Ski de fond

La motivation au cœur de la performance

La recette du succès sportif passe d’abord par l’épanouissement des athlètes et la motivation des troupes, selon des évidences scientifiques. Pourtant, la quête indue de résultats et de médailles pèse encore lourd dans la culture du sport d’élite. Certains, comme le nouveau conseiller haute performance de Ski de fond Canada, tentent de faire changer les mentalités. 

Un reportage de Sophie Allard

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Nouveau souffle à Ski de fond Canada

« Le monde change, les athlètes sont différents d’il y a 10, 15 ou 20 ans. Il faut s’adapter. On remet le compteur à zéro », dit Nicolas Lemyre au bout du fil.

Le Québécois, psychologue du sport à l’Université d’Oslo depuis 20 ans, est le nouveau conseiller haute performance de Ski de fond Canada. Il a un gros mandat qu’il prend à bras-le-corps pour un résultat qu’il veut fructueux et durable.

« On prévoit faire des changements qui auront une grande influence sur la relève et, en même temps, on veut s’assurer de donner à Alex Harvey, à l’apogée de sa carrière, tout ce dont il a besoin pour performer au plus haut niveau et le motiver à continuer. »

La motivation est au cœur du discours de M. Lemyre, qui a aussi conseillé les prolifiques équipes de biathlon et de ski de fond de Norvège.

« Je ne peux pas faire autrement, ma formation est en psychologie de la motivation. Ça a un gros impact sur la façon dont je vois le monde et j’interagis avec les gens et les athlètes. »

— Nicolas Lemyre, psychologue du sport à l’Université d’Oslo

En gros, son approche est orientée sur l’épanouissement des athlètes. Ça signifie être à leur écoute, les aider à se sentir compétents, autonomes et toujours soutenus. Exit le contrôle et la pression pour des résultats. C’est un travail d’équipe qui implique les entraîneurs, les intervenants, la direction.

« Je pense que lorsqu’on travaille dans une structure où tous les gens, les athlètes comme les entraîneurs, sont motivés et ont soif d’apprendre et de transmettre leurs connaissances, ça amène un climat très positif dans lequel il est vraiment plaisant de travailler. »

« C’est logique, c’est du gros bon sens, reconnaît-il, mais vous seriez surpris de voir à quel point les gens sont nombreux à ne pas l’appliquer. »

Norvège : une recette gagnante

En Norvège, le message est bien compris et ça porte ses fruits. À l’Université d’Oslo, là où plusieurs entraîneurs professionnels ont été formés, « on met beaucoup l’accent sur l’importance d’être sensible à ce qui motive les gens et aux moyens pris pour soutenir cette motivation, pour éviter de la détruire. C’est la base dans un contexte de performance ».

« Je pense qu’on a réussi à instaurer cette perspective au sein de plusieurs fédérations sportives en Norvège. »

Nicolas Lemyre a travaillé étroitement avec la biathlète Tora Berger. Double championne olympique et détentrice de huit titres mondiaux, elle est devenue la plus grande biathlète de l’histoire de la Norvège. Elle avait chaleureusement remercié le Québécois dans les médias après sa médaille d’or gagnée aux JO de Vancouver en 2010.

Le psychologue ne remet pas en question ce qui s’est fait à Ski de fond Canada dans le passé, au contraire. « Plusieurs personnes ont quitté l’organisation en fin de cycle olympique. La fédération a connu une période de stabilité et plusieurs succès. Mais ça ne veut pas dire que ça réussira à nouveau. »

« Mon rôle est de bâtir sur de nouvelles bases, d’avoir une nouvelle perspective, une nouvelle vision des choses. »

— Nicolas Lemyre

Le Québécois planifie déjà les prochaines années. Dans la foulée, l’entraîneur Louis Bouchard a été nommé à la tête de l’équipe canadienne. On prévoit une multiplication des camps d’entraînement au pays l’été prochain afin de favoriser l’entraide, le partage de connaissances et une proximité avec les jeunes.

Au-delà des médailles

La pression des médailles reste là, soutient Nicolas Lemyre, mais ce n’est pas aux athlètes de la ressentir. « À nous le podium est un partenaire important, mandaté par le gouvernement, qui a pour mission d’augmenter la récolte de médailles du Canada aux Jeux olympiques. Il faut accepter que ces gens ne pensent pas exactement comme nous, qu’ils parlent un langage qui vient challenger ce qu’on essaie de construire à Ski de fond Canada. Il ne faut pas faire de compromis et perdre de vue ce qui va mener à l’excellence dans notre organisation. »

« Il faut avoir une certaine humilité, le sport ne se résume pas à aller cueillir une médaille aux Jeux olympiques. »

— Nicolas Lemyre

« C’est extrêmement difficile de gagner une médaille à un moment précis et ce n’est pas parce qu’on revient bredouilles que des têtes doivent tomber, ajoute-t-il. Si la motivation est là, mieux vaut garder les gens en place. Ils pourront tirer profit de ces apprentissages en vue de meilleurs résultats dans le futur. »

Nicolas Lemyre est optimiste. Il dit avoir été enchanté par la réceptivité des gens à Ski de fond Canada, dès sa première présentation en juin. « Je suis impressionné par le nombre de personnes qui s’investissent dans le sport. Ils sont tous là pour pousser à la roue. Si on propose une vision claire et que tous travaillent à cette même vision, je pense qu’on peut atteindre des résultats surprenants dans l’avenir par rapport à ce qu’on a accompli jusqu’à maintenant. »

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Culture du sport : casser le moule

Pour atteindre les plus hauts niveaux de performance, il faut sortir de l’obsession des médailles, martèlent le psychologue Jacques Forest et l’entraîneur Jean-Paul Richard. Les deux ont cofondé le collectif ReRoot dont la mission est de transformer le coaching, une formation à la fois, et de contribuer à la création d’environnements sportifs sains pour tous. Ils accueillent donc l’arrivée de Nicolas Lemyre à Ski de fond Canada comme une excellente nouvelle.

