Analyse

« On n’a pas fait le travail »

Tard samedi soir, dans un petit coin du vestiaire des visiteurs au Madison Square Garden, Brendan Gallagher parlait d’une voix à peine audible. Les yeux rougis par l’émotion, le petit attaquant du Canadien essayait d’expliquer ce qui venait d’arriver.

« Je pensais que c’était notre meilleure chance depuis que je suis un membre de cette équipe […]. On n’a tout simplement pas fait le travail. C’est très décevant, mais il faut s’en servir et apprendre de ce qui vient d’arriver, en espérant pouvoir obtenir une autre chance. »

Au cours des prochains jours, ils seront plusieurs, comme Gallagher, à se demander ce qui est arrivé au Canadien, à chercher les causes de cette sortie aussi rapide que décevante.

La poussière n’est pas encore tout à fait retombée, mais déjà, il est possible de trouver quelques explications à cette déroute d’un club qui déçoit trop souvent au printemps.

Un club à l’image du DG

Dans son jeune temps, quand il patinait lui-même sur les glaces de la Ligue nationale de hockey, Marc Bergevin était un défenseur de soutien, le genre à toujours devoir travailler plus fort que les autres afin de pouvoir conserver sa place. Cette intensité au boulot lui a d’ailleurs valu une longue carrière de plus de 1000 matchs dans la LNH, et cinq ans après son arrivée dans la chaise du directeur général au Centre Bell, on commence à comprendre que Bergevin affectionne les joueurs un peu comme lui. Les travaillants, les intenses, ceux qui se crachent dans les mains et qui donnent toujours tout ce qu’ils ont. 

Regardez un peu son shopping du 1er mars : Ott, Martinsen, King, Benn. Il a échangé un défenseur de grand talent, mais difficile à diriger (P.K. Subban) contre un défenseur qui est plus du type travaillant et bon soldat (Shea Weber). Il est allé chercher Andrew Shaw en vantant illico sa force de caractère. Dur de ne pas y voir un modèle, une façon de faire. 

Dans une Ligue nationale en pleine évolution, où le talent et la vitesse d’exécution prennent de plus en plus de place, tous les gros travaillants du monde ne suffisent plus à gagner des matchs. 

En 2015, le Canadien a perdu quatre matchs de deuxième tour contre Tampa Bay en inscrivant seulement cinq buts lors de ces défaites. En 2017, le Canadien, avec une avance de 2-1 dans sa série contre les Rangers, n’a réussi que quatre buts lors des trois matchs suivants. Il y a une façon de faire là aussi, et pas la bonne.

Le gardien dominant est une espèce en voie de disparition

Depuis l’avènement de ce qu’on appelle la « nouvelle » LNH, au retour du lock-out de 2005, sept équipes ont gagné la Coupe Stanley. Les gardiens champions depuis cette période ont été les suivants : Cam Ward, Jean-Sébastien Giguère, Chris Osgood, Marc-André Fleury, Antti Niemi, Tim Thomas, Jonathan Quick, Corey Crawford et Matt Murray. 

Certes, ces gardiens ont tous contribué d’une façon ou d’une autre aux succès de leur équipe. Mais combien de noms dans cette liste vont un jour se retrouver au Temple de la renommée ? En fait, des neuf gardiens sur cette liste, seul Thomas s’est avéré être le meilleur gardien du circuit la saison de sa conquête – il avait obtenu le trophée Vézina en 2011. 

À la lumière de ce constat, la direction du Canadien ne fait-elle pas fausse route en plaçant tous ses espoirs de Coupe Stanley sur les épaules de son gardien, comme les équipes le faisaient souvent jadis, dans une autre époque lointaine ? Carey Price a gagné son Vézina en 2015 et il est nommé une fois de plus cette saison. Il est généralement acquis que c’est lui qui est le meilleur gardien du monde depuis quatre ou cinq ans. Et pourtant, le Canadien, depuis l’arrivée de Price dans la LNH, n’a jamais pris part à une finale de la Coupe Stanley. 

En fait, depuis le début de l’ère Price, en 2007-2008, le club montréalais n’a atteint le carré d’as qu’à deux reprises, et la première des deux fois, Price était le gardien réserviste.

L’importance de la ligne de centre

Pendant des années, la bonne vieille blague du Canadien qui se cherche un « gros joueur de centre » était un incontournable. La blague a aujourd’hui disparu, mais le problème au centre est encore bien réel. 

Phillip Danault s’est très bien défendu à cette position cette saison, il a même joué au-delà des attentes, mais il n’est pas un premier centre. Alex Galchenyuk reste une énigme, et Tomas Plekanec est en fin de carrière. Ce qui nous ramène à la « nouvelle » LNH et à la modernité du jeu. 

Aujourd’hui, et c’est assez évident lors des présentes séries, la vitesse du jeu qui prévaut sur les glaces ne permet pas d’obtenir du succès si la ligne de centre d’une équipe est une faiblesse et non une force. 

Ce problème, il est loin d’être nouveau au Centre Bell. Fort probablement que le manque de maturité de Galchenyuk a complètement changé la donne ; en début de saison, la direction du club croyait – espérait ? – que le jeune homme soit capable de saisir sa chance et de devenir un premier centre de qualité dans cette ligue. Ce n’est pas arrivé. Et maintenant, y a-t-il un seul joueur dans cette organisation qui peut venir combler ce vide ? On en doute.

Pour gagner, ça prend des buts

Facile comme constat, on en convient, mais l’époque de la défense qui gagne des championnats semble elle aussi révolue. La LNH d’aujourd’hui est une ligue où les joueurs de talent prennent de plus en plus de place, et encore là, la liste des gagnants de la Coupe Stanley depuis le lock-out de 2005 nous le rappelle avec éloquence. 

Allez-y, faites le tour des clubs champions depuis 2005. Vous voyez beaucoup d’équipes qui misent sur des joueurs de soutien pour aller jusqu’au bout ? Nous non plus, et la vérité, la cruelle vérité, c’est que le Canadien s’est construit un club de travailleurs au moment où plus personne ne gagne la Coupe Stanley avec de la profondeur et des gars de troisième et de quatrième trios. 

Il y a bien des choses à changer chez la formation montréalaise, et parmi tout ça, en haut de cette liste, ce qu’il faut changer de toute évidence, ce sont les mentalités et les vieilles habitudes.

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