Réplique : Mourir à domicile

Une tradition vieille comme le monde

En réponse à la chronique de Patrick Lagacé, « Apprendre à mourir, oui », publiée le 27 mai dans la section Pause

Monsieur Lagacé,

Vous avez affirmé récemment dans votre article du 27 mai que le domicile n’est pas le meilleur endroit pour mourir. Vous le savez, car c’est ce que votre expérience personnelle vous a démontré, et il en va ainsi pour de nombreuses autres personnes à qui vous avez parlé. 

Hélas, on ne peut émettre des opinions uniquement basées sur des anecdotes, surtout lorsqu’on est journaliste. Si moult ambulanciers vous ont raconté combien la fin de vie à domicile est cauchemardesque, c’est parce qu’aucun ambulancier n’est appelé lors d’une fin de vie paisible à domicile. 

En 2014, le Journal of Clinical Oncology a publié un article1 dont la conclusion est la suivante : mourir à domicile peut contribuer à procurer une « bonne mort » chez les patients en phase terminale d’un cancer sans causer un plus grand fardeau pour l’aidant naturel. L’année suivante, une étude anglaise2 nous a appris que mourir à domicile est mieux que mourir à l’hôpital pour ce qui est de « mourir en paix » et de mieux vivre son deuil par la suite. 

Si je prends la peine de vous écrire aujourd’hui, c’est parce que je veux rectifier les faits et réparer le tort que vous causez aux soins à domicile.

De nombreuses infirmières dédiées aux soins palliatifs à domicile et plusieurs médecins ont été passablement dérangés par votre article. La science et notre expérience nous démontrent que non seulement on peut mourir dans la paix et la dignité dans le confort de son domicile, mais que cela contribue à démédicaliser cette ultime étape de la vie. 

Permettez-moi une analogie. J’étais suivie par une sage-femme lors de ma dernière grossesse et je me préparais à accoucher à la maison de naissance. Toutefois, une prééclampsie m’obligea à accoucher à l’hôpital. Si je suivais votre logique, j’écrirais qu’on n’accouche bien qu’à l’hôpital ! Alors qu’on sait bien que la réalité est plus complexe, plus nuancée, et j’aurais aimé retrouver ce discernement dans vos propos. Affirmer que l’on ne meurt bien qu’aux soins palliatifs, c’est nier qu’on peut aussi bien mourir à domicile et à l’hôpital. Il s’agit d’offrir ce qui est le mieux pour le patient, au moment opportun, selon les circonstances. 

À domicile dans la dignité

Vous voulez connaître la recette pour pouvoir « mourir à domicile dans la dignité » ? Premièrement, ce doit être l’option privilégiée par le patient. Deuxièmement, un aidant naturel doit être disponible. Eh oui ! Un proche doit être au chevet pour accompagner le mourant dans le dernier chapitre de sa vie.

Bien que difficilement concevable dans nos sociétés capitalistes individualistes, la fin de vie à domicile oblige qu’un proche prenne une pause, arrête de travailler et se consacre à être présent pour le malade.

Troisièmement, une équipe d’infirmières et de médecins doit être disponible 24 heures sur 24 pour apporter les soins requis au malade et soutenir convenablement l’aidant naturel. Lorsque ces trois conditions sont réunies, mourir à la maison devient non seulement faisable, mais prend la forme d’un rite de passage, perpétuant une tradition vieille comme le monde. Mourir à domicile se célèbre alors, sans tambour ni trompette, dans la simplicité de nos habits de tous les jours et avec ceux qu’on aime entassés dans notre lit – ou dehors sur le balcon lorsque l’émotion est trop forte. 

Ne me méprenez pas : mourir à domicile n’est pas un dogme. Bien qu’une majorité (65 %) des patients en fin de vie désirent demeurer à leur domicile jusqu’au décès3 4, ceux qui préfèrent s’en aller ailleurs vivre leurs derniers jours devraient avoir accès sans contraintes à une maison de soins palliatifs. La rareté de cette ressource actuellement au Québec est une injustice qu’il faut décrier. 

En tant que médecin faisant des visites à domicile depuis bientôt 10 ans, je me considère comme la sage-femme de la médecine palliative : je parle de la fin de vie à la maison avec tous mes patients, mais les dirige de bon gré vers les maisons de soins palliatifs ou à l’hôpital si c’est ce qui est désiré. Si je poursuis dans cette voie, pourtant pleine d’embûches, qu’est celle d’offrir des soins à domicile à ceux qui ne peuvent plus sortir de chez eux, c’est parce que je veux, d’une part, continuer d’être témoin de toute cette beauté et cette sagesse qui émanent de ceux qui savent qu’ils vont bientôt mourir, et d’autre part, encourager la réappropriation du mourir dans la sphère privée, comme une étape normale de la vie.

1 Place of Death and the Differences in Patient Quality of Death and Dying and Caregiver Burden, J Clin Oncol 32, 2014 

2 Is dying in hospital better than home in incurable cancer and what factors influence this ? A population-based study, BMC Medicine (2015)

3 Factors associated with location of death (home or hospice) of patients referred to a palliative care team. CMAJ 1995 

4 Place of care in advanced cancer : a qualitative systematic literature review of patient preferences. J Palliat. Med 2000

Réponse de Patrick Lagacé

Le jour où tous les Québécois pourront avoir accès à un médecin disponible pour superviser leur fin de vie à domicile, on pourra parler de « faits à rectifier ». Les belles morts que vous facilitez avec vos visites à domicile, elles ne sont pas accessibles pour bien des Québécois.

Le Journal of Clinical Oncology a beau avoir publié un article en 2014 sur les « belles morts » à domicile, encore faut-il y avoir accès ! Vous dites qu’une des conditions pour bien mourir à domicile est d’avoir accès, 24 heures sur 24, à une équipe d’infirmières et de médecins… J’espère que vous êtes consciente que c’est une réalité qui n’est pas accessible pour beaucoup de Québécois.

Ces Québécois, au pire moment de leur vie, vont peut-être opter pour une mort à domicile. Leurs proches vont y consentir, par loyauté, par abnégation… Sans savoir dans quoi ils s’embarquent et créant ainsi, à leur insu, des conditions pour une mort épouvantablement difficile, pour eux et pour leurs proches. Vous niez cette réalité.

Ma chronique faisait par ailleurs les nuances nécessaires, elle soulignait qu’il est possible de mourir chez soi. Je me cite : « Je sais qu’il y a des exceptions […] Je ne dis pas que c’est impossible, une belle mort chez soi… Mais elle est sacrément plus complexe qu’on peut le penser. »

Vous semblez ne pas avoir lu ce bout-là.

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