CHRONIQUE LIBRE ÉCHANGE CANADA-UNION EUROPÉENNE

Le CETA, les arbres et la forêt

La semaine dernière, le Parlement européen a adopté, avec une solide majorité, l’entente de libre-échange avec le Canada. C’est une nouvelle importante, aux implications significatives pour le Canada et pour le Québec.

Et pourtant, on n’en a presque pas parlé. En fait, on a accordé beaucoup plus d’importance, en octobre, à la bataille contre ce traité par un parlement wallon dont on ignorait jusque-là l’existence qu’à son approbation formelle par le Parlement de l’Union européenne. C’est quand même bizarre.

C’est pour cette raison que j’ai décidé d’écrire cette chronique sur la signature de ce traité connu par son acronyme anglais, le CETA. Par principe, parce qu’il faut parler des choses importantes, même si je n’ai rien de particulièrement nouveau ou de particulièrement original à dire sur le sujet, quoique ce ne soit pas une mauvaise chose de revenir sur l’essentiel, le pourquoi.

La dynamique du débat public, à force de mettre en relief les problèmes que peut poser un tel traité, par exemple, ici, pour les producteurs de fromage, finit par nous faire oublier le portrait d’ensemble. Un arbre c’est beau, mais une forêt, c’est encore plus beau.

Le CETA n’est pas un complot des multinationales comme le dit toujours la gauche militante européenne.

C’est un projet canadien, mis en branle par Jean Charest, repris par le gouvernement Harper et poursuivi par celui de Justin Trudeau. Sa genèse repose sur ce qu’est la réalité canadienne. Une petite économie, peu peuplée, avec un marché extérieur restreint.

C’est tout autant le cas du Québec, dont les exportations vers l’étranger et vers le reste du Canada comptent pour 47% du PIB. 28% de ses emplois en dépendent. Cela fait que nous avons absolument besoin de développer notre commerce extérieur pour créer des emplois et assurer notre niveau de vie, quoiqu’on puisse aussi y parvenir, jusqu’à un certain point, en remplaçant les importations des autres pays.

Notre réalité, c’est aussi d’être collés sur le géant américain, avec résultat que le gros de notre commerce extérieur se fait avec ce pays auquel nous sommes profondément intégrés. Environ 70% de nos exportations internationales sont destinées au marché américain. Cette part a baissé, elle était de 81% en 2005. Mais notre dépendance reste énorme et nous rend très vulnérables aux soubresauts au sud de la frontière, comme on le voit actuellement.

C’est ce double problème qui est derrière la dynamique ayant mené aux négociations du CETA: chercher à ouvrir des marchés qui nous permettront à la fois de développer notre commerce international tout en diversifiant nos débouchés pour réduire notre dépendance envers les États-Unis.

On a voulu y parvenir à travers un traité commercial parce que cela permet d’éliminer les obstacles réglementaires qui entravent le commerce, et que l’abolition des tarifs, qui sont des taxes aux exportations, réduit en fait le prix de nos produits.

Il y a plusieurs marchés extérieurs que l’on peut vouloir développer, comme l’Asie ou l’Amérique latine. Mais l’Europe reste le plus naturel, surtout pour les provinces de l’Est, dont le Québec, en raison de sa proximité géographique, de la maturité de son marché, de son énorme bassin de 510 millions de personnes.

Mais il n’y a pas que l’économie. À plusieurs égards, le Canada ressemble à un pays européen, avec une même conception du rôle de l’État, un filet de sécurité sociale et des programmes très similaires, des préoccupations environnementales comparables. Il n’y a donc pas de choc des cultures et de risque qu’un des deux partenaires parte en croisade contre les valeurs de l’autre.

Il n’y a pas non plus d’inégalités économiques qui pourraient mener à une exploitation du plus pauvre par le plus riche, ou encore qui pourraient introduire des distorsions, par exemple l’absence de règles environnementales, ou des bas salaires qui peuvent encourager les délocalisations.

C’est pour cette raison que l’opposition, minoritaire, de la gauche européenne est si étrange. Elle a vu le traité avec le Canada comme un cheval de Troie, un modèle qui préparait le terrain pour une entente avec les États-Unis. Cela n’arrivera pas avec le président Trump. Mais surtout, il y avait quelque chose de parfaitement incongru à décrire le Canada comme une menace aux programmes sociaux européens, quand il est quatorze fois plus petit que l’Europe et tout aussi attaché aux mêmes valeurs et aux mêmes programmes.

Est-ce parfait ? Non. Il y a des risques, des secteurs qui seront affectés par la présence européenne plus grande chez nous. Comme les producteurs de fromage, qu’il faut accompagner. Mais cela ne doit pas nous faire oublier la vision d’ensemble, les raisons qui ont mené le Canada et le Québec à vouloir cette entente.

Au-delà de ses avantages économiques, le CETA représente donc, en principe, un cas type de libre-échange équilibré et harmonieux, sur les plans social et éthique. C’est même un excellent antidote aux mouvements de repli sur soi qui se sont manifestés en Europe et en Amérique.

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