour d’ici, d’y fonder une famille et d’avoir des chevaux, dit Marine Grimaud, qui, après ses études, est devenue adjointe au marketing à Québec Maritime, à Rimouski, et fait la promotion du Québec à l’étranger. Et dire que quand je suis arrivée ici, j’avais cette image du bûcheron et d’un pays sans WiFi ! »

Denis Secret, qui est arrivé à Matane pour y étudier en 2005, n’en est jamais reparti. Il a fondé ici une entreprise en multimédia, et sa fille y a passé presque toute sa vie jusqu’ici.

C’est le genre de vie à laquelle aspire Ferdinand-Nicolas Benard.

« À la Réunion, c’est trop dur de se battre pour le travail. Je cherche un emploi ici, dans le Bas-Saint-Laurent, et j’ai déjà des propositions à Matane et à Rimouski. Le Québec, pour moi, c’était un rêve d’enfant – j’étais fan de géographie, et les reportages que je voyais me fascinaient ! »

— Ferdinand-Nicolas Benard

« J’ai rencontré ma copine française à Matane. Elle a dû rentrer en France pour l’instant, mais je n’aurai pas de mal à la convaincre de revenir, c’est ici qu’elle veut revenir faire ses stages, dit Thibaud Killin. C’est ici que je veux au moins commencer ma carrière. Ici, on nous donne notre chance. »

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