DANS LA TÊTE DES ADOS

À leurs tours

Ils ont entre 13 et 17 ans. Ils aiment écrire. Et en ont long à dire. Nous leur avons demandé un court texte, sur un sujet de leur choix. Un sujet libre, quoi. Voici le résultat.

— Textes recueillis par Silvia Galipeau

Merci aux nombreux jeunes lecteurs qui ont répondu à notre appel à tous

On y était presque !

« T’as un beau cul », « t’es chaude », « je te baiserais ». Chaque jour, j’entends ces mots, censés être gentils et remonter mon estime de moi. J’ai 16 ans et je suis déjà hypersexualisée.

Je suis jalouse chaque fois que ma mère me raconte qu’un jour, un homme lui a envoyé un bouquet de fleurs ou qu’un autre lui a dit qu’elle était passionnante. Je suis consciente de n’être qu’une jeune fille naïve, mais j’attends impatiemment le jour où l’on me dira « Tu es si intelligente ».

Ce qui m’attriste le plus dans tout ça, c’est que les femmes se laissent faire et se le font entre elles. On ne peut pas demander aux hommes de nous respecter si nous-mêmes ne le faisons pas.

J’entends souvent les garçons de mon entourage dire « Un trou, c’est un trou ». Moi, je suis juste un trou ? Tu penses que je n’ai rien d’autre à t’apporter qu’un pot dans lequel tremper ton pinceau ? Étonnamment, je suis la seule à qui ça fait mal aux oreilles. Où est passée notre estime de nous ?

Nos ancêtres féministes se battent depuis le début du XXe siècle pour l’égalité entre les hommes et les femmes, ne gâchons pas ce travail. Je crois profondément que si on a réussi à obtenir le droit de vote, le droit à l’éducation, le droit à l’emploi et l’équité salariale, on peut être plus que de simples trous.

L’univers YouTube

Notre génération est beaucoup axée sur les appareils électroniques et sur les différents réseaux sociaux.

Pour ma part, je voulais sortir de la norme et choisir une plateforme qui me ressemblerait au niveau de mes valeurs et de mes passions. J’ai donc choisi YouTube et je ne le regrette pas. YouTube me permet d’exprimer mon opinion et ce que j’aime à travers les vidéos que je partage avec les internautes.

Aussi, ce que je regarde me représente beaucoup. De plus, je trouve important d’écouter différents types de vidéos qui nous ouvrent davantage sur le monde. Ça me permet aussi de faire de nouvelles connaissances et d’avoir l’opinion positive ou négative des gens.

Aussi, ça permet de sentir que j’ai ma place dans ce monde si vaste.

YouTube a été une bonne façon de me familiariser avec les nouvelles technologies de notre ère.

Tout ce contenu disponible peut tous nous inspirer, nous, la génération du futur, afin de bâtir un monde meilleur. L’important, c’est de trouver un équilibre entre nos différentes passions.

Les dommages de l’intimidation

Je veux témoigner de l’impact de l’intimidation, l’ayant moi-même subie (physique, psychologique et cyberintimidation).

Il faut vraiment que les autorités scolaires prennent les choses au sérieux pour éviter les séquelles tant chez l’intimidé que chez les intimidateurs. Mais, souvent, leur réaction est « on ne peut rien faire sans preuve ». Il faut creuser plus loin.

Un jour où j’en avais vraiment assez, j’ai trouvé ce morceau de métal pointu dans la classe et j’ai commencé à me taillader les veines. Personne ne me regardait et ne me demandait ce que je faisais ou si j’allais bien. Pourtant, j’étais très visible. Probablement qu’au fond de moi, j’essayais d’attirer l’attention. Mais peine perdue.

Je suis allée assez loin dans mon désir d’échapper à l’intimidation, jusqu’à penser à m’enlever la vie. Si une amie n’avait pas intercepté mes lettres de suicide, où serais-je aujourd’hui ?

Actuellement, même si ces intimidations ont cessé, certaines séquelles sont toujours présentes. Par exemple : crise de panique en musique avant les examens (puisque tout le monde peut me juger) et j’ai aussi appris à cacher mes sentiments et à me taire.

Mais j’ai aussi des passions qui m’ont aidée à passer à travers tout ça, comme la danse, le théâtre, l’impro, le chant et l’équitation. Et surtout : il y a l’écriture. Pour moi, ce n’est pas une passion, mais un mode de vie.

Je suis en train d’écrire un livre, espérant me faire un jour publier. Je veux accomplir quelque chose pour me prouver et prouver aux autres que je ne suis pas une bonne à rien. Seulement être capable aujourd’hui de raconter mon histoire est une victoire. Je prouve à tous ceux qui m’ont blessée que j’en ressors finalement plus forte.

Une joie obligée et virtuelle

Pourquoi ? Pourquoi sommes-nous obligés d’être toujours heureux ?

