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Comment écrire le viol ?

Après la démission de Vanessa Courville, directrice de XYZ. La revue de la nouvelle, à cause d’une nouvelle de David Dorais (non encore publiée) dont la fin mentionnerait l’agression sexuelle d’une femme, La Presse a contacté écrivains, auteurs et éditeurs pour leur demander si la narration d’un viol en littérature doit être aujourd’hui encadrée par de nouveaux critères.

Le sujet est délicat. Tellement que plusieurs personnes contactées ont refusé de se prononcer sur cette nouvelle prise de conscience qui découle des mouvements #moiaussi et #agressionnondénoncée. 

Les romanciers doivent-ils s’autocensurer pour respecter une nouvelle éthique de l’écriture ? Sept auteurs de fiction ont accepté de nous confier leurs états d’âme à ce sujet.

Michèle Ouimet Journaliste, auteure et romancière

En 2014, Michèle Ouimet a révélé dans une chronique de La Presse le viol dont elle avait été victime à 21 ans. La même année, elle a publié son premier roman, La promesse, dans lequel elle raconte le viol d’une Afghane de 12 ans par son mari violent. Le viol est une réalité qu’il faut toutefois traiter avec délicatesse, croit-elle.

« Si la scène d’un viol dans un roman est dégradante ou encourage la haine des femmes et la violence contre les femmes, c’est non ! lance-t-elle. Comme pour la littérature haineuse et la négation de l’Holocauste. Il y a une limite à la liberté d’expression. On n’est plus à l’époque où Nabokov écrivait Lolita. Pourrait-il l’écrire aujourd’hui sans être dénoncé ? L’époque a changé. On a moins de tolérance pour ça. Le livre Putain de Nelly Arcan, pas sûre que ça passerait aujourd’hui. Mais on est devenu trop prude. Il faut éviter les dérapages. La nouvelle conscience qui devient une nouvelle morale peut provoquer des réflexes d’autocensure chez les écrivains. J’ai donc hâte de lire la nouvelle de David Dorais pour voir si c’était dégradant ou acceptable. »

Patrick Senécal Écrivain (Aliss, Le vide, Malphas), scénariste, réalisateur, et dramaturge

Le fantastique, l’horreur et le roman policier étant les univers habituels de sa plume, Patrick Senécal estime qu’il faut être vigilant en tant qu’écrivain lorsqu’on aborde des scènes d’une grande violence.

« Parfois, je me demande même quand quelqu’un va se plaindre qu’une femme s’est fait violer, qu’un gars s’est fait tuer ou qu’un enfant meurt dans ce que j’ai écrit, dit-il. C’est pas parce qu’on écrit sur un viol gratuit que l’auteur en fait l’apologie. Je ne vois pas un auteur faire sciemment l’apologie du viol. Si, dans le même roman, on tue 300 personnes à coups de hache, va-t-on juste condamner le viol ? Tuer des gens, c’est épouvantable aussi. Un courant féministe est en émergence, et tant mieux. Mais si on commence à interdire ce qui est politiquement incorrect dans la fiction, je trouve ça épeurant. Quand je vois qu’en Angleterre, une femme a lancé un concours du meilleur thriller où aucune femme ne meurt, là, on est en plein délire ! On peut tuer n’importe qui dans les livres sauf des femmes ? Cette logique ne marche pas. »

Nadine Grelet Romancière (La fille du Cardinal, Entre toutes les femmes) 

Nadine Grelet a évoqué de la violence dans ses livres. Elle explique que rendre compte de la violence, notamment celle faite aux femmes, n’est pas chose facile en littérature.

« Quand on écrit, on doit faire attention. La littérature est quelque chose de très personnel. Ce qu’un auteur écrit peut paraître monstrueux à quelqu’un et pas à un autre. On a banalisé la violence dans la société. Il convient de parler du viol, car il en découle. Beaucoup de femmes sont violentées en paroles et en actions, dans la vie de tous les jours. Mais l’écrivain doit-il aller jusqu’à s’autocensurer pour ne pas aborder des sujets pouvant heurter ? Je ne crois pas. Sinon ce n’est plus de la littérature. »

Yvon Rivard Professeur à la retraite et écrivain (Les silences du corbeau, Le bout cassé de tous les chemins, Aimer, enseigner)

Ayant abordé les agressions sexuelles dans ses livres, Yvon Rivard cite Hermann Broch sur le premier devoir de l’intellectuel : porter assistance à autrui.

« La littérature qui ne se remet pas en question est en danger. J’aime les écrivains qui se questionnent sur la littérature au lieu d’évoquer la liberté d’expression. Je n’ai pas lu le texte de David Dorais, mais que Vanessa Courville démissionne parce qu’elle est contre ce texte dénote une relation saine à la littérature. Il n’est pas question d’expurger tous les textes, mais pour montrer le mal, il faut avoir une intuition du bien. Si tu montres un viol sans faire état de ses conséquences, des relations entre deux êtres et de l’intégrité d’une personne, alors tu ne provoques pas la conscience du lecteur. »

Marie Hélène Poitras Journaliste et romancière

Auteure de Soudain le Minotaure, qui aborde l’histoire de viols selon le point de vue d’un violeur et celui d’une victime, Marie Hélène Poitras avait pris la peine de contextualiser l’horreur.

« Ce qui m’intéressait était de décrire la psyché de l’agresseur et le choc post-traumatique de la victime, explique-t-elle. J’aurais pu écrire Soudain le Minotaure de la même façon aujourd’hui. Pour moi, l’écriture est un lieu souverain. Il ne faudrait pas qu’il y ait désormais une police de la morale qui entre dans nos têtes d’écrivains et restreigne notre écriture. En même temps, on doit être conscient de notre époque. Si on veut choquer et juste reproduire des clichés éculés, ce n’est pas vraiment intéressant. Je salue le geste de Vanessa Courville. Je trouve ça courageux, ambitieux et chevaleresque. »

Danielle Trottier Auteure (Unité 9, Cheval-Serpent, La promesse)

Dans la série Unité 9, la plupart des personnages ont fait face d’une façon ou d’une autre à des viols. Pour rester proche de son sujet, Danielle Trottier a considéré qu’il était incontournable d’en parler.

« L’épisode du viol de Jeanne Biron a été un moment marquant d’Unité 9, indique-t-elle. On ne s’est pas concentrés sur l’agression physique, mais sur le visage de Jeanne, car je voulais surtout travailler l’impact du viol. Je ne pouvais pas ne pas montrer l’agression sexuelle. Si on parle d’un crime, on doit le montrer. Sinon, on n’aurait pas compris ce qu’elle a vécu par la suite. Il faut que le téléspectateur le ressente. Mais on a fait en sorte de ne pas érotiser la scène, qui n’est pas spectaculaire, sans effusion de sang, sans coups portés. »

Chantal Gevrey Enseignante et écrivaine (Immobile au centre de la danse, Zoé inachevée, Lecture et résolution du vide)

Chantal Gevrey considère que l’on est devenu très chatouilleux ces dernières années au Québec par rapport à l’expression de sujets sensibles.

« On est un peu dans la situation des Précieuses ridicules, toutes proportions gardées, compare-t-elle. On est très frileux et c’est regrettable, car bien des écrivains vont s’autocensurer pour éviter des ennuis. Ce qui est inquiétant, c’est qu’il y a comme un mot d’ordre que des choses ne doivent pas être dites. Ça, ça me fait peur. C’est du puritanisme qui vient beaucoup des États-Unis alors que les Américains ne vivent pas dans la même société que la nôtre. Au Canada, les problèmes se posent différemment. »

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