Michael Woods

Une course contre la montre

À l’été 2013, Guillaume Boivin s’est entraîné en altitude au Colorado en prévision de son premier Tour d’Espagne. Bruno Langlois, qui l’accompagnait pour l’occasion, est arrivé avec un néophyte de 26 ans, inconnu au bataillon. Devant la facilité apparente avec laquelle il tenait le rythme en montagne, Boivin s’est tourné vers son ami Langlois pour lui demander : « C’est qui, lui ? »

Quatre ans plus tard, Christopher Froome et Alberto Contador se sont probablement posé la question en voyant le même homme tenir leur rythme dans les cols les plus pentus du Tour d’Espagne.

Aujourd’hui, plus personne n’ignore le nom de Michael Woods dans le peloton professionnel. À sa cinquième saison sur un vélo, le natif d’Ottawa a terminé septième au classement général de la Vuelta, dimanche, à Madrid, un sommet dans l’histoire du cyclisme canadien. Seuls Steve Bauer, quatrième du Tour de France 1988, et Ryder Hesjedal, gagnant du Giro 2012 et cinquième du Tour 2010, ont fait mieux dans l’un des trois grands tours.

Woods en était à sa deuxième expérience dans une course de trois semaines. « Je n’avais pas de si grandes attentes », a-t-il admis hier de sa résidence de Gérone.

« Je pratique le sport d’endurance en compétition depuis 15, 20 ans maintenant. Je sais très bien que de faire quelque chose à l’entraînement n’est pas la même chose que de le faire en course. J’avais probablement les jambes pour le faire, mais tu dois aussi avoir le bon état d’esprit, croire en toi et exécuter. En ce moment, je suis juste vraiment fier de moi d’avoir réussi à tout mettre en place. »

Ryder Hesjedal salue la prestation de son compatriote. « Être capable de faire ça après si peu de temps dans le sport, c’est un exploit fantastique, a dit le nouveau retraité. À partir de là, où t’en vas-tu ? Il n’a pas de limites, je pense. »

À la dure

Ancien coureur de demi-fond de haut rang – il a franchi le mile en bas de quatre minutes à 18 ans –, Woods se destinait à une brillante carrière sur la piste à l’Université du Michigan quand des fractures de stress à un pied sont venues bousiller ses plans. À 20 ans, il était fini.

Après l’obtention de son diplôme, il est retourné à Ottawa la mort dans l’âme pour travailler dans une banque et une boutique de chaussures de course. Il est devenu entraîneur d’athlétisme à temps partiel à l’Université d’Ottawa, où un de ses athlètes lui a fait découvrir le vélo. Son style n’était pas élégant, mais il était fort.

Langlois l’a remarqué dans une course et l’a invité à se joindre à l’équipe Garneau-Québecor. Il lui a aussi présenté son entraîneur, le Montréalais Paulo Saldanha. « Je voyais qu’il devait faire certaines améliorations sur le vélo, mais son moteur était très solide », se souvient l’homme derrière les studios PowerWatts. 

« Le problème, c’est qu’il était comme une Formule 1 sur une suspension Canadian Tire et des pneus Costco. »

— Paulo Saldanha, entraîneur de Michael Woods

Au-delà de la mécanique, Woods avait surtout des capacités psychologiques exceptionnelles. « Ce gars-là refuse de mourir, s’emballe Saldanha. Il déteste perdre. »

Avec le soutien de la structure d’entraînement privée B2Dix, Saldanha a conçu un plan de cinq ans pour mener Woods vers les plus hauts sommets. Il l’a entouré d’un préparateur physique, d’une nutritionniste d’un thérapeute, etc.

En course, Woods a appris à la dure. « Chaque fois que je courais avec lui, il était au sol, après une chute quelque part », se souvient Hesjedal. Main, clavicule, hanche : le nouveau venu s’est à peu près tout brisé. « Il a perdu plus de peau que ce que l’être humain moyen perd dans toute une vie, renchérit Saldahna. C’était incroyable. »

Dans les circonstances, la mission de l’entraîneur s’est transformée en une « course » : « Peut-on lui faire apprendre les stratégies du vélo assez rapidement et le rendre plus rapide et plus en forme avant qu’il ne se fasse si mal qu’il ne puisse plus continuer ? »

2016

Une première partie de la réponse est venue en 2016, troisième année du plan quinquennal. Avec la formation américaine Cannondale, membre du circuit WorldTour, Woods a fini cinquième à sa première épreuve, le Tour Down Under en Australie. Il a ensuite pris le 12e rang à la Flèche wallonne, classique ardennaise taillée sur mesure pour ses qualités de grimpeur-puncheur.