Pourtant, tout le monde sait bien que c’est impossible. La vie comporte des hauts et des bas, mais il nous est impossible d’en aborder le sujet. Personne ne doit montrer des signes de tristesse, par obligation d’être parfait. Et bien sûr, être parfait signifie ne pas être triste.

Je vous avoue être épuisé. À 17 ans, je suis déjà épuisé de devoir construire une vie parfaite et en même temps de comprendre mes émotions ainsi que d’y faire face.

Les émotions. En plus d’avoir le droit de ne montrer que de la joie aux autres, je ne peux tout simplement parler de mes émotions. Peu importe qui, je n’ai pas ce droit, étant un gars. Eh oui, il existe encore ce malaise de parler de nos émotions, même entre nous. Faut dire aussi que personne ne nous apprend à reconnaître nos émotions et à les gérer. Ça n’aide pas.

« Ça va ? »« Oui, toi  ? » « Oui. » Cette fameuse question à laquelle nous répondons tous « Oui » et très rarement « Non », par protection. Impossible de montrer une faiblesse aux autres de peur d’être jugé. Instagram, Facebook et Snapchat, le fameux trio du jugement et de la performance. Je dis jugement et performance en pesant mes mots.

Bien que le jugement ait toujours fait partie de nos vies et en fera toujours partie, le problème est lorsqu’il prend le contrôle de nos décisions. Il prend le contrôle lorsqu’une photo mise en ligne qui n’obtient pas un certain nombre de like est retirée. De là le côté de performance. On doit obtenir un minimum de like pour être accepté.

J’ai peur de l’avenir pour notre génération et celle qui nous suit. J’ai peur qu’un moment difficile se pointe le bout du nez et de ne pas être capable d’y faire face. Pour moi, mais aussi ma génération. Personne ne nous apprend à l’exprimer, à le gérer et encore moins à y faire face, seuls ou avec l’aide d’un spécialiste. Il est temps d’agir. Montrons aux générations futures qu’elles peuvent être tristes et que la vie ne sera pas toujours si heureuse comme nous le prétendons et que fonder de vraies amitiés, quatre personnes sur qui vous pourrez vraiment compter, sera toujours beaucoup mieux que 500 auxquelles vous répondrez « Oui » à la fameuse question « Ça va ? ».

L’avenir entre nos mains

« Les jeunes, aujourd’hui… » Qui parmi vous n’a jamais entendu quelqu’un commencer une phrase ainsi ?

Cette année, les tout premiers enfants du millénaire auront 18 ans. C’est à eux que nous confions le monde et pourtant, ils sont maladroitement perçus. Nonchalants, vous dira-t-on. Incultes. Incapables de faire face à leurs responsabilités. Voire mal éduqués. Il m’est difficile d’exprimer le sentiment ressenti face à la diversité des mots choisis pour décrire ma génération. Une génération qui, semble-t-il, n’est identique en aucun point aux précédentes.

La jeunesse est dépeinte sous toutes sortes de perceptions qui me font croire qu’elle est sous-estimée. Cela me touche énormément en tant qu’adolescente et fier « bébé de l’an 2000 », parce que ces préjugés amènent malheureusement les jeunes à se sous-estimer eux-mêmes et à ne pas croire en leurs capacités.

C’est pourquoi, à mon tour, je tiens à commencer une phrase ainsi.

Les jeunes, aujourd’hui, sont pleins d’avenir. Ils sont notre avenir.

Confiants. Créatifs. Connectés au reste du monde. Mais surtout, ouverts d’esprit et engagés. Ils sont capables de prendre position dans l’immensité des voies qui s’offrent à eux et de prendre place dans une société qui devient de plus en plus distincte de tout ce que nous avions connu auparavant.

Oui, c’est vrai : nous ne sommes plus comme « dans le temps ». Peut-être est-ce une bonne chose, au fond. À vrai dire, je suis honorée de laisser une marque dans ce vent de changement – ne serait-ce que quelques lignes dans un journal… Moi aussi, j’aurai 18 ans cette année et j’en suis fière : fière de faire partie de la génération Z, car c’est la mienne et je sais qu’elle changera le monde à sa façon, peu importe ce que l’on perçoit d’elle.

Maintenant, je m’adresse à vous, chers adolescents. Les jeunes, aujourd’hui… Croyez en vous.

On passe au travers

Comment réaliser qu’en un instant notre monde peut s’écrouler ? Qu’il manque soudainement une pièce de ce parfait casse-tête qui était autrefois ? Comment savoir à quel moment la vie va décider de prendre un marteau et détruire le train-train habituel ?

Il y a plusieurs manières de voir son monde s’écrouler. Parce que notre téléphone portable tombe à l’eau ou que notre père est enlevé de nos mains par une maladie incurable.

C’est juste la façon de voir les choses.

Je suis peut-être juste dramatique, c’était il y a 10 ans déjà.

