Opinion  Cryptomonnaies

Les « mines » sont-elles un mirage pour les villes ?

L’effervescence populaire autour du bitcoin et autres cryptomonnaies inspire apparemment des maires de petites villes québécoises. Ils ont l’ambition affichée de se lancer dans le « minage » de cryptomonnaies pour assurer le développement économique de leur ville. Les médias ont rapporté des exemples notamment dans les villes de Montigny, Matane, Baie-Comeau et Thetford.

Compte tenu de l’engouement mondial envers les cryptomonnaies, des villes en manque de développement croient flairer la bonne affaire. Elles font valoir les très faibles prix de l’électricité au Québec, et la disponibilité d’espaces industriels vacants dans leur municipalité.

Pourtant, selon un article de La Presse+ du 4 avril dernier, plusieurs villes québécoises songent à imposer un moratoire sur les activités de minage sur leur territoire. Je suis bien d’accord avec elles. Faire du minage de cryptomonnaies une orientation de développement local, c’est une inconscience qui ignore la nature très néfaste, dangereuse, largement inutile et anti-environnementale des cryptomonnaies.

Un bitcoin, ça sert à quoi ?

Une cryptomonnaie est une monnaie virtuelle qui permet de faire des transferts d’argent entre individus et de payer des biens et services sur internet. Comme il n’y a aucune autorité de contrôle, la transaction est sécurisée par une technologie de cryptographie appelée « blockchain ».

Cette technologie permet aux individus de s’échanger de l’argent anonymement, puisque ce sont des algorithmes informatiques qui valident la transaction, et non pas une tierce partie telle qu’une banque ou une carte de crédit.

Il n’est donc pas surprenant qu’elle attire particulièrement les opérateurs du monde illicite : marché noir, groupes terroristes, organisations mafieuses, rançonneurs, trafiquants de drogues…

Une monnaie inutile ?

Mais, outre assurer l’anonymat, le bitcoin sert à quoi pour le commun des mortels ? C’est un moyen de paiement en ligne tel qu’il en existe des dizaines d’autres : cartes de crédit, paiements Interac, Paypal, virements bancaires électroniques, etc. Quel est l’avantage du bitcoin sur ces moyens de paiement ? Aucun, si vous n’avez rien à cacher, évidemment !

Pire, l’utilisation du bitcoin est même plus risquée que les moyens traditionnels, car vous n’aurez aucune protection contre les fraudes lors des transactions, contrairement aux paiements par carte de crédit.

Et détenir du bitcoin comme monnaie de paiement, c’est risqué : il est impossible de connaître sa valeur dans une heure, dans une semaine, ou dans un an. Car contrairement aux monnaies classiques, le bitcoin n’a aucune valeur intrinsèque.

Purement spéculatif

Un billet de vingt dollars canadiens aura toujours la même valeur, dans cinq ans, 10 ans ou 100 ans. C’est garanti par la Banque du Canada, la banque centrale du pays.

Pas le bitcoin. Comme il n’y a pas d’autorité centrale, il n’y a personne pour garantir la valeur de vos bitcoins à travers le temps. Elle évolue en fonction de l’offre et de la demande. Le bitcoin devient donc une monnaie dont la valeur est purement spéculative. On achète du bitcoin dans l’espoir de le revendre à prix plus élevé dans le futur. Mais sans valeur intrinsèque, il est impossible de prévoir sa valeur future.

Il est donc excessivement dangereux et même absurde « d’investir » dans quelque chose qui n’a strictement aucune valeur intrinsèque. D’ailleurs, le cours du bitcoin est sujet à des fluctuations extrêmes actuellement.

Même si les cours d’une action à la Bourse peuvent être très spéculatifs, ils reposent tout de même sur la valeur d’entreprises réelles, disposant d’actifs qui ont de la valeur, et générant un chiffre d’affaires, i.e. de vrais flots monétaires. De même, l’or peut être une valeur d’échange et d’investissement, mais ce métal a une valeur intrinsèque par lui-même puisqu’il est utilisé pour confectionner des bijoux et pour la fabrication de certaines pièces manufacturées.

C’est pourquoi les cryptomonnaies sont considérées comme étant dangereuses comme moyen de paiement et d’investissement. Ce n’est pas sans raison que l’autorité du marché financier du Canada met en garde les investisseurs contre le bitcoin et que certains pays commencent à interdire ces monnaies.

Que penser du « minage » ?

Si la valeur du bitcoin dépend de l’offre et de la demande, qui offre du bitcoin ? C’est ici que le « minage » entre en jeu. Dans le cas des monnaies classiques, ce sont les banques centrales des pays qui assurent l’offre de monnaie. Dans le cas du bitcoin, il n’y a pas d’autorité centrale. Qui crée de nouveaux bitcoins alors ? Les « mineurs ».

C’est un peu complexe, mais pour simplifier, n’importe qui peut « activer » ou « déterrer » de nouveaux bitcoins dans le monde virtuel en résolvant des algorithmes mathématiques très complexes, à l’aide d’ordinateurs super puissants. Plus de nouveaux bitcoins sont créés dans le monde, plus les algorithmes sont difficiles à résoudre, et exigent donc de la puissance informatique.

Ces calculs expliquent l’utilisation de grands serveurs informatiques super énergivores en consommation d’électricité et en climatisation.

Quel gaspillage, alors que le réchauffement de la planète nécessite plutôt des activités économiques qui consomment moins d’énergie ! Tout cela pour une monnaie qui ne sert pratiquement à rien !

Il n’est pas question d’être anti-technologie dans cette opposition aux cryptomonnaies. Le système de « blockchain » est excessivement intéressant en termes d’innovation pour de nombreux secteurs d’activité. Mais cette technologie peut se déployer dans d’autres domaines, plus porteurs et plus utiles que les cryptomonnaies.

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