Chronique

Elle… me fait vomir

Jouissif. Enivrant. Extraordinaire. Génial. À la radio, les critiques de cinéma ne se possédaient plus. À les entendre, le film Elle de Paul Verhoeven, adapté du roman de Philippe Djian et mettant en vedette une Isabelle Huppert froide comme une banquise d’avant les changements climatiques, est non seulement un grand film, c’est un grand film féministe. En entendant ces derniers propos, proférés par une femme de surcroît, alors que j’étais au volant de ma voiture, j’ai failli avoir un accident tellement je fulminais.

Non mais sont-ils tous tombés sur la tête pour clamer à l’unanimité que ce film sexiste et moralement dégueulasse est un chef-d’œuvre ? Ont-ils bu une autre eau que la mienne ? Vivons-nous dans le même monde ?

En France, où il a été produit, réalisé et lancé, Elle a fait l’unanimité chez les critiques, mais a tout de même divisé l’opinion publique et fait rager les féministes qui y ont vu, à raison, une éclatante démonstration de la culture du viol dans toute sa sordide splendeur.

Chez nous, où le film est sorti il y a quelques jours, personne pour l’instant ne rue dans les brancards. Dans ces circonstances, permettez-moi de lancer la première pierre. Et sachez que ce n’est pas par esprit de contradiction que je le fais. Tout le long de la projection d’Elle, j’ai trépigné, tellement ce film ridicule et enrageant m’insupportait.

Ridicule, tordu, malhonnête, misogyne, je manque de vocabulaire pour dire tout le mal que je pense d’un film dont j’ai naïvement cru qu’il serait digne d’intérêt.

Pour tout dire, j’ai même apprécié la première scène, une scène de viol qu’on ne voit pas, mais dont on entend le son, glaçant : les cris de la victime, les grognements obscènes du violeur, la vaisselle qui tombe et casse. Lorsque le noir à l’écran redevient une image, le viol est terminé. Merci, monsieur le réalisateur, de nous avoir épargnés, ai-je murmuré.

Sur le coup, j’ai apprécié la pudeur du réalisateur, sans me douter que ce type, reconnu pour avoir convaincu Sharon Stone d’enlever sa petite culotte dans Basic Instinct pour pouvoir filmer son entrejambe à son insu, carburait à l’impudeur. Sans me douter non plus que cette putain de scène de viol, il allait nous la resservir une demi-douzaine de fois. Et vlan par-ci, et vlan par-là.

Des scènes insidieuses

D’une part, il y a ces scènes où Isabelle Huppert se fait tabasser, projeter contre les murs, traîner par terre et violer par une armoire à glace cagoulée. Et chaque fois, un sous-texte insidieux semble insinuer que cette carriériste froide, calculatrice, cruelle et amorale aime ça ! Regardez comme elle ne pleure pas, comme elle a l’air à peine ébranlée ! Pas de doute : cette salope aime ça ! C’est ce que je n’ai cessé de lire tout au long de ces scènes dégoulinantes de violence.

Et puis, il y a ces autres scènes, parfaitement ridicules : la scène où, tout juste après le premier viol, elle balaie les éclats de vitre sur le plancher, prend un bain et se commande des sushis, nous envoyant le message qu’un viol, en fin de compte, ça donne faim. Vous en doutiez ? Voyons donc, tout le monde sait qu’un viol, ça creuse l’appétit.

Et puis, il y a cette autre scène où, à table avec des amis, elle annonce sur un ton désinvolte : « J’ai été agressée chez moi l’autre soir et je pense que j’ai été violée. » Pardon ? Elle PENSE qu’elle a été violée ! Qu’est-ce que ça lui prend de plus pour en être convaincue ?

Anti-victimisation ?

La vaste majorité des critiques se gargarisent du fait que ce personnage de femme forte, indépendante et en parfait contrôle refuse la victimisation. Cette posture anti-victimaire, qui à mes yeux est artificielle et peu crédible, devient à leurs yeux parfaitement révolutionnaire.

Enfin, se disent-ils, une bonne femme qui ne joue pas à la victime. Enfin, une bonne femme qui ne fait pas tout un plat parce qu’elle s’est fait violer.

Ces mêmes critiques affirment que la victime finit par triompher de son violeur et qu’elle le fait à sa manière sans avoir besoin de l’aide de la police. C’est donc elle la plus forte.

Désolée, les amis, mais une femme qui se fait violer et qui trouve que ce n’est pas plus grave que ça est une psychopathe ou alors le pur produit d’un délire misogyne.

On me reprochera de faire une lecture primaire et au premier degré de ce film et de ne pas en avoir saisi l’ironie grinçante et le huitième degré. C’est fort possible. Mais vous savez quoi ? Je m’en fous. En ce qui me concerne, ce film est à vomir. Qu’il soit au premier ou au huitième degré n’y change rien.

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