« Convoi de la liberté »

Des manifestants ont tenté d’obtenir le nom des policiers dépêchés à Windsor

Ottawa — Farouchement opposés aux mesures sanitaires imposées durant la pandémie de COVID-19, des membres du « convoi de la liberté » ont déployé des efforts importants afin d’obtenir le nom et le numéro de matricule des agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) qui ont mis fin au blocus sur le pont Ambassador, en février.

Ils ont notamment soumis une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information à la GRC afin d’obtenir ces renseignements. Mais le corps policier a refusé net, craignant que leur divulgation ne mette en danger la sécurité des agents et de leurs familles en raison des nombreuses menaces dont ils ont été la cible sur les réseaux sociaux.

Des documents obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information montrent que la GRC craignait pour la sécurité de ses policiers à la suite de l’intervention sur le pont Ambassador, qui relie la ville de Windsor et celle de Detroit et qui constitue le lien commercial le plus important entre le Canada et les États-Unis.

Dans une décision rendue en 2001, la Cour suprême du Canada a statué que l’identité des policiers impliqués dans une opération ne peut pas être tenue secrète indéfiniment « en l’absence de danger grave et personnalisé » et qu’une interdiction d’un an sur la publication de ces renseignements est raisonnable.

Le pont Ambassador a été bloqué pendant près d’une semaine en février, ce qui a incité la Maison-Blanche à Washington à intervenir auprès du premier ministre Justin Trudeau pour que l’on mette fin au blocus.

Durant la même période, des camionneurs ont envahi le centre-ville d’Ottawa, paralysant la capitale pendant trois semaines, tandis que d’autres groupes sévissaient à d’autres postes frontaliers dans l’Ouest canadien, notamment à Coutts, en Alberta, et à Surrey, en Colombie-Britannique.

Nombreuses menaces

Pour justifier le refus de dévoiler quelque renseignement que ce soit, les responsables de la division de l’accès à l’information au sein de la GRC ont colligé de nombreux messages menaçants rédigés par des sympathisants du convoi à l’endroit des forces policières.

« On doit régler leur compte à tous les policiers de l’Ontario », a écrit un dénommé Murray Lubkey en février dans le canal de discussion Convoy to Ottawa 2022 de la messagerie Telegram. « Transformons ces cochons en bacon », a proposé un autre membre du convoi sous le nom de « lowki ». « Ces cochons méritent tous de mourir. Point à la ligne », a renchéri Fabio Papz.

Dans ces documents, on souligne aussi que des membres du convoi ont réussi à mettre la main sur le nom des policiers qui font partie du Carrousel de la Gendarmerie royale du Canada et que ces derniers ont été la cible de menaces de mort.

« Les membres du Carrousel ont communiqué avec le quartier général à Ottawa pour signaler qu’ils craignaient pour leur sécurité et celle de leurs familles. »

— Extrait de documents obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information

On a aussi relevé que les forces policières avaient procédé à l’arrestation de quatre individus à Coutts, en Alberta, qui transportaient dans leur véhicule des armes à feu interdites au pays. Ils avaient aussi fait savoir qu’ils étaient prêts à recourir à la violence si les policiers mettaient fin au blocus à Coutts.

Michel Juneau-Katsuya, consultant en sécurité et ancien cadre au Service canadien du renseignement de sécurité, salue la décision de la GRC de ne pas révéler l’identité des policiers dans ce dossier.

Il a fait valoir que les menaces visant les forces policières s’inscrivent dans une triste tendance que l’on a vue encore récemment aux États-Unis à la suite de la perquisition du FBI à la résidence de l’ancien président Donald Trump.

« On est loin de la prétendue manifestation contre les mesures sanitaires. Ces gens-là ne s’intéressaient pas aux mesures sanitaires. C’était un prétexte qu’ils utilisaient pour mener une insurrection. Ils voulaient renverser le gouvernement. Ils voulaient se taper un 6 janvier 2021 comme au Capitole à Washington », a-t-il affirmé.

« Il n’y a aucune raison de vouloir obtenir le nom de tous les policiers qui étaient à Windsor, sauf si tu prépares une campagne d’intimidation et de menaces. »

— Michel Juneau-Katsuya, consultant en sécurité et ancien cadre au Service canadien du renseignement de sécurité

Tentative d’arrêter des policiers

À l’heure où les complotistes sévissent sur les réseaux sociaux, les forces de l’ordre sont de plus en plus confrontées à des menaces de leur part. Un exemple récent s’est déroulé samedi à Peterborough. Des disciples de Romana Didulo, une conspirationniste qui s’est autoproclamée reine du Canada, ont tenté de procéder à des arrestations citoyennes de policiers de cette ville située à quelque 140 kilomètres de Toronto.

« Vous êtes impliqués dans le crime de la COVID et nous mettons [vos véhicules] en état d’arrestation », a ordonné l’un d’entre eux à un policier en civil qui se trouvait à l’intérieur d’un véhicule utilitaire sport. S’en sont suivies une échauffourée et des arrestations musclées de membres du groupe.

Trois personnes arrêtées font face à divers chefs d’accusation, dont celui d’avoir résisté à leur arrestation et ceux de méfait et de voies de fait contre un agent de la paix. L’Unité des enquêtes spéciales de l’Ontario tente également de faire la lumière sur les blessures graves subies par un homme de 55 ans lors de cette altercation.

« Les arrestations citoyennes sont devenues des arrestations de citoyens », a constaté en entrevue Martin Geoffroy, directeur du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation.

Il faut toutefois éviter d’associer au « convoi de la liberté » le mouvement lancé par Romana Didulo, qui puise dans les théories conspirationnistes de QAnon et qui est considéré comme une secte par le professeur.

Les deux groupes sont toutefois dans la mouvance des « citoyens souverains » qui contestent à l’État le droit de faire respecter la loi. « Ce qu’ils ont tous en commun, c’est que ce sont des mouvements anti-autorité, a expliqué M. Geoffroy. Ils remettent en question le pouvoir policier, le pouvoir de l’État, le pouvoir juridique. En fait, toutes les institutions. »

— Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

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