« Citoyens souverains »

Des extrémistes antigouvernementaux dans le viseur de la SQ

L’occupation d’un parc naturel de l’Oregon par une milice d’extrême droite cette semaine a ramené dans l’actualité plusieurs groupes antigouvernementaux plus ou moins ésotériques qui rejettent l’existence de l’État fédéral américain. S’ils n’exhibent pas d’armes comme leurs confrères des États-Unis, les adeptes québécois de cette mouvance inquiètent tout de même la Sûreté du Québec (SQ), qui surveille plus de 250 extrémistes du genre, a appris La Presse.

Une mouvance nord-américaine

Plusieurs spécialistes ont noté des recoupements entre le discours des miliciens rebelles en Oregon et celui des « Citoyens souverains », qui ont été nombreux à manifester leur appui aux occupants du parc national. Considérés comme un « mouvement terroriste intérieur » par le FBI, les Citoyens souverains sont un mouvement antigouvernemental vaguement ésotérique comprenant plusieurs variantes aux noms divers qui rejettent vigoureusement les services publics, la loi, l’État, qui seraient tous issus d’une vaste conspiration illégale. Leur succès vient notamment du fait que plusieurs jurent avoir réussi à obtenir l’immunité face au gouvernement en le défiant à l’aide de passages de la Bible, de textes des Pères fondateurs, de vieilles lois commerciales ou de traités oubliés.

La « Stratégie provinciale »

Cette mouvance a commencé à inquiéter les autorités québécoises en 2012, en tentant d’imposer des hypothèques légales sur les biens de juges québécois qu’ils considéraient comme des imposteurs. Dans un témoignage en cour livré l’an dernier et que La Presse a obtenu, un enquêteur du Service des enquêtes sur la menace extrémiste de la SQ, Jean-François Talbot, a expliqué qu’un message avait été envoyé à tous les corps policiers et ministères pour regrouper l’information sur les adeptes de ces thèses. Depuis, tous les signalements reçus sont centralisés dans une banque de données et classés par sections et allégeances. « Dans le cadre d’une stratégie provinciale, la SQ a été mandatée à l’été 2012 pour faire la lumière sur tous les mouvements et idéologies pouvant s’apparenter aux Citoyens souverains, il y a plusieurs noms, Freeman on the land, Magna Cartas, les antigouvernementaux, le mouvement Rédemption », a-t-il expliqué. Le policier témoignait au procès d’un adepte québécois qui refusait de payer sa Porsche parce que les factures du concessionnaire brimaient ses droits fondamentaux de citoyen souverain. 

1000

« Depuis que nous avons ouvert le dossier en 2012, nous avons répertorié plus de 1000 individus qui ont adopté par le passé cette idéologie, ou une partie, ou qui y adhèrent encore aujourd’hui. Je vous dirais que le nombre de personnes qui l’appliquent de manière active tourne autour de 250 à 300 personnes au Québec.

« Aux États-Unis, il y a vraiment une menace qui est constatée par les autorités. C’est sur cette base qu’on a décidé de sensibiliser tous les intervenants de la justice au Québec pour éviter de vivre ces événements qu’ils ont vécus aux États-Unis. »

— Jean-François Talbot, enquêteur au Service des enquêtes sur la menace extrémiste de la SQ

Agissements de Citoyens souverains répertoriés par la SQ : 

- résistance active à une tentative d’arrestation ;

- engorgement des tribunaux par des procédures ésotériques ;

- refus de payer ses taxes et impôts ;

- circuler en voiture sans plaque d’immatriculation ;

- refus de payer des amendes imposées par la justice ;

- intimidation sur des représentants du système judiciaire ;

- harcèlement ;

- tentative d’enregistrer une hypothèque légale sur les biens de représentants de l’État ;

- aucune attaque violente à ce jour, contrairement aux États-Unis.

Des partenaires de lutte

La SQ a tenu des rencontres avec le FBI américain sur la façon d’affronter ces groupes extrémistes, ainsi qu’avec l’Agence du revenu du Canada, qui a lancé sa propre offensive d’un océan à l’autre contre les Citoyens souverains. En octobre 2014, le fisc fédéral et la SQ ont mené une opération conjointe contre deux dirigeants québécois et 18 « leaders » qui propageaient la philosophie. Certains ont été accusés de fraude pour avoir tenu des conférences payantes où ils enseignaient une fausse recette ésotérique qui permettait prétendument d’obtenir une immunité totale par rapport à l’impôt.

Le crédo des Citoyens souverains

Plusieurs variantes du mouvement croient que le gouvernement américain a fait faillite en 1933, mais que ce fait a été caché à la population et que l’actuel gouvernement n’a pas d’existence légale.

Certains croient qu’à la naissance de chaque citoyen, le gouvernement crée secrètement une corporation portant le même nom que le bébé, dotée d’un compte de 500 millions en banque, auquel chaque personne peut accéder si elle connaît la procédure cachée.

Comme les adeptes placent la liberté de transiger commercialement au-dessus de tout, ils croient qu’il suffit de signifier à un juge ou un policier son « refus de transiger avec lui » pour obtenir l’immunité. Des contraventions ou des jugements sont renvoyés par la poste avec la mention « refusé ».

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