Paternité

Humaniser le masculin

Il y a 25 ans, le psychanalyste Guy Corneau décidait de se pencher sur la paternité. Il observait dans son cabinet que, lorsqu’il était question d’évoquer le père, une certaine tension se faisait sentir chez ses patients. Lui-même a souffert des silences de son père. Il raconte dans la postface que son père a été la première personne à lire le manuscrit de Père manquant, fils manqué. Il lui a confié qu’il n’avait jamais eu les mots pour exprimer ses sentiments, étant un homme simple, mais qu’il était extrêmement fier de son fils pour la parution de ce livre. Ces paroles ont transformé leur relation. Son père s’est mis à parler et à poser des questions sur la vie de ses enfants.

Lors de notre rencontre, Guy Corneau, jeune père d’un fils de 3 ans, s’émerveille et parle avec tendresse de son petit garçon plein d’énergie. Devenu père à 60 ans, il est presque surpris de voir à quel point cette naissance l’a transformé. Pour le mieux. « L’arrivée de Nicolas dans ma vie a été une ouverture du cœur. Maintenant je sais quelle est la véritable signification de l’amour, c’est prendre soin de l’autre et le soutenir. La paternité est une belle aventure et il faut y consacrer du temps. »

PLUS DE PAPAS PRÉSENTS

Vingt-cinq ans après la parution de son livre, même si la présence des pères est plus grande, il reste encore des progrès à faire. Ce qui a le plus changé, selon Guy Corneau, c’est l’engagement des pères sur le plan affectif auprès de leurs enfants dès les premiers moments de la naissance. « Autrefois, les pères n’offraient pas de relation affective. Aujourd’hui, on sait que la présence du père est essentielle dès les deux premières années. C’est là que le lien se noue. »

« On voit les pères prendre leur congé de paternité, changer les couches, faire le peau à peau, laver le bébé, prendre le bain. C’est à ce moment que le père apprend à aimer son bébé et s’y attache, en prenant soin de lui dès les premiers instants de sa vie et de ce point de vue, les mentalités ont vraiment changé. »

— Guy Corneau, psychanalyste et auteur de Père manquant, fils manqué

Il rappelle que la première fonction paternelle est celle de séparer l’enfant de la mère et de séparer la mère de l’enfant. Et cette séparation se fait par la présence du père et le désir du couple de se retrouver ensemble.

« Il y a un vrai besoin d’avoir une figure paternelle, sans obligatoirement que ce soit le géniteur. C’est important pour le développement de l’enfant. Les petits garçons modélisent leur identité dans le rapport avec la figure paternelle, et les petites filles y apprennent la relation avec l’autre sexe. Elles vont exercer leurs premières armes de séduction en rapport avec le père. D’où l’importance d’un père capable de mettre des limites. On ne changera pas ça, c’est dans notre psyché », constate le psychanalyste.

ÊTRE PÈRE DANS UNE FAMILLE ÉCLATÉE

En même temps, il observe que de nombreux couples se séparent et que la famille éclate, ce qui renvoie au problème de l’absence du père. Au Québec, la garde partagée 50/50 rééquilibre les choses et peut être un avantage, mais ce n’est pas toujours le cas : les séparations ne sont pas toujours harmonieuses et de nombreuses familles sont monoparentales. Selon lui, le respect mutuel des parents, et la façon dont chaque parent parle de l’autre en son absence est déterminante.

« Les enfants se retrouvant seuls avec le père une semaine sur deux, une relation très forte peut se créer, plus forte parfois que si les parents étaient encore ensemble. »

— Guy Corneau

« Il reste qu’il y a chez les enfants un fantasme de réunir leurs deux parents et le besoin de voir papa et maman ensemble. Les enfants s’appuient sur une image familiale, il y a un triangle naturel dans la psyché de l’enfant : papa-maman-moi », note-t-il toutefois.

Guy Corneau effectue un petit retour en arrière : « Au Québec, dans notre histoire, les femmes avaient pour seuls territoires de valorisation la maternité et la gestion du foyer familial. Tout en accédant au travail, certaines femmes ont encore ce vieux réflexe de vouloir garder le contrôle des enfants. On est encore en transition. » Il plaide pour qu’on laisse plus de place aux pères. « Il faut accepter la différence. Le père va jouer différemment avec les enfants, il fera peut-être des activités plus physiques, se tiraillera avec eux, les lancera dans les airs et les rattrapera, bref, il prendra plus de risques. Les mères n’apprécient pas toujours cela. Elles préfèrent souvent un milieu plus sécuritaire et parfois même ultra-sécuritaire. Parfois, c’est l’inverse, les pères exigent de la sécurité et les mères vont promouvoir l’indépendance. Clairement, les enfants ont besoin de limites, ils ont besoin d’autorité, mais ils doivent aussi prendre des risques, c’est ce qui développe l’autonomie. »

ENCORE DU CHEMIN À FAIRE

Il aimerait être plus optimiste. Il y a eu des avancées, mais il entend encore trop souvent des histoires d’hommes qui claquent la porte et voient peu leurs enfants, des hommes mal dans leur peau, tyranniques et autoritaires. « Ça n’évolue pas aussi vite qu’on voudrait. On est encore très tributaire de l’éducation qu’ont eue les hommes. Ils sont très orientés vers l’action, moins dans le dialogue. En thérapie, j’ai souvent conseillé à des hommes de réfléchir avant d’agir et à des femmes d’agir plutôt que de trop réfléchir ! »

La difficulté d’exprimer ses sentiments est encore très réelle, pour celui qui dit avoir encouragé les hommes à parler.

« Je vois que lorsque des hommes se retrouvent ensemble, entre eux, ils arrivent à parler de leurs sentiments, mais dès qu’on introduit des femmes, c’est plus compliqué, car il y a des enjeux profonds de séduction, de pouvoir et la volonté de ne pas se montrer vulnérables. »

— Guy Corneau

La présence du père permet d’humaniser le masculin, surtout quand, justement, il se montre vulnérable. « Un père qui affiche ses forces et ses faiblesses permet à l’enfant de le voir tel qu’il est, dans son humanité. S’il souhaite établir un dialogue avec son adolescent, ce père devra se mettre à son niveau et partager qu’à son âge, il vivait aussi des choses difficiles. De cette façon le père sort de sa figure mythique. »

Sans l’ombre d’un doute, Guy Corneau avoue qu’il est devenu un homme meilleur, plus généreux et plus attentif depuis qu’il est père. « Une chose qui m’étonne, c’est que malgré tout, je n’ai jamais rencontré un seul père qui regrettait d’avoir eu des enfants. Jamais. C’est extrêmement fort comme expérience. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.