Grande Entrevue

Sonia Lebel avec des si

Si elle était une ville ?

Rome, pour sa beauté et sa rigueur.

Un objet techno ?

Un iPhone. Elle les collectionne et ne saurait vivre sans.

Un livre ?

Une BD. Pour les images.

Un remède ?

Une coupe de vin.

Une maladie ?

Une mauvaise grippe, pas mortelle mais agaçante.

Un animal ?

Un chat.

Un moyen de transport ?

Un avion.

Une couleur ?

Le noir, toujours le noir.

Un reproche adressé à elle-même ?

Le manque d’imagination.

Grande Entrevue

La vie après la Commission

Le geste a duré un instant : un claquement de doigts exécuté dans l’impatience d’un petit matin de janvier 2014 par une procureure exaspérée à la vue d’un témoin – en l’occurrence l’ex-président de la FTQ Michel Arsenault – qui ne répondait pas à ses questions. Un claquement de doigts, un seul, et c’en était fait de l’image de maîtresse d’école que le public garderait de Sonia Lebel, procureure en chef de la Commission Charbonneau.

« Une seconde après avoir posé le geste, je savais que je venais de me coller une étiquette sur le front pour longtemps », me lance Sonia Lebel à la table du resto où elle vient de s’asseoir, toute menue mais pas fragile dans sa veste de cuir, son regard direct cerclé de ses sempiternelles lunettes à montures carrées.

La rencontre a lieu à un jet de pierre du calme feutré du bureau au palais de justice qu’elle a réintégré presque comme une vieille pantoufle il y a à peine un mois, un atterrissage un brin déstabilisant après le tourbillon de la commission Charbonneau, où elle a remplacé en novembre 2012 l’avocat Sylvain Lussier à titre de procureure en chef.

« J’ai claqué des doigts parce que j’étais fatiguée, exaspérée, tannée de me taper la tête contre le mur, mais ce n’est qu’un instant dans ma vie. Je ne renie pas cette image de moi, mais je trouve ça triste que ça me définisse entièrement. Cette image n’est pas inexacte, c’est vrai, mais elle est incomplète », insiste-t-elle, consciente qu’elle est en train de se justifier.

Obtenir une audience avec cette petite brune de 47 ans, née à Matane, élevée à Mont-Laurier par des parents enseignants et fan avouée de Corey Hart et de Kenny Rogers plutôt que de David Bowie, a été facile. Pour tout dire, Sonia Lebel était ravie qu’on s’intéresse encore à elle. Après les années tumultueuses et exaltantes de la commission Charbonneau, le retour au train-train quotidien l’a quelque peu déroutée et menée à une croisée des chemins tant dans sa vie privée que professionnelle. Elle s’est récemment séparée du père de ses deux enfants, un policier, et concède que même si la commission Charbonneau n’y est pas étrangère, elle n’en est pas l’unique cause. Professionnellement, elle s’interroge sur son avenir. 

« Je viens de vivre quelque chose hors de l’ordinaire. Qu’est-ce que je fais après ça ? Est-ce que je me repositionne et j’explore où je peux mettre à profit tout ce que j’ai appris ces dernières années, ou est-ce que je reste dans mon poste de procureure, où, en passant, je suis très bien ? Il est vraiment trop tôt pour décider. »

— Sonia Lebel

Des méchantes langues croient que c’est Sonia Lebel elle-même qui a fait circuler son nom sur les réseaux sociaux pour succéder au commissaire de l’Unité permanente anticorruption (UPAC), dont le mandat se termine en mars. Elle le nie avec vigueur. « Je ne sais pas d’où est partie cette rumeur. J’ignore qui l’a affichée sur les réseaux sociaux, mais je ne cache pas que j’ai été flattée que quelqu’un pense à moi. Ç’a été un baume compte tenu du tollé suscité par le rapport Charbonneau, mais soyons clairs : personne ne m’a appelée pour que je pose ma candidature et je ne l’ai pas posée. Que mon nom circule m’a fait réfléchir. Je suis donc en réflexion pour ça, mais aussi, et surtout, pour tout le reste », souligne-t-elle.