Sortir de la visée à court terme

Pour un Mikaël Kingsbury, un Erik Guay ou un Alex Harvey, combien d’athlètes au grand potentiel échappe-t-on avant qu’ils ne puissent faire leurs marques ? « Dans la culture du sport actuelle, on mise beaucoup sur les résultats. On a une visée à court terme où c’est l’individu qui compte. Des entraîneurs, des psychologues et des organisations comme À nous le podium ou B210 travaillent sur le développement d’un nombre restreint d’athlètes. Si tu développes Erik Guay, par exemple, tu n’es pas en train de développer le sport, tu développes Erik Guay. Ça n’aidera pas le sport à se développer à moyen et à long terme. Il faut repenser le système sportif », indique Jacques Forest, psychologue spécialisé en comportement organisationnel et professeur à l’UQAM.

Soutien pour tous

« On veut montrer que des approches propulsent le sport à long terme pour les bonnes raisons et avec des bénéfices pour la majorité, en s’appuyant sur des bases scientifiques solides », dit M. Forest. Il mise sur la théorie motivationnelle de l’autodétermination. En gros, il s’agit ici de créer des « environnements optimaux où les athlètes s’engagent totalement, avec sens et créativité, dans le but d’atteindre les plus hauts niveaux de performance ». Pour y arriver, trois besoins psychologiques doivent être comblés : l’autonomie, la compétence et l’affiliation sociale. « Ces besoins sont universels, mais la façon de les combler est individuelle », précise-t-il.

Succès à Sotchi

En route vers les JO de Sotchi 2014, Jacques Forest a épaulé l’entraîneur Jean-Paul Richard, à la tête de l’équipe nationale féminine de bosses. Leur approche, qui a impliqué tout l’entourage des athlètes, a mené au succès : Justine Dufour-Lapointe a décroché l’or, devant sa sœur Chloé, médaillée d’argent. Tout avait été planifié pour que chacune des athlètes se sente bien, prête et épaulée. « Aux Jeux, quand Chloé m’a dit, en haut de la piste, qu’elle avait peur, je n’ai pas nié ses émotions. Je l’ai rassurée en lui disant que j’étais avec elle, qu’elle était capable », dit M. Richard. Chaque athlète avait rempli un questionnaire détaillé sur ses besoins, avait écrit son plan olympique, avait décidé des sauts à exécuter. « Pourquoi personne n’a remis notre succès en question depuis ? »

Dopage et abus de pouvoir

« Les gens sont parfois prêts à tout pour faire plus d’argent ou gagner des médailles. Il peut en sortir des comportements extrêmement négatifs », dit M. Forest. Les effets peuvent être fâcheux : décrochage, abus de pouvoir, détresse psychologique, mises à pied, dopage. « Le meilleur moyen de ne pas gagner de médaille, c’est de vouloir à tout prix gagner une médaille ! Et plus l’athlète ressent de la pression, moins longtemps il restera dans son sport, soutient l’expert. Ce qu’il faut, c’est augmenter le plaisir qu’a l’athlète tous les jours. Et quand c’est moins amusant, c’est de l’amener à se recentrer sur le sens : pourquoi tu es ici ? Pour plusieurs, il s’agit d’inspirer une nouvelle génération. »

Préparateurs mentaux : des limites

De plus en plus d’athlètes de haut niveau s’entourent des meilleurs préparateurs mentaux afin d’améliorer leurs performances. « La préparation physique, la technique et la technologie sont importantes, la préparation mentale aussi. Il faut travailler sur ce qu’il y a entre les deux oreilles, mais ça ne suffit pas, lance M. Forest. Les gens pensent que les athlètes ont une résistance mentale hors du commun, mais ce sont les interactions qui priment : si l’athlète est résilient et que son coach est contrôlant, ça ne donnera rien de bon. Le but est que tous dans l’entourage de l’athlète soient motivés, à leur plein potentiel. »

Ça marche vraiment ?

« L’efficacité de l’approche qu’on prône a été démontrée par de nombreuses études, et ce, depuis 40 ans », dit M. Forest. Aux Jeux paralympiques de Londres en 2012, des athlètes accompagnés par des entraîneurs qui soutenaient leur autonomie ont remporté 31 % plus de médailles que d’autres qui avaient des entraîneurs directifs, selon une étude sud-coréenne. Même constat chez les All Blacks, équipe de rugby de Nouvelle-Zélande, qui a monté sa fiche à 85 % de victoires de 2004 à 2011, dont la victoire à la Coupe du monde 2011.

Réticences sur le terrain

Malgré les preuves, la réceptivité sur le terrain est couci-couça. « Les habitudes sont difficiles à changer. Plus on réussira à faire passer le message dans les hautes sphères, plus on verra un effet domino, avance M. Forest. Encore aujourd’hui, les gens autoritaires sont perçus comme plus efficaces, mais quand tu grattes le vernis, ça ne fonctionne pas du tout. On assiste à une nouvelle tendance pour une plus grande écoute des athlètes, des employés. La hiérarchie s’aplanit… jusqu’à ce qu’un fou furieux mette la hache dedans et que tu retombes à l’âge de pierre. Mais ça tend à changer et c’est tant mieux. »

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