Chronique

Les USA, on y va ou pas ?

Trois semaines après l’accession de Donald Trump à la présidence, nos chroniqueurs Patrick Lagacé et Yves Boisvert se demandent s’ils tourneront symboliquement le dos aux Américains cette année. Discussion.

Patrick Lagacé : Yves, à la maison, on jongle avec l’idée d’aller aux États-Unis pour les vacances estivales. La Californie : L.A., Venice Beach, San Diego, peut-être un parc national. Mais… Mais avec ce qui se passe aux États-Unis, cette vague orange qui a radicalisé le pouvoir exécutif depuis un mois, je n’ai comme plus envie d’y aller. Suis-je normal ?

Yves Boisvert : Normal, normal, je préfère ne pas me prononcer. Mais laissons la psychiatrie de côté. Je vais te confier ceci, que tu ne répéteras pas : chaque année, souvent deux, trois fois, je vais dans le Maine, pour humer la brise de l’Atlantique et courir dans les terres – enfin, tu sais, ce genre de choses qu’ont faites depuis 75 ans des millions de Québécois, en famille, en amoureux ou avec des amis.

Ben, cette année, on n’y va pas. On va dans Charlevoix. On va au Canada. On va à La Sarre, le village de mes aïeuls, qui fête ses 100 ans. On va à Montréal. Mais pas dans le Maine.

PL : Oh. Un hasard que vous n’y alliez pas cette année ? Ou un boycott ?

YB : Boycott, pas vraiment. D’ailleurs, je vais au marathon de Boston, pour tout te dire, mais les inscriptions étaient en septembre, tu vois.

Je n’ai pas de théorie à proposer, ça m’est monté tout seul, comme un dégoût profond. Comme le goût de tourner le dos symboliquement à Trump.

PL : Tourner le dos symboliquement à Trump, belle formule. Je ne me suis pas encore fait une tête, mais j’y pense, je te l’avoue. Un voyage familial en Californie est prévu pour l’été, et je me dis que prendre mes vacances dans ce pays, c’est un peu encourager la vague orange qui a radicalisé le pouvoir exécutif, depuis un mois. Mais je me demande si ce boycott bien personnel changera quoi que ce soit, dans le grand ordre des choses…

YB : C’est pour ça que je n’appelle pas ça un « boycott ». C’est un mouvement d’humeur personnel dont je n’aurais probablement pas parlé, mais au hasard des conversations, je me rends compte que plein de gens ont eu le même mouvement de recul. Des citoyens canadiens qui se font fouiller dans leur téléphone cellulaire et refouler à la frontière américaine parce qu’ils sont musulmans, ça m’écœure profondément. Comme ça écœure d’ailleurs une majorité d’Américains. Tu auras remarqué que nos destinations américaines ne sont pas très Trump : Nouvelle-Angleterre, Vermont, Boston, New York, Californie…

Le mois dernier, l’ancienne secrétaire d’État Madeleine Albright a dit que s’il y avait une interdiction d’entrée des musulmans, elle allait se déclarer musulmane. On en est là.

PL : Ça m’écœure aussi. Je pense aussi à cette femme de Brossard qui va magasiner aux États-Unis avec son fils de 5 ans, mais qui a le malheur d’arriver à la douane avec son hijab. Interrogée sur ses pratiques religieuses, sur les événements de Québec, on fouille dans son téléphone cellulaire, on trouve des prières en arabe… et à la fin, on la refoule.

Le mot de passe de cellulaire ? Moi, ce serait non. Je serais alors refoulé, assurément, ce qui entraînerait des coûts importants (billets d’avions, par exemple). Mais je me demande encore : refuser d’aller aux États-Unis pour tourner le dos symboliquement à Trump, camarade, ça change quoi ?

YB : Ça ne changerait probablement rien. Ce serait ridicule de penser influencer les politiques américaines en se privant de clam chowder du Maine. Je ne fais pas ça pour « changer » les choses. Ce n’est pas non plus un plan cohérent, parce qu’il faudrait à ce compte-là « boycotter » un sacré paquet de pays. Je ne dis pas aux gens : « N’y allez pas. » Ni : « Je n’irai plus. » Je te dis que j’ai soudainement beaucoup moins le goût de planifier des séjours là-bas. Sorte d’hygiène douanière personnelle.