Quatre jours plus tard, il a chuté à Liège-Bastogne-Liège, se brisant une main. Avant son retour, il est retombé quand un sac qu’il transportait s’est coincé dans ses rayons. Il a quand même participé à la course sur route des Jeux olympiques de Rio... avec une fracture du fémur dont il ignorait l’existence.

Plus à l’aise dans son pilotage, Woods a franchi un cap cette année : 11e à la Flèche, 9e à Liège, il a pris part au Giro, son premier grand tour, où il a fini trois fois dans les 10 premiers et mis la table à une victoire d’étape de son coéquipier Pierre Rolland.

Woods visait une étape à la Vuelta, mais ses bons résultats dans la première semaine lui ont permis de s’installer parmi les 10 premiers au général. En haute montagne, il a pratiquement fait jeu égal avec Contador et Froome.

La veille de la huitième étape, Woods s’est entendu avec Cannondale sur les termes d’un nouveau contrat de deux ans. Quelques heures plus tard, il a appris avec horreur que le retrait soudain d’un commanditaire menaçait la survie de la formation et rendait son accord invalide.

Après une mauvaise nuit de sommeil, il a couru de façon « vraiment stupide ». « J’avais de très bonnes jambes et j’ai attaqué avec Contador. Ensuite, je suis allé à l’avant et j’ai tenté de lâcher Contador. Ce qui était niaiseux ! Tout ce que je voulais, c’était de me montrer. J’ai perdu mon sang-froid. J’ai perdu du temps ce jour-là, alors que j’aurais dû en gagner. »

Son directeur sportif Juan Manuel Gárate l’a calmé. Ce dernier a livré un discours émotif dans l’autobus, le lendemain matin. Il a dit qu’il comprendrait si chacun se mettait à courir de façon individuelle. Les coureurs pouvaient aussi unir leurs forces et s’en tenir à l’objectif collectif initial.

Ce jour-là, tous les hommes en vert ont roulé en tête de peloton, propulsant Woods au pied de la dernière ascension. Le Canadien s’est finalement classé troisième de l’étape remportée par Froome, qui a salué l’initiative de Cannondale.

Après un recul au contre-la-montre, Woods est remonté au classement général dans la dernière semaine, finissant à un peu plus de huit minutes de Froome, sacré pour la première fois en Espagne. Avant l’arrivée à Madrid, Cannondale a annoncé un nouveau commanditaire principal.

Sans sacrifier son rêve de gagner une classique ardennaise, l’ancien demi-fondeur se voit maintenant comme un coureur d’épreuves par étapes. Il prévoit d’ailleurs commencer à travailler le contre-la-montre, discipline qu’il a savourée pour la première fois en Espagne. En 2018, il veut aller au Tour de France pour épauler son coéquipier Rigoberto Uran, deuxième cette année.

Le prochain palier sera « très difficile », prévient son entraîneur. « Il a tellement accompli de choses dans une période de temps si courte, souligne Saldanha. Sur le plan physiologique, l’amélioration n’est pas linéaire, mais suit une courbe. Au début, si tu fais 10 % d’effort, tu vas t’améliorer de 50 %. Après cinq ans, si tu fais 1000 % d’effort, tu vas peut-être t’améliorer d’un demi-pour cent. »

Boivin ne voit pas pourquoi Woods, qui est devenu un ami, ne pourrait pas monter un jour sur le podium d’un grand tour. À la réflexion, il a probablement été simplement « poli » en se contentant de tenir leurs roues au Colorado en 2013. « S’il avait voulu, il nous aurait rincés solide ! »

Le plus dur, vélo ou course à pied ?

Avant de se blesser, Michael Woods a gagné les championnats panaméricains au 1500 m, devançant l’Américain Galen Rupp, futur médaillé olympique au 10 000 m. Qu’est-ce qui est le plus dur : le dernier « kick » dans un 1500 m ou tenir la roue de Christopher Froome dans un col ? « Tenir la roue de Chris Froome dans une arrivée au sommet, la question ne se pose pas ! répond Woods. Qu’on me comprenne bien : un 1500 m, c’est vraiment difficile sur le plan psychologique. Et ça fait très mal. Mais la partie la plus dure est les 400 derniers mètres. Même si ça fait mal, tu peux te dire que ça dure un peu moins d’une minute. Plus jeune, j’étais très bon là-dedans. En vélo, juste pour te rendre au moment décisif où tu suis la roue de Chris Froome, ça te prend une tonne de concentration, de tolérance à la douleur et de discipline mentale. »

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