Opinion : Société

Je suis un « sale multiculturaliste »

En réaction à l’éditorial de François Cardinal, « Sale multiculturaliste ! », publié le 19 février

Je suis fier d’être un de ces « sales multiculturalistes » qui, selon l’éditorialiste en chef de La Presse, François Cardinal, sont l’objet de la vindicte populaire dans les médias du Québec.

Dans un texte percutant, M. Cardinal trouve curieux l’emploi débridé de cette « insulte », car, selon lui, le multiculturalisme n’existe tout simplement pas à proprement parler au Québec. Il constate entre autres que l’ensemble des partis représentés à l’Assemblée nationale rejette le multiculturalisme, que les spécialistes en sciences sociales du Québec rejettent le multiculturalisme presque à l’unanimité, que la commission Bouchard-Taylor a rejeté le modèle multiculturaliste canadien parce qu’il aurait été « non adapté » à la réalité québécoise et que « la quasi-totalité des intervenants qui se sont exprimés lors des consultations Bouchard-Taylor rejette le multiculturalisme ».

Les deux derniers arguments de François Cardinal témoignent d’une certaine méconnaissance de l’opinion des dites « minorités ethnoculturelles et linguistiques » du Québec.

Un survol des mémoires présentés à la commission Bouchard-Taylor par les organismes issus des communautés culturelles révèle en effet que peu d’entre elles rejettent le multiculturalisme.

Quant à l’affirmation selon laquelle les spécialistes en sciences sociales du Québec rejettent presque unanimement le multiculturalisme, elle semble contredite par une courte visite à McGill ou à Concordia.

Est-ce que ceci veut dire que les Québécois francophones et non francophones sont divisés sur la question du multiculturalisme ? Pas vraiment. Peu d’enquêtes démontrent que les Québécois rejettent le multiculturalisme. Un sondage mené par la firme Léger Marketing en 2014 révèle que 53 % des Québécois sont d’accord pour dire que « le multiculturalisme canadien a eu un impact positif sur les minorités ethniques et religieuses », tandis que 56 % sont d’avis que « le multiculturalisme rassemble les gens plutôt que de les diviser ». Autour de 45 % des Québécois sondés pensent que le multiculturalisme canadien favorise « la cohésion sociale » et « permet aux immigrants d’adopter plus facilement les valeurs partagées ».

Ces résultats démontrent que nous sommes beaucoup plus ambivalents sur la question du multiculturalisme que ce que nos élus et certains universitaires souhaitent nous faire croire. Ce qui, bien sûr, ne veut pas dire que les Québécois n’ont pas de réserves ou d’inquiétudes par rapport au multiculturalisme, comme c’est d’ailleurs le cas dans d’autres provinces canadiennes.

M. Cardinal prétend qu’il existe une importante distinction entre multiculturalisme et pluralisme. C’est une distinction que peu de gens à l’extérieur des milieux universitaires peuvent saisir. En fait, le texte de M. Cardinal semble indiquer que, même chez nos intellectuels les plus brillants, les jugements que l’on porte sur les politiques et le programme du multiculturalisme ne sont pas souvent fondés sur des analyses concrètes. De fait, peu de gens savent que la plus récente incarnation de la politique multiculturelle du Canada vise les objectifs suivants : 

• favoriser la compréhension interculturelle et interconfessionnelle ;

• encourager la commémoration et la fierté civiques ;

• promouvoir le respect des valeurs démocratiques fondamentales ;

• éliminer la discrimination, le racisme et les préjugés ;

• offrir aux jeunes des occasions d’engagement communautaire ;

• rassembler les gens au moyen de l’art, de la culture ou du sport.

Ces objectifs sont semblables à ce que le Québec propose en matière de gestion de la diversité. Pour sa part, M. Cardinal, sans même offrir de définition du multiculturalisme canadien, semble reprendre le refrain de certains universitaires québécois qui insistent sur les différences irréductibles entre multiculturalisme canadien et interculturalisme québécois.

Selon M. Cardinal, contrairement à la version canadienne du multiculturalisme, l’interculturalisme proposerait la reconnaissance d’une culture officielle et d’une langue commune. Notons qu’à l’heure actuelle, il n’y a pas de politique officielle de l’interculturalisme au Québec et qu’en matière de diversité, il n’y a pas non plus reconnaissance d’une culture officielle. Quant à la langue officielle du Québec, son statut n’a jamais été remis en question par la politique multiculturelle canadienne.

Malgré la volonté affichée par certains de rayer le mot multiculturalisme de notre vocabulaire, les débats autour de cette politique persistent et persisteront pour encore de nombreuses années parce que la réalité est plus forte que l’étiquetage des idées. Nous ne sommes par conséquent pas près de nous débarrasser des « sales multiculturalistes ».

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.