Opinion : Éducation

Pour des espaces scolaires stimulants

En Estrie, le dossier de la démolition des mezzanines de lecture installées dans plusieurs écoles primaires à la suite de l’initiative d’un enseignant visionnaire et jugées soudainement, plus de 10 ans après leur installation, non conformes aux règles de sécurité a fait la manchette.

Cet épisode malheureux nous offre l’occasion d’élargir la réflexion et de lancer un défi majeur à l’ensemble des acteurs du monde de l’éducation : responsables politiques, administrateurs, professionnels de l’éducation et parents. Ce défi consiste à repenser les espaces scolaires d’apprentissage. Selon des études récentes menées dans plusieurs coins du monde, notre capacité à relever ce défi pourrait bien avoir une influence déterminante sur la réussite scolaire des enfants des prochaines générations.

Durant leur scolarité, les enfants passent la majeure partie de leur temps dans les locaux scolaires.

Au-delà des règles élémentaires à respecter pour assurer la santé et la sécurité des élèves et des professionnels de l’éducation qui occupent ces espaces, nous sommes-nous suffisamment assurés que ces espaces offrent les meilleures conditions pour permettre aux uns et aux autres de réaliser ce qui est attendu d’eux ? Il est possible d’en douter fortement et il serait temps que les choses changent.

Au moment où le gouvernement annonce le déblocage d’un budget pour assurer les travaux urgents de réfection des infrastructures scolaires qui tombent en ruine dans de nombreuses villes du Québec et où de nouvelles écoles, voire des annexes de type maison mobile, sont construites à la hâte ici ou là pour répondre aux besoins du développement de zones résidentielles, le premier ministre et le ministre de l’Éducation auront-ils assez d’audace et de vision pour décréter qu’il s’agit là d’un chantier essentiel pour l’avenir du Québec ? Sont-ils prêts à organiser une vaste consultation citoyenne et à mobiliser les meilleurs professionnels de l’éducation, architectes, ingénieurs, designers, ergonomes, pédagogues et didacticiens afin de réfléchir à ce que devraient être les espaces scolaires de demain, notamment ceux qui permettent d’avoir accès au monde du livre et de la culture ?

Des historiens ont montré que l’instauration de la scolarité primaire obligatoire a coïncidé dans les pays industrialisés avec la nécessité de préparer des profils d’ouvriers adaptés au travail à la chaîne, capables de demeurer longtemps dans une même position physique et d’effectuer efficacement une tâche répétitive. L’aménagement de nos salles de classe et l’organisation du travail en classe sont encore fortement marqués par ce contexte historique. Cela correspond-il aux besoins de la société d’aujourd’hui et du futur, aux profils diversifiés des enfants qui composent les groupes-classes ainsi qu’aux nouveaux environnements d’apprentissage numériques de plus en plus présents dans certains milieux scolaires ?

Comment peut-on penser qu’il soit possible de développer l’imaginaire des enfants, d’éveiller leur sensibilité au beau, de leur apprendre à interagir avec les autres, d’élargir leurs horizons mentaux et de soutenir leur désir d’apprendre si les lieux physiques dans lesquels ils vivent à l’école correspondent aux classes de parpaings de béton sans fenêtre si caractéristiques d’un nombre important de classes des polyvalentes et s’ils restent à longueur de journée assis à leur pupitre dans un espace confiné ?

INITIATIVES ORIGINALES

Des initiatives originales existent pourtant depuis longtemps au Québec comme ailleurs : une école primaire a été réorganisée pour que la bibliothèque et le centre de documentation constituent le centre de l’école autour duquel gravitent les classes, que les élèves peuvent quitter en tout temps pour consulter un ouvrage ou faire une recherche sur un ordinateur. Dans une école secondaire, un enseignant de français a convaincu la direction de lui permettre de créer une classe spécialement consacrée aux cours de français comme il existe dans tout établissement un laboratoire consacré aux cours de sciences. Dans ce vaste local, on trouve un espace de lecture décoré avec des affiches de théâtre, une étagère avec de vieilles machines à écrire, une collection d’anciens dictionnaires, un espace d’écriture. Des enseignants d’histoire ont développé le concept de classe musée dans laquelle sont présentés des artefacts d’objets historiques.

On peut faire confiance à l’expérience et au sens pédagogique des enseignants pour établir les conditions nécessaires à la création d’environnements stimulants d’enseignement et d’apprentissage adaptés aux contextes sociaux et géographiques des implantations des infrastructures scolaires. Dans ce domaine comme dans d’autres, il est en effet important de tenir compte des contextes locaux : cela aurait par exemple peu de sens d’investir dans la construction d’une bibliothèque scolaire dans une école située à quelques rues de la bibliothèque publique.

Qu’attendons-nous donc pour reconnaître cette expertise professionnelle et pour y associer les autres expertises nécessaires afin d’ouvrir le chantier qui nous permettra de repenser en chaque lieu et à l’échelle qui convient tout à la fois nos espaces scolaires et nos modes d’enseignement ?

* L'auteur est également directeur du Collectif de recherche sur la continuité des apprentissages en lecture et en écriture.

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