Tu me poses toutes ces questions, tu n’as pas l’air convaincu de tes propres doutes…

PL : Au contraire. S’il fallait acheter les billets pour L.A. demain matin, je crois que j’exercerais mon petit boycott familial de l’Amérique. On irait ailleurs. Je me demande si je me prive d’un plaisir réel, celui de visiter ce pays fascinant, ce pays magnifique, pour envoyer un message qui ne sera jamais reçu par les cryptofachos qui ont pris le contrôle des États-Unis. Bon, puisque nous en sommes aux confidences : dis-moi donc pourquoi tu l’aimes, ce pays-là…

YB : Ce que j’aime ? Ce serait trop long. Si je te parlais de l’idée même du pays, ce laboratoire démocratique, il faudrait parler de l’esclavage. Si je te parlais du soleil qui se couche entre les lices des clôtures de bois qui bordent les fermes du Kentucky, il faudrait que je parle de la pauvreté abjecte, etc. « Berceau du meilleur et du pire », tu connais Cohen… Et plein d’États plus ou moins unis, et plein de pays dans chaque État… Tous les climats, tous les paysages… Et ce côté « friendly folk », toutes tendances politiques confondues…

Mais ne change pas de sujet. On parlait d’y aller moins ou pas.

PL : Tu sais, si j’hésite, c’est aussi parce que je me trouve un peu faux-cul avec mon idée de boycott. Même avant Trump, ce pays offrait mille raisons de le bouder. C’est un pays brutal, hyper dur avec les Noirs, avec les pauvres, un pays qui fait des guerres et des invasions hautement contestables. Et là, parce que le président est à l’image de ce côté brutal, je le bouderais ? Je me trouve un peu incohérent. Alors j’hésite à répondre non à la question : « Les USA, on y va ou pas ? ». Je propose de commencer une conversation. Mot-clic : #USAouPas?

YB : C’est vrai, on est toujours en chicane avec telle ou telle politique américaine. Mais je n’ai jamais senti une telle révulsion pour ceux qui dirigent le pays et, peut-être pire, les républicains qui ont laissé arriver ça.

Je reconnais aux pays le droit de refuser certains invités, évidemment. Il n’y a pas de droit fondamental de passer la frontière. Un douanier fait bien de refuser l’entrée à un gars pris en photo avec un djihadiste, même si ce n’est pas un crime.

Mais l’arbitraire des mesures, leur côté humiliant ne feront rien pour la sécurité de ce pays, ni la nôtre d’ailleurs.

PL : Le plus insultant, c’est que la mère canadienne à foulard fait l’objet de contrôles plus stricts que ceux imposés aux Américains qui achètent des armes en vente libre à l’armurerie du coin et qui commettent des massacres de masse…

Mais je m’égare, j’ai l’air de mépriser ce pays. La vérité c’est que je l’aime, c’est le pays d’une certaine idée de la liberté de penser, liberté qui a conquis la Lune et guéri des tas de maladies et… Et tout ce que « l’Amérique » peut incarner, à son meilleur… Et là, la vague orange qui a radicalisé ce pays me fait oublier tout ça, tout le beau et le bon, le worst de Cohen prend le dessus…

YB : Les États-Unis font plus de la moitié de la science au monde. C’est une Iranienne qui a remporté la médaille Fields, sorte de prix Nobel des mathématiques. Il y a plein d’histoire de scientifiques résidents des États-Unis qui ont peur de sortir et de ne plus pouvoir rentrer, et d’autres qui ne viendront simplement pas participer à des congrès. Tu organises un congrès scientifique pour 2019, tu as le choix entre Montréal et Houston aujourd’hui…

En tout cas, j’irai pas.

PL : Charlevoix, hein ? Je ne sais pas si je vais aller aux States cet été, mon cher Yves. Mais je peux te dire que j’ai haï mon séjour dans cette région, il y a quelques années. Overrated, comme dirait Trump…

YB : T’as pas goûté à mon risotto aux champignons sauvages, ça paraît. Tu iras voir Port-au-Saumon et Baie-Sainte-Catherine. Pas grave, je te rapporte une gourgane et deux agneaux.

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