Hugo DUmas

Le Rocket l’emporte sur le Gros Bill

Le personnage qui frappe le plus dans la minisérie historique Béliveau, celui qui utilise le mieux son temps de glace, n’est étrangement pas le Gros Bill, mais bien Maurice Richard, dépeint pour une rare fois comme un joueur bête, hargneux et peu sympathique.

L’acteur qui chausse les patins à tuyaux du célèbre Rocket, Bruno Marcil, qui interprète aussi Gilles Bisaillon dans Mémoires vives, est formidable. Et physiquement, la ressemblance avec Maurice Richard est troublante.

Le mythe du Rocket est passablement déboulonné dans les deux premiers épisodes (sur un total de cinq) qui ont été présentés aux journalistes et à la famille de Jean Béliveau hier midi. Dans vos salons, la chaîne Historia relaiera la première heure de Béliveau le mercredi 22 mars, à 22 h.

C’est Pierre-Yves Cardinal qui enfile le célèbre chandail de l’ancien numéro 4 du Canadien de Montréal, et il l’incarne avec toute la force tranquille, le bon coup de patin et les verres de contact bleutés nécessaires. Le principal problème ? L’ex-capitaine du Tricolore n’a pas de défauts ni de failles. C’est un homme sensible, droit, modeste, un bon père de famille, une personne extrêmement loyale et un gentleman cultivé, qui a lu Bonheur d’occasion et qui connaît le ténor Raoul Jobin. Jackpot !

Mettons que ça complique le travail du scénariste Jacques Savoie (Le berceau des anges) pour tricoter une minisérie enlevante. Ça demande aussi à Pierre-Yves Cardinal un deuxième effort pour ne pas que le téléspectateur trouve son Jean Béliveau lisse et prévisible. Là-dessus, le charismatique acteur s’en sort très bien.

En télé, la mode est actuellement aux productions peuplées d’antihéros au passé louche, qui trébuchent, rebondissent et s’enfoncent de nouveau. Béliveau est tout le contraire de ça.

La série détaille, de façon quasi documentaire et hagiographique, comment cette légende a grimpé les échelons de son époque junior, en 1950, jusqu’à sa retraite, en 1971.

L’ascension de ce héros national est racontée, en 2017, par sa femme Élise (Patricia Nolin), un peu à la façon du film Titanic, où Rose se remémorait la nuit du naufrage. Le premier épisode est un peu confus, alors que le réalisateur François Gingras (Trauma, Les jeunes loups) multiplie les voyages dans le temps.

De façon saccadée, le téléspectateur se balade entre l’été 1970, mars 1961 et l’automne 1949, alors que Jean Béliveau s’aligne avec les Citadelles de Québec. Le récit se place ensuite de façon plus classique et chronologique : sa rivalité amicale avec Boom Boom Geoffrion (comique Patrice Bélanger) se développe, Jean rencontre son épouse (impeccable Madeleine Péloquin) et résiste à la longue opération séduction enclenchée par Frank J. Selke (Ron Lea) pour l’attirer au sein du Tricolore.

Le croustillant arrive justement avec l’entrée officielle de Jean Béliveau dans le vestiaire du CH. Son contrat de cinq ans, une première dans la ligue, enrage Maurice Richard, qui dénigre la recrue payée trop cher et toujours blessée. Ce ressort dramatique aurait pu être exploité davantage. Cette acrimonie peu souvent montrée fournit du très bon matériel.

À 1 million de dollars l’épisode, Béliveau est ce qui se fabrique de plus coûteux à la télé québécoise depuis de nombreuses années. Le souci du détail y est maniaque, à commencer par les décors à la Mad Men, les chandails de hockey vintage, les gants de cuir, les bâtons, les vieilles voitures et les nombreuses images d’archives, qui entrecoupent judicieusement les séquences de fiction. Le logiciel employé pour rajeunir ou vieillir les visages donne des résultats stupéfiants.

Bémol, par contre, à propos des scènes de patinoire, qui s’apparentent plus à un jeu de PlayStation qu’aux premiers Lance et compte tournés dans un Colisée rempli à craquer, mettons. C’est bizarre de voir des gradins vides ou noirs.

Frédéric Blanchette joue un Butch Bouchard rassembleur et rassurant. Sa femme Marie-Claire (Marie-Ève Perron) apporte une touche humoristique ravissante à l’ensemble.

Mais est-ce que ça vaut la peine de suivre cette minisérie ? demandez-vous. Oui, si vous ne connaissez absolument rien de la vie de Jean Béliveau ou de son impact sur le hockey moderne. Non, si vous préférez vos émissions plus corsées, qui ne ressemblent pas nécessairement à de grands hommages endossés par la famille d’une immense idole.

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