Chronique Hydro-Québec

La croisade malsaine de François Legault

La Coalition avenir Québec a lancé cette semaine une campagne pour dénoncer le fait qu’Hydro-Québec ait surfacturé ses clients depuis des années et pour réclamer que le gouvernement du Québec rembourse les citoyens.

Cette croisade ne mériterait pas qu’on en parle, en raison de l’insignifiance de l’enjeu quand on regarde les chiffres. Si j’en parle, c’est parce qu’elle illustre l’évolution du parti de François Legault, qui mise de plus en plus sur la colère populaire. Quand on a vu les ravages que le populisme rageur a provoqués au sud de la frontière, c’est une chose qu’il faut surveiller de près.

Commençons par les chiffres, pour dégonfler la balloune. Selon la CAQ, entre 2008 et 2015, Hydro-Québec aurait facturé 1,4 milliard en trop. On parle de surfacturation parce que la société d’État est soumise à un régime particulier qui lui interdit de faire trop de profits. Les hausses de tarifs consenties par la Régie de l’énergie lui ont permis, depuis 2008, d’obtenir un rendement qui dépasse ce plafond.

Mais c’est quoi, 1,4 milliard ? Pendant ces huit années, les revenus d’Hydro ont totalisé 102 milliards.

Le trop-perçu représente 1,37 % du total, un écart insignifiant, normal pour des résultats qui dépendent de l’activité économique, du climat ou encore des améliorations de la gestion.

Par contre, en principe, après une année de rendement un peu trop élevé, la hausse des tarifs d’électricité aurait dû être ajustée à la baisse pour compenser. Mais les gouvernements ont modifié les règles de jeu pour ne pas faire cette correction. D’où la colère de la CAQ. « Pendant huit ans, les libéraux de Jean Charest et de Philippe Couillard ont surfacturé près de 1,4 milliard de dollars aux consommateurs québécois d’électricité. » Notons, en passant, un oubli : les deux années de gouvernement Marois.

Ce ton indigné laisse presque entendre que les libéraux sont partis avec la cagnotte. Dans les faits, ces revenus additionnels ont amené Hydro à verser plus de dividendes. Ce ne sont pas les libéraux qui ont touché l’argent, mais le gouvernement du Québec, l’État québécois.

On peut par contre s’indigner, comme la CAQ, de ce recours à une forme de taxation indirecte. Rappelons toutefois que 2008, c’est le début de la crise financière mondiale qui a plongé le gouvernement du Québec, comme tous les autres, dans une spirale de déficits. Ces revenus additionnels ont contribué à rétablir l’équilibre. Sans ceux-ci, il aurait fallu soit augmenter d’autres revenus, soit faire davantage de coupes. François Legault ne peut pas ignorer la présence de vases communicants dans les finances de l’État.

Mais peut-être que cette forme de prélèvement est particulièrement odieuse ? Faisons de petits calculs. Selon la CAQ, sur ce 1,4 milliard, seulement 587 millions ont été facturés aux clients résidentiels. Cela représente 73 millions par année. Avec 3,1 millions de clients résidentiels, ça fait 23,54 $ en moyenne par année. Moins pour les logements, plus pour les grosses maisons.

Ce sont des sommes modestes, pas de celles qui permettent de soutenir une croisade. D’autant plus qu’elles n’ont absolument pas empêché les Québécois de payer l’électricité beaucoup moins cher que partout ailleurs en Occident.

D’autant plus que la politique de prix bas pour l’électricité, un credo auquel adhèrent tous nos partis politiques, et qui mène à des choses comme le plafonnement du rendement, n’existe nulle part ailleurs.

Mais au-delà des chiffres, il y a un ton. La CAQ a coiffé sa campagne, et la pétition qui l’accompagne, d’un titre rageur et tonitruant : « Libéraux, remboursez ! »

Cette indignation comporte un risque énorme, celui d’entretenir ou de créer un mouvement de colère contre le gouvernement, quel qu’il soit, qui dans les faits, revient à contester la légitimité des perceptions fiscales de l’État, de les assimiler à une forme de vol. Un discours très dangereux de la part d’un parti qui aspire à gouverner.

C’est renforcé par l’objectif de la campagne caquiste qui enjoint aux citoyens de signer une pétition pour exiger un remboursement. C’est un bel exemple de démocratie directe appliquée à la fiscalité, un courant qui a fait des ravages aux États-Unis, notamment avec des référendums qui ont paralysé des villes et des États. Cette idée de remboursement est remarquablement primaire et irresponsable, car cet argent, autour d’un demi-milliard, ne tomberait pas du ciel, c’est le gouvernement qui devrait payer et qui devrait prendre l’argent quelque part. Où au juste ?

Peut-être que cette question n’inquiète pas trop François Legault, qui réclame depuis des mois une baisse d’impôt immédiate de 1000 $ par famille, qu’il serait prêt à financer en augmentant la dette. Une telle politique n’a de sens que pour combattre un ralentissement économique profond. Mais, comme par hasard, cela ressemble à une mesure phare de l’administration Trump, que les économistes condamnent au demeurant de façon quasi unanime.

Tout cela suggère une question : où est-ce que François Legault s’en va ?

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