notre choix

Faire du bien à l’humanité

Visions de Manuel Mendoza
Alain Beaulieu
Druide
327 pages
4 étoiles

Le quinzième roman d’Alain Beaulieu est certainement l’un de ses plus touchants. L’écriture précise et élégante de l’auteur de Québec est à son paroxysme dans un récit qui célèbre la littérature de plusieurs façons.

Dans un pays d’Amérique du Sud, le médecin Manuel Mendoza perd tous ses repères lors du décès soudain de son épouse, directrice d’une maison d’édition. L’homme fortement éprouvé décide de tout plaquer afin de perpétuer la mission de celle qu’il croit avoir négligée au fil des ans en raison d’un travail très prenant.

Or, Manuel Mendoza n’y connaît que dalle en littérature. À la lecture d’un brillant manuscrit, deuxième et ultime roman de son épouse qu’elle a signé sous un pseudonyme, il croit y déceler un souvenir troublant qui le pousse à filer jusqu’au bout du pays. Les employés de la maison littéraire et ses propres enfants s’inquiètent, mais le médecin malade de tristesse veut en avoir le cœur net.

La métaphore est belle. Le pays est en proie à des manifestations de plus en plus violentes, on pourrait penser à ce qui se passe en ce moment au Chili et en Bolivie, pendant qu’un médecin se porte au chevet des livres et des auteurs. Sans savoir trop pourquoi, Manuel Mendoza sent au plus profond de lui qu’il s’agit du geste à poser au moment où le sol se dérobe sous ses pieds.

Comme dans tout bon road trip, c’est le voyage qui compte ici, peu importe le résultat. Manuel Mendoza fera des rencontres qui changeront sa vie, dont celle de son âme propre. Il comprendra notamment que la réalité est souvent plus dure et cruelle que la fiction. Et que, pour cette raison, il faut sauver les histoires qui nous apprennent à mieux vivre.

Le voyage entrepris par le médecin dans la foulée de la lecture du roman de sa femme démontre ainsi la puissance de la littérature. Sentir le monde dans une œuvre d’art, c’est expérimenter la fusion des esprits et des êtres. La réception d’une œuvre n’est jamais un acte solitaire, mais une rencontre.

Grand voyageur lui-même, Alain Beaulieu se laisse habilement imprégner des paysages et des situations qu’il transpose en réflexions et émotions, brillamment. Le romancier sait raconter une histoire, mais surtout, le faire avec le maximum d’impact dramatique en usant d’un minimum de mots justes.

Dès le premier paragraphe, le romancier sait dire bellement l’essentiel. Cette entrée en matière nous enchaîne au fauteuil avec un seul souhait qui devient vite une obsession, continuer jusqu’au bout.

Certains pourraient reprocher à l’écrivain sa trop « belle histoire » à la conclusion de ce périple. Mais le message est conséquent et d’une logique implacable à l’heure où l’anxiété mondialisée nous guette. Les arts en général, et les livres en particulier, font du bien à l’humanité.

Critique

Quand la maternité vire au cauchemar

Un espace entre les mains
Émilie Choquet
128 pages
Boréal
3 étoiles

Réviseure et traductrice de métier, Émilie Choquet fait ses premiers pas en fiction avec Un espace entre les mains, un court récit assez percutant et immersif, qui nous entraîne dans les méandres de la psychose post-partum. Complètement désorientée après la naissance de sa fille, la narratrice perd peu à peu contact avec la réalité et plonge de l’autre côté du miroir. Se croyant prise dans une boucle temporelle où les mêmes éléments se répètent inlassablement – allaitement, changement de couches, ronde des infirmières à l’hôpital, conversations –, elle tente de reprendre le contrôle de sa vie qui semble se dérouler désormais indépendamment de sa volonté. « Les parois du présent, du passé et du futur ont perdu leur étanchéité. Je voyage par osmose entre elles à la recherche d’une bonne prise. » Enfilant les courts chapitres mélangeant habilement les temporalités, ce récit au rythme soutenu, qui se lit d’un trait, a la qualité de bien montrer ce décalage brutal entre la maternité rêvée et vécue, et réussit à faire ressentir, de l’intérieur, ce trouble mental mystérieux qu’est la psychose, et la liquéfaction de l’être qui l’accompagne, pris dans cet « espace » où la perception ne colle plus au réel. 