RAPPORT CHARBONNEAU

Au sujet du rapport Charbonneau, un dossier délicat s’il en est un, elle m’étonne par son empressement à en parler. Alors que la commissaire France Charbonneau s’est emmurée dans le silence, sa procureure en chef n’hésite pas à s’avancer sur ce terrain miné.

« Au jour 1 de la Commission, les expectatives étaient trop hautes et, surtout, elles ne tenaient pas compte du mandat qui était de révéler les stratagèmes d’un système, pas de punir les coupables. Est-ce que j’aurais souhaité un rapport unique ? Bien sûr que oui, mais je trouve qu’on  en a beaucoup mis sur la tête de Renaud Lachance. On a mis en doute sa crédibilité et il ne méritait pas ça », soutient-elle.

Je lui rappelle la participation pour le moins douteuse de Renaud Lachance, le lendemain de sa nomination à la Commission, à un cocktail soulignant le départ du sous-ministre des Transports. Elle répond qu’elle ne peut pas commenter l’affaire. J’ajoute que l’absence à la Commission de politiciens ou de membres influents des partis qui n’ont pas été contraints à comparaître a créé une impression de manque d’indépendance de la part des commissaires : comme s’ils avaient cherché à protéger la classe politique et tout particulièrement le parti au pouvoir. Elle n’est pas d’accord. « Nous avons agi en toute indépendance, je peux vous l’assurer. Ça se peut que notre rapport ait fait l’affaire de la classe politique, mais ce n’est pas ce qui a nous motivés. Pourquoi on n’a pas fait défiler plus de politiciens ? Parce que faire défiler pour faire défiler du monde qui ne dira rien, ça ne donne rien et, surtout, ça ne révèle rien des systèmes ni des stratagèmes », lance-t-elle.

Pour ses détracteurs les plus sévères, Sonia Lebel est l’image de l’échec d’une commission qui a terni des réputations, insulté des gens et, ce faisant, n’a obtenu d’eux rien de plus que ce que les médias avaient déjà révélé. Des voix plus clémentes soutiennent plutôt que les manières musclées de Sonia Lebel sont tributaires du monde des criminels qu’elle côtoie sur une base quotidienne depuis plus de 20 ans.

« C’est vrai que je viens d’un milieu où on ne fait pas dans la dentelle. Mon quotidien, c’est les policiers, les avocats, les victimes, la misère humaine, les criminels. On finit par se bâtir une carapace. Cela dit, vous ne me verrez jamais claquer les doigts en cour. Jamais ! » 

— Sonia Lebel

C’est Marie-Andrée Trudeau, directrice des poursuites criminelles et pénales, qui a allumé la flamme de la future procureure. « Je me dirigeais vers la médecine légale lorsque Marie-Andrée est venue dans un de mes cours, raconte-t-elle. J’ai immédiatement su que c’était ça, mon avenir. J’ai découvert le monde judiciaire et policier en regardant la série Quincy. Chez moi, les règles sont très importantes. Je suis une sorte de rebelle conformiste. Monter des dossiers, faire une preuve, ça me fascinait et c’est ce que j’ai pu faire dès mon Barreau. »

Mais il y a de cela plus de 20 ans. Depuis, la commission Charbonneau lui a fait voir d’autres horizons. Sonia Lebel avoue qu’elle n’aurait jamais imaginé un jour participer à une telle commission. Elle semble d’ailleurs n’en être pas tout à fait revenue. Elle a beau évoquer la cadence infernale, les longues heures, la pression constante des médias et des réseaux sociaux, on sent que ce fut la grande aventure de sa carrière, y compris sur le plan financier puisqu’elle a facturé des centaines d’heures, et qu’à 150 $ l’heure, ça finit par faire un joli magot.

Je lui demande ce que je devrais lui souhaiter pour 2016. « Atterrir », répond-elle en faisant mine de vouloir reprendre son souffle. Reste à savoir si Sonia Lebel veut atterrir et toucher terre pour mieux redécoller. La réponse ne devrait pas tarder.

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