Mais 10 ans plus tard, j’ai encore peur de cette question : « Juliette, quel est le travail de tes parents ? »

Une simple question, pourtant. Une enfant de 4 ans pourrait y répondre.

« Heu, ma mère est professeure. »

« Et ton père ? Il fait quoi dans la vie, lui ? »

« Eh bien, mon père est décédé, mais il travaillait dans une industrie de papier collant ! »

« Oh mon Dieu ! Je suis tel-le-ment dé-so-lé ! »

« Pas de trouble ! J’avais 4 ans, c’était il y a longtemps. »

Je déteste ces yeux de pitié accompagnés de ce mot insupportable. Désolé ? Désolé pourquoi ? Pour m’avoir posé une question dont tu ne connaissais même pas la réponse ? Hmm, je suis habituée, ne t’en fais pas. Et puis, pourquoi éviter la réponse ? Mon père travaillait dans une industrie de papier collant. C’est ça qu’il faisait comme travail, que ce soit à l’imparfait ou au présent.

J’imagine que la date de notre décès est plus importante que les choses qu’on a faites avant d’arriver au jour J. Les gens ne savent pas comment réagir lorsqu’ils sont spectateurs de la douleur d’une personne. Mais je ne les blâme pas, les gens.

C’est juste que lorsque notre monde s’écroule, on a un peu plus de considération.

Ne jamais oublier de faire un câlin à ma mère et à mon frère avant qu’ils traversent la porte de notre maison pour sortir dans le monde, parce que qui sait ? Peut-être qu’ils n’auront plus la chance de repasser à travers ce cadre de porte blanc cassé. Ne jamais oublier de ne pas chialer contre les caissières du IGA parce qu’elles ont l’air bête, parce que peut-être que leur chat est décédé le matin même mais qu’elles doivent quand même aller travailler parce qu’elles veulent avoir assez d’argent pour payer leurs études pour devenir vétérinaire et soigner plein de chats pour qu’aucune autre caissière du IGA ne soit plus jamais bête.

Je vous le dis, c’est juste de la considération.

Mais les gens s’en foutent des rêves des caissières du IGA, les gens veulent juste payer leur lait pis leurs œufs pour partir rapidement chez eux.

Mais je ne les blâme pas, les gens.

Je me blâme, moi.

Je me blâme de regretter.

Parce que je regrette.

Je regrette d’avoir pleuré lorsque mon père venait me chercher à la garderie à la place de ma mère.

Je regrette de ne pas avoir profité des quelques petites années accompagnée de mon père.

Je regrette plein de choses parce que c’est facile. Facile de regretter mon papa.

Ma mère me dit tout le temps que cet évènement m’a transformée, que je suis plus empathique. Mais je vais vous livrer un secret : j’aurais préféré avoir mon père à mes côtés que d’être plus empathique des malheurs des autres. C’est égoïste, je le sais.

Ça aussi, je le regrette.

Mais vous savez quoi ?

Que vous ayez perdu votre grand-père, votre mère, votre oncle, votre chien ou votre téléphone qui est tombé dans l’eau, je vais vous dire un secret qui va probablement beaucoup vous aider…

On passe au travers.

La génération acculturée

On ne cesse de le répéter, l’une des caractéristiques dominantes de ma génération est notre aisance avec les nouvelles technologies, qui amène invariablement des habitudes de consommation culturelle radicalement différentes de celles des générations précédentes. Toutefois, force est de constater que la plus grande répercussion de cette façon de faire est le délaissement de la culture nationale au profit de la culture anglo-saxonne dominante en Occident.

En effet, si vous entrez dans une classe de cinquième secondaire, n’importe laquelle, et que vous demandez qui a volontairement écouté une chanson québécoise au courant de la journée, il est probable que vous n’ayez qu’une ou deux mains levées.

Sous l’impulsion de Facebook, Netflix et Spotify, pour ne nommer que ceux-là, les jeunes sont plongés dans un univers culturel très homogène et presque entièrement issu des États-Unis. Au nom de « l’ouverture sur le monde », on les a encouragés à découvrir la culture américaine sans retenue, engendrant paradoxalement une véritable fermeture sur la culture québécoise. Pas assez cool, pas universelle, trop refermée sur elle-même, trop francophone, toutes les raisons sont bonnes pour refuser de connecter avec cette culture qui est pourtant la nôtre.

Franchement, on est en droit de se poser des questions lorsqu’on s’aperçoit que le futur d’un peuple est si apathique face à la culture qui le caractérise pourtant. Vis-à-vis de cette globalisation sauvage de la culture, il faudrait probablement se questionner sur les actions à entreprendre afin que notre propre identité, notre authenticité, ne soit pas rendue marginale en notre propre territoire. Après tout, à quoi bon parler français si c’est seulement une langue de transition entre deux tubes de Katy Perry ou entre deux films de Star Wars ?

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