— Iris Gagnon-Paradis, La Presse

Critique

Apprendre à vivre

Une joie sans remède
Mélissa Grégoire
Leméac
224 pages
3 étoiles

Enseignante en littérature, Mélissa Grégoire propose ici un second roman. Son premier récit, L’amour des maîtres, s’intéressait à la relation élève et maître et foisonnait de références littéraires. Si on reste près de cet univers avec Une joie sans remède – le personnage principal, Marie, enseigne la littérature dans un collège et croit plus que tout au pouvoir des livres –, l’autrice en profite pour y aborder des sujets délicats comme l’anxiété, la dépression et l’épuisement professionnel. « Ce matin, si on me demandait quel est le but de ma vie, je répondrais : “Être capable de passer à travers la journée.” » Ainsi commence ce roman, porté par une plume sensible qui s’abreuve aux grandes œuvres littéraires, où la protagoniste, aux prises avec une anxiété qui prend de plus en plus toute la place, se voit forcée de quitter son emploi. Le récit raconte son cheminement, alors qu’elle tente de faire son autopsie – et celle de son passé – afin de comprendre ce qui ne tourne pas rond chez elle. Entre son conjoint très – parfois trop – compréhensif et doux, sa mère qui tente de la secouer un peu et sa grand-mère dont la narratrice envie l’apparente simplicité d’une vie vouée à la religion et à la famille, cette dernière apprendra peu à peu à se réconcilier avec ses faiblesses et ses limites, en allant notamment à la rencontre des autres. Un récit empreint de douceur, qui se construit à la faveur d’une certaine lenteur et qui traite d’un sujet sensible touchant de plus en plus de gens. — Iris Gagnon-Paradis, La Presse

Critique

Thriller contemporain

Victime 2117
Jussi Adler Olsen
Albin Michel
540 pages
3 étoiles et demie

Une embarcation surchargée de migrants fait naufrage au large de Chypre. Plusieurs se noient, dont une vieille dame, qui devient officiellement la 2117personne à trouver la mort lors de la traversée de la Méditerranée depuis le début de l’année.

C’est sur ce drame très contemporain que s’ouvre Victime 2117, du romancier danois Jussi Adler Olsen. Mais rapidement, le drame social se transforme en thriller : en fait, la vieille dame a été assassinée. Et il s’agissait d’une personne très chère aux yeux d’Assad, un des membres du département V de la police de Copenhague.

La petite équipe doit maintenant jouer au chat et à la souris pour prévenir un attentat terroriste en Europe et, accessoirement, empêcher un jeune Danois, Alexander, obsédé par les jeux vidéo violents, de se livrer à un massacre à l’épée une fois qu’il aura accumulé 2117 points au jeu Kill Sublime.

Jussi Adler Olsen parvient à bien entrecroiser les intrigues et à créer un double suspense des plus efficaces. S’il caricature un peu les terroristes, il dépeint plus habilement la personnalité complexe d’Assad et le mal de vivre d’Alexander.

— Marie Tison, La Presse

Critique

Jeu de miroirs

Une famille presque normale
M.T. Edvardsson
Sonatine
528 pages
3 étoiles et demie

C’est le New York Times qui avait révélé ce roman suédois en l’incluant dans sa liste des polars incontournables de l’été dernier. La trame, en soi, n’a peut-être pas grand-chose d’original de prime abord : dans une petite ville du sud de la Suède, une jeune fille issue d’une famille qui se dit « normale » est arrêtée et accusée du meurtre d’un homme. On découvre un peu sans surprise le versant sombre d’une adolescente qui, pour défier son père, mène une vie d’excès depuis ses 14 ans. Et pourtant, on ne réussit pas à lâcher le bouquin : presque à notre insu, on se surprend à avaler les pages pour savoir ce qui a mal tourné. Et c’est effectivement un véritable page-turner qui se dévoile à mesure que l’on plonge dans l’intrigue, tout d’abord narrée par le père, qui est pasteur, puis par la fille elle-même et enfin par la mère. À travers un jeu de miroirs déformants, ce thriller habilement construit défie les perceptions et se transforme en cauchemar parental, remettant insidieusement en question les limites de la justice, de la morale et de tout ce qu’on serait prêt à faire pour protéger son enfant. — Laila Maalouf, La Presse

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