OPINION

Les 30 ans d’une « révolution tranquille » en santé mentale

Cette année marque le 30e anniversaire de la Politique de santé mentale du Québec. Grâce à ce texte fondateur, élaboré sous la responsabilité de la ministre de la Santé de l’époque, Thérèse Lavoie-Roux, un renouveau de l’approche en santé mentale a été proposé.

Cette politique donnait une place prépondérante aux personnes directement concernées dans l’élaboration et l’organisation des services en santé mentale, ainsi qu’aux familles et aux proches de ces dernières.

Afin d’illustrer cette volonté, le Ministère a fait siens ces propos issus du rapport Harnois (1987) : « Je suis une personne, pas une maladie. » Enfin, après des décennies d’abus, on reconnaissait que la personne souffrante était avant tout une personne. Cela peut sembler une évidence aujourd’hui, mais en 1989, ça ne l’était pas. 

Enfin, on mettait de l’avant le principe de la primauté de la personne, ce qui implique le respect de sa personnalité, de sa façon de vivre, de ses différences, des liens qu’elle entretient avec son environnement, de son point de vue, de ses décisions, de son potentiel et de ses droits. En ce sens, le Québec était précurseur, car ce fut l’une des premières politiques de santé mentale au monde. C’était ni plus ni moins une « révolution tranquille » en santé mentale. On passait d’une approche asilaire à une philosophie d’intégration sociale.

On assiste alors au développement et à la création, sur l’ensemble du territoire du Québec, de ressources communautaires et alternatives pour les personnes concernées ainsi que pour les familles et les proches ; des groupes régionaux dont le mandat est la promotion et la défense des droits se mettent en place.

Surtout, les personnes vivant un problème de santé mentale s’approprient le pouvoir sur leur vie : elles s’impliquent dans les organismes communautaires, elles apprennent à connaître et à revendiquer le respect de leurs droits, elles prennent la parole pour dire haut et fort comment elles veulent être considérées par le système de soins. Bref, elles s’approprient leur rôle de personne citoyenne à part entière.

Que reste-t-il, 30 ans plus tard  ?

Son héritage est bien présent dans le dernier Plan d’action en santé mentale (2015-2020) du ministère de la Santé et des Services sociaux. Ce plan, ayant en son cœur la primauté de la personne, a reconfirmé que l’implication des personnes dans les décisions qui les concernent est un incontournable, qu’il faut combattre la stigmatisation, que les déterminants sociaux (revenu, logement, études, emploi, etc.) doivent être considérés et que la nécessité du travail en collaboration est devenue essentielle.

Mais malgré ces avancées, nous considérons que dans les pratiques, nous nous sommes éloignés de l’esprit de cette politique.

En effet, la politique mettait de l’avant une vision biopsychosociale, ce qui implique de considérer la personne dans toutes les dimensions de sa vie, non pas seulement sa « maladie ».

Malheureusement, depuis plusieurs années, le modèle biologique accapare en grande partie ce qui concerne la santé mentale.

Les recherches tentent ardemment de démontrer la source génétique des problèmes de santé mentale : on parle d’un prétendu débalancement biochimique de la sérotonine, de la dopamine, etc. C’est cette vision qui prédomine au détriment du modèle psychosocial qui, lui, tient compte du sens que la personne donne à ses difficultés et de son environnement.

Un autre fait à ne pas négliger

La politique reconnaissait que « le dynamisme communautaire assure la constante et nécessaire remise en question des pratiques et des modes d’organisation de services ». Les organismes communautaires étaient considérés comme des éléments essentiels pour maintenir un questionnement sain et continu sur les pratiques en santé mentale. Le rapport Harnois indiquait qu’« une ressource communautaire en mesure de dispenser un service dans la communauté devrait avoir priorité sur toute autre forme de structure ». 

Or, le dernier Plan d’action en santé mentale 2015-2020 – Faire ensemble et autrement les a relégués à un « rôle fondamental dans le rétablissement des personnes utilisatrices de services, notamment en assurant une prise de parole collective ».

Exit le questionnement et la remise en question des pratiques ; on s’attend, de la part de ces organismes, qu’ils donnent des services, point.

En novembre dernier, le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, Dainius Pūras, était de passage au Canada. Il soulignait l’importance des différents choix, de l’action sur les conditions de vie des personnes, ainsi que le respect de leurs droits. Trente ans plus tard, il nous invitait à reprendre la vision porteuse d’espoir de la politique, toujours avant-gardiste, malgré ses 30 bougies.

* Respectivement directrice de l’Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ) et co-coordonnatrice du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec (RRASMQ)

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